Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Une chinoise (She, a chinese)


/ 2009

08.09.2010
 



PLAISIR INCONNU





"- Comment peut-on gagner de l’argent ?
- Barrez-vous d’ici, il n’y a aucun avenir.
"

C’est une jeune fille comme le sont celles de sa génération, quel que soit leur lieu de naissance. Monolithique, apathique, déterminée. Avide de vie brute, immédiatement accessible, mais dénuée d’idéal ou de revendication. Tout au moins ne les exprime-t-elle jamais, et Guo Xiaolu s’abstient de toute psychologie, laissant au spectateur le soin de décrypter à sa manière le comportement de son héroïne.

Mei s’ennuie donc à mourir dans son village natal, occupant son temps entre les tâches ménagères et son petit boulot d’hôtesse dans un billard. Si désœuvrée et désabusée qu’elle est prête à suivre le premier venu au cinéma ou au karaoké. N’importe quoi pour échapper à une existence que l’on devine pire que monotone : totalement vide. De rencontre en déconvenue, d’échec en ras-le-bol, elle va découvrir autre chose : d’autres lieux et d’autres gens, mais en gardant un même visage fermé, une expression mélancolique et absente. Peut-être plus spectatrice qu’actrice de sa propre vie. Ou alors uniquement dans un second rôle…

Et il y a quelque chose de fascinant dans ce personnage entier, peu aimable, et totalement étranger à toute idée de concession ou même de séduction. Mei n’essaye de plaire à personne, pas plus à son futur mari qu’au spectateur. Il faut la prendre telle qu’elle est ou la rejeter en bloc. La question se pose réellement, notamment dans la partie occidentale du film, où un léger flottement dans la narration la rend encore plus difficile à suivre et à comprendre. Pourtant, il faut s’y résoudre, Mei ne sera pas une Cendrillon moderne trouvant l’amour et le confort de l’autre côté du Pacifique. Trop libre, trop radicale pour cela.

Une certaine jeunesse chinoise

En plus d’un magnifique portrait de femme, à contre-courant des stéréotypes, Guo Xiaolu fait à travers l’errance de son héroïne le tableau d’une certaine jeunesse chinoise, désabusée et sans espoir, au sens non pas de désespérée, mais n’attendant rien de la vie… peut-être de peur d’être déçue. On a déjà vu de tels personnages, post-adolescents à la dérive, incapables de trouver une place dans le monde comme dans leur pays, dans les premières fictions de Jia Zhang-ke (Plaisirs inconnus, The world).

Et l’on retrouve dans Une chinoise ce flottement, cette impossibilité d’être ici et maintenant qui se traduit notamment pour Mei par une inexorable fuite en avant. Comme nombre de ses compatriotes, elle cède tout d’abord aux sirènes de l’exode rural, puis à celui de l’exil. L’occasion pour la réalisatrice de faire un état des lieux au vitriol de ces "solutions" : en ville, Mei trime à l’usine avant d’échouer dans un lieu de rencontres déguisé en salon de coiffure. Ouvrière ou prostituée, que peut faire d’autre une jeune campagnarde peu éduquée et non mariée ? A Londres, elle survit de petits boulots et partage une chambre minable avec d’autres asiatiques à qui elle ne parle pas. Car sa plus grande particularité est de rester toujours seule. De n’éprouver aucun sentiment d’appartenance (même simulé) qui la pousserait à intégrer un groupe. De cette sorte d’intégrité, Guo Xiaolu fait un porte-étendard parfois lourd à porter, et qui la stigmatise aux yeux des autres. Au passage, la cinéaste montre cet effet secondaire de l’exil qui pousse les individus à exalter tout à coup des valeurs communes qui jusque-là leur étaient indifférentes. Ainsi Rachid qui se met à lire le Coran. Mei, elle, ne croit qu’en son ipod, rageusement vissé sur les oreilles.

Pourtant, il ne faudrait pas s’y tromper, il y a aussi de la légèreté et même de la douceur dans une Chinoise (la plus belle séquence étant celle où Mei connaît fugitivement l’amour auprès d’un tueur à gages au bout du rouleau), sans oublier quelques notes d’humour. Notamment le chapitrage qui, en douze cartons de type « Peut-on aimer un homme qui a de grosses lunettes ? », apporte l’ironie douce-amère nécessaire à l’équilibre du film. Sans cette distanciation salutaire, peut-être le film comme l’héroïne auraient définitivement sombré dans la mélancolie. Là, seul le spectateur succombe, emporté par la divine musique de John Parish et le visage impénétrable de Huang Lu.
 
MpM

 
 
 
 

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