Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Noureev (The White Crow)


Royaume Uni / 2018

19.06.2019
 



DARK BALLET

Le livre Bye Bye Bahia



«- Il n’entend rien à la politique. Il est passé à l’Ouest pour aller danser. »

Légende de la danse, Rudolf Noureev, qui savait ce qu’il valait, a choisi l’asile en France, trahissant ainsi son pays. Le réalisateur Ralph Fiennes se focalise sur ce moment où tout va basculer (et se bousculer) dans la tête de ce seigneur, génie du jeu de pieds monté sur des ressorts.

Pour son troisième long métrage derrière la caméra, Ralph Fiennes continue de dépeindre ce qui pousse l’humain à la transgression – qu’elle soit destructive ou amoureuse -, à braver l’interdit et à assumer l’adultère, cette infidélité à ses principes (Ennemis jurés), à la morale (The Invisible Woman) ou à sa patrie (Noureev).

Après avoir rendu hommage à Shakespeare et Charles Dickens, le réalisateur opte pour la Russie, grand amateur du théâtre et de la littérature du pays. Il choisit son icône, la plus controversée, à la fois symbole de la beauté pure et allégorie d’une liberté absolue. Une prise de guerre de l’Occident, un prodige devenu traître pour le bloc de l’Est.

Le film est avant tout séduisant. La reconstitution de Paris au début des années 1960, avec ses pastels délavés de cartes postales de l’époque, est assez impressionnante. Les couleurs de la partie soviétique, que ce soit celles de l’image ou celles des décors, restituent parfaitement cette Russie rurale ou citadine.

Surnommé le « corbeau blanc » - le corps beau blanc – Noureev, sublimement incarné par Oleg Ivenko, expose aussi ses plumes les plus sombres. Orgueilleux, ambitieux, un brin arrogant et vaniteux, effronté et indiscipliné, cherchant l’inspiration dans les toiles de maître mais dévoré par des passions souvent plus triviales, le personnage suscite l’admiration quand il domine la scène autant qu’il exaspère quand il se soumet à l’autorité. Insupportable quand il est rude, pardonnable malgré son égoïsme quand il est dans ses chaussons. Car ce que Fiennes filme, c’est bien l’écartèlement d’un homme entre sa détermination à être le meilleur et sa passivité à subir les événements.

Est-Ouest

Dans un récit construit en deux temps – sa jeunesse et sa formation en Union Soviétique, toutes deux difficiles, et son séjour crucial à Paris, où il découvre le monde « libre » - Noureev passe son temps, comme le personnage, entre l’Est et l’Ouest, la frustration et le bonheur, la peur et le doute. Il passe de sa famille – une mère aimante, un père absent – à son corps de ballet – un professeur paternel et son épouse très Mme Robinson – jusqu’à se trouver enfin en phase avec lui-même grâce à un groupe d’amis parisiens. Sous surveillance, il provoque le régime avec ses frasques.

Fiennes déséquilibre parfois son propos en appuyant un peu grossièrement sur certains points (l’arrivée à Paris, Place de la République avec la devise française Liberté, Egalité, Fraternité) et en éludant certains autres (l’homosexualité, sans doute trop pudique). Il emmène pourtant son film dans des territoires plus incertains (le cauchemar dans la forêt russe où son père l’abandonne, sa désobéissance « civile » et personnelle) qui le rendent plus singulier qu’en apparence. De même, si les personnages secondaires en France sont assez stéréotypés pour ne pas dire survolés, ceux en Russie sont bien mieux écrits et plus subtils. Le cinéaste semble parfois ne pas savoir sur quel pied danser. Il filme magnifiquement l’art pictural qui fascine Noureev (le masculin dans Le radeau de la méduse) et les corps qui se tordent, se plient, dans l’effort. Et plagie parfois les maîtres (Stanley Donen notamment entre Drôle de frimousse et Charade) sur certaines séquences plus fades.

Douleurs et gloire

Mais tout cela à une cohérence. Le cinéaste tente de jeter des ponts entre deux cultures mais aussi entre les différentes facettes de la personnalité de son personnage, entre le devoir et la liberté. Ce dialogue qui tente de trouver le juste milieu entre l’énergie de l’instinct et la perfection de la technique est une ode au pouvoir de l’art, avec sa dose de sacrifice (la solitude) et sa part d’intransigeance (la liberté).

Ainsi, plus le film avance, plus on comprend que Fiennes fait non pas le portrait d’un génie mais l’analyse de ce que doit être une œuvre d’art, mineure ou majeure. Ce qui compte c’est ce que l’on raconte. Peu importe la manière, peu importe les défauts. Aussi ce ballet un peu décousu sur cet homme qui veut être libre et non asservi s’avance sans perte de temps et avec précision vers un dénouement captivant (qui rappellera celui d’Argo, à l’envers). Noureev s’achève ainsi dans le frémissement plutôt que la puissance. Une fuite vers l’inconnu qui parachève ce film sur le mouvement, en perpétuel mouvement lui aussi.

A défaut d’être brûlant, il se dégage de ce biopic une flamme, vacillante mais étincelante.

PS : On reconnaîtra la musicienne et chanteuse Juliette Armanet en Juliette Greco chantant "Les feuilles mortes", chanson née quinze ans auparavant dans un film de Marcel Carné, écrit par Jacques Prévert.
 
vincy

 
 
 
 

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