Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Emily Dickinson, a Quiet Passion (A Quiet Passion)


/ 2016

03.05.2017
 



LES VICES ET LES VERS TUENT





«- Je lui ai dit que condamner un roman qu’il n’avait pas lu revenait à aller à Sodome et Gomorrhe et être déçu que ce ne soit pas Philadelphie. »

Ne vous attendez pas à un film biographique sur la poétesse américaine si singulière Emily Dickinson. Bien sûr, le scénario reprend les grandes phases de sa vie à partir de sa jeunesse, mais en s’autorisant quelques sauts de géants, une absence de dates précises et parfois quelques confusions chronologiques qui servent le propos plutôt que de vouloir être fidèle au « réel ».

Car Terence Davies retrouve là de nombreux thèmes de sa filmographie pour réaliser un film qui lui appartient avec une histoire qu’il s’approprie. A commencer par le portrait d’une famille sous l’emprise d’un père dominant dans un cadre sociologique oppressant. Si la figure centrale est connue, cela pourrait être aussi bien l’histoire d’une anonyme.
Emily Dickinson, A quiet Passion aborde ainsi la vie et l’œuvre d’une femme qui doute de sa foi, qui est dotée d’une érudition et d’un esprit riche, qui s’évade dans sa poésie et va voir la vie lui échapper.

Car au fil des ans, la rebelle Emily va passer de la lumière à l’obscurité, d’une vie assez enjouée et pleine d’espérance à un quotidien reclus et rempli de souffrance. Le sourire va s’effacer tandis que sa révolte va se murer derrière le silence. Son asociabilité va croître. Vêtue uniquement en blanc, comme pour conjurer le mauvais sort qui lui est fait, son physique va prendre l’aspect de sa philosophie de vie : sèche, rigoureuse, malheureuse. Terence Davies et Cynthia Nixon accompagnent parfaitement ce processus d’étiolement. La jolie fleur fane et meurt.

Emily Dickinson n’aura jamais soigné ses névroses et ses angoisses, n’ayant jamais supporté la mort de ses proches comme l’abandon de ses amis. Ermite refusant de vivre, ou préférant regarder la vie à distance, la poétesse a attendu le bonheur et n’a finalement construit que son malheur. A ne pas vivre, à ne pas aimer, à préférer digresser ou écrire, à refuser tous vices et à chercher trop de vertus, Dickinson a su capter l’existence et son désir d’immortalité dans ses poèmes, mais à quel prix ? Outre ses sacrifices personnels, toute entière dédiée à ses parents et sa sœur, elle a éprouvé sa quête d’éternité et de quiétude tel une martyr au quotidien, comme si elle vivait une passion christique, plutôt que de s’abandonner aux joies offertes. L’espoir s’est mué en désespoir à être trop exigeante et pas assez confiante, en s’imposant un enfermement quand on lui proposait une promenade dans le jardin. Cela donne un portrait de femme assez poignant et même universel.

Sur la forme, le cinéaste apporte un soin particulier aux clairs obscurs, aux détails du comportement, aux jeux de regards. C’est bien le regard de sa protagoniste principale qui sert de focale. Les visiteurs qui patientent en bas de l’escalier sont filmés en plongée, tel qu’Emily Dickinson, oracle inatteignable, pourrait le voir de sa chambre.

Le film peut paraître long, à l’instar d’un calvaire vers les enfers. Le réalisateur a l’audace de vouloir prendre son temps pour installer le déclin de cette femme si brillante et peut-être trop moderne (comme ses écrits), étouffée par les hypocrisies, les ignorances, les convenances d’une société très religieuse (et très austère) et très patriarcale (et peu féministe). Terence Davies, comme Ivo M. Ferreira dans Lettres de la guerre, juxtapose ainsi le déroulé de la vie d’un auteur dans une époque chaotique et liberticide (un épisode ou tout un cycle), la psychologie tourmentée et malheureuse d’un écrivain (traducteur du monde et de nos existences) et les mots de ces poètes (correspondance, poésie ou roman, peu importe) en voix off. Ce mélange de trois formes (la narration, le jeu et le texte) dans un cadre esthétisé produit une œuvre plus complexe qu’il n’y paraît et encore plus séduisante à qui sait apprécier la beauté lyrique du macabre.
 
vincy

 
 
 
 

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