Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Rudo et Cursi (Tough and Corny)


/ 2007

01.09.2010
 



FRERES ENNEMIS





« On dit que les premières guerres sont nées entre frères et qu’on a inventé le sport pour les éviter. »

Après cette Coupe du Monde de football plutôt déplorable et rocambolesque côté français, il n’y a pas à dire, Rudo et Cursi tombe à pic. Carlos Cuaron, le réalisateur, évoque ici les méandres de ce sport et les déconvenues des joueurs quand la célébrité les atteint trop rapidement : drogues, jeux, argent et filles faciles.

Maigre consolation côté français : on parle ici de joueurs mexicains, les mêmes que ceux qui nous ont ridiculisés en juin dernier. Ici le foot est un mélange de jeu, d'enjeux, de paris, de corruption, de passe-droits... Mais ce sport ayant pris trop de place sur le devant de la scène ces derniers temps, parlons plutôt cinéma. Car si Rudo et Cursi ne tourne pas qu'autour d'un ballon rond, ascenseur social absurde qui remet son destin en jeu entre le hasard, la chance et le talent.

Le réalisateur parvient en effet à rassembler autour d’un sport universel qui joue un rôle majeur pour les personnages du film, mais pas forcément pour le spectateur. Pas la peine d'être fan de foot pour plonger dans le film : il n’est qu’une porte qui ouvre sur autre chose. A commencer par l’histoire de deux frères ennemis, Abel et Caïn des temps modernes. Leur dualité est très bien montrée à l'image. En effet, souvent seuls dans le plan, protagonistes d'un champ/contre-champ, ils ne se retrouvent tous les deux dans un même plan qu'à la fin, lorsqu'ils sont réconciliés. L'un chante ridiculement, l'autre se gratte les couilles en permanence. Gael Garcia Bernal et Diego Luna s'amusent avec leurs personnages de ploucs un peu candides et déploient tout leur professionnalisme pour nous charmer.

Tous deux en proie à une certaine forme de jalousie, ou d'envie, ils sont prêts à tout pour que leur mère ait une vie de rêve et soit heureuse. Il est vrai que la famille, les liens qui unissent les personnes du même sang, sont toujours le terreau de la tragédie, depuis l’Antiquité. Cependant, Rudo et Cursi n’est pas réellement une tragédie. On navigue plutôt de ci de là entre drame et comédie, burlesque et tension. La séquence du bizutage est dédoublée : celle pour Cursi (fleur bleue) finit avec un mur de culs nus devant son visage, stupéfaits de voir des sportifs se branler sur lui ; celle de Rudo termine en baston à cause d'une savonnette. L'un est sensuel, l'autre pas. Toutes ces petites différences les rendent humains. Mais ils ne seraient rien sans le narrateur, leur agent, mélange de roublard et de grand coeur, de baratineur et de baiseur.

Le film est vif, malgré quelques langueurs. La réalisation est sobre. Le réalisateur parvient à donner un style énergique au film. Les scènes très drôles – notamment le clip musical culte de Cursi – alternent avec d'autres, bien plus dramatiques. Mais tout semble raccord. La mise en scène et le jeu des acteurs sont fluides. La direction artistique souligne leur mauvais goût flagrant de nouveau riche. On sent que Carlos Cuaron a tenu à faire passer des sentiments nobles, de la compassion, de l’authenticité. Du coup, le spectateur se laisse embarquer facilement dans ce divertissement. D’autant plus que les personnages sont attachants. Ils rêvent de Texas, de mixer, de téléphone, d'une belle maison, se font des entourloupes, s'insultent, rivalisent... Il y a une empathie naturelle malgré leur connerie crasse. La cigale et la fourmi, mais là, Jean de la Fontaine aurait plutôt employé le langage de Rabelais : "Et qui va me chercher un pack de bières bien fraîches, aussi glacées que les nichons d'une nonne?!"

L'affrontement dans le stade – à la fin – entre les deux frères marque la qualité de Rudo et Cursi. Elle représente à elle seule le combat ardu entre les deux frères, dans le football et dans la vie. Un malentendu et c'est deux destins qui dévient. Car au final, ce sport ne sert ici qu'à filer la métaphore. Le football est la vie avec ses cartons rouges, ses penaltys, ses succès et ses échecs. Descente aux enfers nécessaire. Cela n'empêche pas au film de montrer un Mexique réaliste (le village est coupé de la civilisation, Mexico City est un monstre hideux), un pays gangréné par la mafia et pourri par l'argent, obstruant tout accès à un bonheur simple et moral. Cynique?

En tout cas, la comédie sympathique s'avère un drame tragique où un frère "crucifie" l'autre au cours d'un match aux enjeux multipliés. Et ce n'est pas tant la trajectoire du ballon, qui décidera de tout, qui nous intéresse. Ce duel sur la pelouse est un classique du genre. Il y aura forcément un perdant. Non, Cuaron décide de filmer tous les visages des fans, des spectateurs, cette frénésie irréelle, folle, qui reflète l'aliénation d'un peuple et justifie tous les gestes immoraux et illégaux qui enrichissent les joueurs, les coachs, les agents ... bref tout un système qui broiera les deux frères innocents.
 
Anne-Laure

 
 
 
 

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