Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Un monstre à mille têtes (Un Monstruo de Mil Cabezas)


Mexique / 2015

30.03.2016
 



PIÈGE INFERNAL





« Elle était désespérée pour son mari… c’est évident. »

Le cinéaste mexicain Rodrigo Pla a le sens de la concision. Son Monstre à mille têtes est un drame intense, serré, qui nous tient, tendu, durant 75 minutes. Dans ce labyrinthe urbain, il sillonne non seulement la ville, entre appartements des classes populaires et villas cossues d’une métropole, mais il explore aussi les inégalités de traitement selon si on est pauvre ou riche. Ce pouvoir de vie ou de mort selon qu’on est nantis en haut de la pyramide ou asservis en bas de l’échelle. Cette fracture sociale qu’il décrypte davantage avec la force de ses images et de son scénario qu’avec des dialogues didactiques est évidemment une bombe à fragmentation qui va exploser à la gueule de tout le monde.

Un monstre à milles têtes est assurément l’un des « thrillers » les plus percutants de ces derniers mois. Parce qu’il a du fond évidemment, en dénonçant l’injustice et la corruption dans le domaine de la santé. Mais aussi parce que la forme lui donne du sens avec un point de vue acéré et sans concessions où la désespérance d’une épouse qui voit son mari mourir, faute de traitement remboursé par une assurance qu’elle paye, se mue en folie « criminelle ». Le chaos humain

Le spectateur est emporté dans un véritable tourbillon infernal. A chaque étape, le délit initial, mu par de bonnes intentions, se métamorphose en fuite en avant vers le pire. Jusqu’à la prise d’otage ultime qui pourrait être fatale.

Narration habile et complexe

Au bord de l’épuisement, l’épouse et mère de famille, prête à tout, trouve l’énergie nécessaire, qui brouille cependant la réflexion, pour essayer de sauver son mari. Mais pour maintenir en haleine et parvenir à un récit musclé sec comme celui du Monstre à mille têtes, le réalisateur utilise une astuce : un découpage à trois dimensions. Il y a la voix off, qui ici ne nous raconte pas ce que l’on voit ou ce qu’un personnage ressent. Elle est dans le présent et n’est rien d’autre que ce qu’il se passe au procès.

Habituellement, un procès est une sorte de paroxysme pour un final, avec verdict à la clef. Ici nul verdict. Juste les échanges froids dans une cour de justice, qui rappellent les faits. Parallèlement, les images racontent ces faits. Mais elles démultiplient le point de vue. On peut ainsi avoir une même scène filmée à deux moments différents, avec deux personnages distincts comme point d’observation ou témoins. Enfin, Rodrigo Pla s’amuse avec nos nerfs en ne montrant pas toujours le plan qui révèlerait la suite des événements. Il faudra un flash-back ou, plus subtilement, notre intelligence, pour saisir l’entièreté de la séquence. Parfois, il ne montre même pas plus que ce qu’un voyeur lointain pourrait percevoir. Quand l’héroïne fouille dans ses cartons, au début du film, personne ne voit ce qu’elle a trouvé. On comprendra bien plus tard l’objet, qui déclenchera son malheur.

Système détraqué, femme traquée

En maîtrisant parfaitement cette narration imbriquée, durant une traque à rebondissements, le cinéaste sait créer le suspens nécessaire pour nous scotcher, tout en ayant des sentiments mêlés face une femme révoltée dont on comprend les motifs mais dont les actes sont clairement répréhensibles. Son harcèlement est motivé. Rodrigo Pla nous met ainsi, insidieusement, de son côté, dans une position inconfortable, pas morale. C’est aussi ça qui est presque jouissif dans son jeu pervers. Nous prendre au piège de cette mécanique terrible qui nous contraint à être partisans.

Alors que la situation dégénère (chantage ; pression ; intrusion ; menace avec arme à feu…), que l’histoire devient cruelle et que l’injustice risque d’être affreusement totale, on ne peut s’empêcher de constater que l’erreur est humaine, des deux côtés, et que ce n’est pas forcément l’humain, souvent plus bienveillant que pourri, qui est en cause, même le système.

Car le monstre kafkaïen à mille têtes c’est ce système aveugle et sourd, inhumain, qui utilise l’actionnaire comme le médecin pour se goinfrer de fric au détriment de la vie de ceux qu’il est censé protéger. L’horreur économique est absolue. La victime est jugée coupable. Et toute la société est complice. Constat cynique et noir, mais, hélas assez réel. C’est ce qui rend le film à la fois engagé et glaçant.
 
vincy

 
 
 
 

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