Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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M


France / 2017

15.11.2017
 



MO, MOTS, MAUX

Le livre Bye Bye Bahia



Elle voudrait dire plein de choses mais elle n’arrive pas à dire les mots. Loin d’être bête, elle se tient loin des autres parce qu’elle est bègue, alors elle griffonne sur un petit carnet pour communiquer tout en restant muette. Elle doit tout de même se forcer un peu à parler puisque qu’elle est au lycée pour passer le bac. Quand ce type qui a presque le double de son âge lui demande son chemin, il est intrigué par ce petit bout de jeune fille qui ne sait pas causer, et il va parvenir à l’inciter à parler de plus en plus en dépassant son blocage. Il est séduit de la voir s’émanciper avec lui, lui qui ne sait pas écrire, et qui cache ce handicap...

La naissance d’une possible histoire d’amour entre Lila qui n’arrive pas à parler et Mo qui n’a pas appris à écrire semble contrariée par leur difficulté à communiquer. Filmer une romance basée sur le rapport aux autres via le langage parlé ou écrit était sans doute une gageure, c’est l’aventure de ce premier film écrit et réalisé par l’actrice Sara Forestier.

Ella a été véritablement découverte adolescente dans L’esquive de Abdellatif Kechiche, qui était d’ailleurs une autre histoire de langage: la rencontre entre une Lydia et un Krimo avec le parlé de la rue et l'écrit du théâtre : c’est à cette époque là qu’elle avait déjà eu le désir de raconter une histoire d’amour (qu’elle a vécu a 16 ans) avec un garçon en découvrant ensuite qu’il ne savait pas écrire. Quelques années passent où elle grandit en tant que femme-enfant de rôles en rôles, ses performances les plus émouvantes étant d’ailleurs celles où elle montre un certain handicap émotionnel comme en particulier Suzanne, Mes séances de luttes ou La tête haute, tout en nourrissant son désir de réaliser un film inspirée de cette histoire.

En 2013 le scénario est prêt mais le tournage débutera qu’en 2015, influencée par ses expériences avec Jacques Doillon et Kéchiche (Adèle Exarchopoulos avait eu le rôle finalement joué par Forestier elle-même), les prises se multiplient avec 200 heures d’images à trier et monter pour enfin devenir ce film M présenté en section parallèle du Festival de Venise. Cette première projection à un public était d’ailleurs l’occasion pour Sara Forestier devenue réalisatrice de mesurer le chemin parcouru de cette histoire. C’est bien entendu une histoire d’amour naïve mais plus encore l’histoire de surmonter une honte autant pour Lila que pour Mo, une honte qui les isole dans leur rapport aux autres, qui devient un secret pour ne pas se mettre à nu. Cette naïveté est d’ailleurs dans une certaine mesure ici une faiblesse avec plusieurs éléments qui dénote un premier film fragile : le logement improbable dans un bus au milieu d’un parking, le prof de français presque en transe devant des poèmes, un père fantomatique (Jean-Pierre Léaud qui apparait juste dans 3 séquences avec quasiment rien à dire)...

Si la réalisation pêche un peu, l’interprétation est brillamment assurée avec le trio formé par Liv Andren pour la petite sœur, Sara Forestier toujours crédible en ado, et surtout la découverte éclatante de Redouanne Harjane (déjà connu comme humoriste). C’est lui qui, peu à peu ,s’impose dans le film dont l’histoire va se focaliser en fait moins sur le duo que sur son personnage à lui. La bègue va curieusement se débloquer rapidement, c’est lui l’analphabète qui n’arrive pas vraiment à assumer son handicap et qui devient le héros du film. Lila va découvrir l’amour charnel, et la caméra est habile à transmettre ça avec des regards, gestes, des contacts de peau, tout en devenant une étudiante douée pour les lettres. Face a cette élévation, la trajectoire de Mo est plus intéressante puisque plus trouble : frondeur face au danger de ses courses de voitures, patient et malicieux pour la faire parler, tantôt très homme protecteur tantôt redevenant gamin enfermé dans sa honte de ne pas savoir écrire, cachant aussi sa souffrance par une certaine agressivité, son parcours est plus tortueux. En voulant aider la petite Lila un peu comme un guide, on découvre plus ses tourments, qui sans être visibles le rejette tout autant des autres. Comment aimer quelqu’un d’autre quand on ne s’aime pas soi-même ?

Il faut reconnaître que Sara Forestier nous propose un premier film à la fois bancal, imparfait, naïf, fragile, mais tout de même solide. Avec M on ressent une sincère envie de faire du cinéma, de diriger des acteurs, de rechercher une certaine justesse, de transmettre des émotions. Touché.
 
Kristofy

 
 
 
 

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