Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



Ailleurs
Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary
Effacer l'historique
Ema
Enorme
La daronne
Lux Æterna
Peninsula
Petit pays
Rocks
Tenet
Un pays qui se tient sage



J'ai perdu mon corps
Les misérables
The Irishman
Marriage Story
Les filles du Docteur March
L'extraordinaire voyage de Marona
1917
Jojo Rabbit
L'odyssée de Choum
La dernière vie de Simon
Notre-Dame du Nil
Uncut Gems
Un divan à Tunis
Le cas Richard Jewell
Dark Waters
La communion



Les deux papes
Les siffleurs
Les enfants du temps
Je ne rêve que de vous
La Llorana
Scandale
Bad Boys For Life
Cuban Network
La Voie de la justice
Les traducteurs
Revenir
Un jour si blanc
Birds of Prey et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn
La fille au bracelet
Jinpa, un conte tibétain
L'appel de la forêt
Lettre à Franco
Wet Season
Judy
Lara Jenkins
En avant
De Gaulle






 (c) Ecran Noir 96 - 24


  



Donnez votre avis...


Nombre de votes : 23

 
Gainsbourg (vie héroïque) (Un conte de Joann Sfar)


France / 2010

20.01.2010
 



LE BEAU SERGE





Cher Serge,

Le 2 mars 1991, vous avez grillé une énième cigarette et dans un dernier cliquetis de Zippo, vous vous êtes envolé telle une volute de Gitane. Avec vous, c’est tout un pan de ma vie qui s’est écroulé. Mes premiers émois cathodiques où vous dansiez La décadanse, le sexe plaqué contre le sublime popotin androgyne de Birkin. Vous, Sodome en costard Bayard ; elle, Gomorrhe en Loris Azarro. Consumés tous les deux par le même désir porno chic !
Vous, le petit Lucien Ginzburg à la Yellow star, l’étoile de shérif que vous arborez et abhorrez pendant l’Occupation. Vous, le grand Serge de Gainsbourg à Gainsbarre qui avez attendu les eighties pour être aimé par tous les « p’tits gars » de 7 à 77 ans en reggaetisant la Marseillaise. Vous, le juif russe tellement français, vous voilà épinglé, biopicturisé au royaume du septième art. Good ou bad news from the stars ?...
Plutôt good car Joann Sfar, fils de pianiste et de David comme vous, adulte aux yeux tendres et aux joues pleines d’enfance, dessinateur de BD plus que doué, relève le défi de filmer votre existence à partir de vos affirmations, affabulations, aphorismes, allitérations et tribulations. Bref, toutes les provocations de votre légende.
Comme Truffaut avec Léaud, Sfar vous pose bambin sur une plage face à l’océan de vos 400 coups. Plouf dans le tourbillon de la vie ; et vous voilà, cher Serge, devenu un héros de cartoon en maillot de bain ! On se surprend à frémir. C’est pas le genre de la maison. Chez vous, même au son disco du "Sea, sex and sun", la pudeur se drape en Repetto et en Denim. Puis, on sourit lorsque votre petit personnage croise des poissons qui traversent l’écran la cigarette au bec. Ouf, l’inventivité et l’irrévérence sont sauves !

Sur l’échelle des valeurs cinématographiques, votre biopic se tient plutôt bien. Comme vous, il a de la gueule, une certaine classe. Sans atteindre l’intensité de The Queen de Stephen Frears ou Princesse Marie de Benoît Jacquot, il nage dans des eaux beaucoup moins boueuses que Coluche, l’histoire d’un mec de Antoine de Caunes ou Sagan de Diane Kurys. Il évoluerait plutôt dans les mêmes courants que La Môme de Olivier Dahan, mais en plus ébouriffé, en plus libre.
Parce que Sfar est un créateur beaucoup plus naïf que vous - les aventures en BD du "Chat du rabbin" en témoignent - son premier long-métrage prend l’allure d’un petit théâtre où un perpétuel émerveillement se mêle aux dessins, aux marionnettes et aux images. Ophulsien parfois avec votre conscience en créature de carton-pâte, truffaldien souvent avec le regard à la Doinel d’Elmosnino, Sfar fait mouche quand il met ses rêves en branle, joue la carte du raccourci et de la stylisation extrême. Plus empêtrée dans les pages du cahier des charges imposé par le biopic, son œuvre s’embourbe quand Gainsbarre pointe le bout de son nez. Optimiste jusqu’à la crédulité, le jeune réalisateur ne semble pas alors avoir l’épaisseur psychologique ni la carrure cinématographique pour intégrer artistiquement vos zones d’ombre. Résultat, votre dernière tranche de vie sur grand écran, cher Serge, est nettement moins héroïque.

Paraître ou « par être » ?

À la sortie de The Queen en 2007, Helen Mirren déclare : « C’est dangereux d’interpréter une personnalité célèbre. Même si vous l’interprétez brillamment, vous ne deviendrez qu’aux trois quarts cette personnalité. Et si vous êtes nul, c’est sans appel. Dans ce genre d’exercice, gagner est impossible. Absolument impossible ! ». Elle a raison, même si « son » Elizabeth II, car il s’agit bien de la sienne, frôle la perfection. Quelle chance ont les Isabelle Adjani/Camille Claudel, Catherine Deneuve/Marie Bonaparte, Jeanne Balibar/Peggy Roche dans Sagan, d’incarner les contours de figures peu ou pas connues du grand public !
Quand le biopicturisé est célèbre, n’avez-vous pas comme moi la fâcheuse impression que l’interprète endosse un déguisement ? Que cette mascarade est un passage obligé pour « ressembler à » alors que le propre du jeu de l’acteur est de parvenir à « être » dans un élan constant de digestion et de régurgitation du paraître ?
Ce « par être » interposé qu’exige le biopic impose au spectateur un triple « je » : celui du comédien, celui du personnage réel et celui du rôle, amalgame hybride qui résulte de l’alchimie d’un mensonge (la composition de l’acteur) et d’une vérité (l’apparence et le caractère du biopicturisé). Ces trois prismes brouillent les pistes, multiplient les obstacles, invitent et incitent parfois le comédien à l’esbroufe. Dans ce cas, l’interprète tient à distance le spectateur qui ne peut accéder à la source de l’émotion. Résultat : l’acte du jeu, celui d’être, est tari par le « par être » du triple « je ».

Freaks ou la parade talentueuse

Même si les prochaines lignes me contredisent, je tiens à saluer le courage des interprètes qui entourent Eric Elmosnino. Malgré leur talent, le triple « je » du biopic n’est pas sans conséquences pour certains. Sarah Forestier campe une France Gall niaiseuse et trépignante ; sorte de Shirley Temple franchouillarde biberonnée par un père imprésario vampire dont les dents rayent le plancher. Navrant.
Idem pour Mylène Jampanoï, pâlotte Bambou dont l’épaisseur du rôle équivaut à celui d’un papier à cigarette. Inutile.
Par bonheur, Anna Mougladis se révèle bien plus Gréco que Coco. Elle envoûte la caméra quand elle apparaît si belle… phégorienne ! Elle commence par parler à un chat noir, puis s’abandonne entre les bras de la créature le temps d’une Javanaise. Sa Juliette existentialiste s’est fait la coupe de Louise Brooks, évolue fatale dans les ocres et les pourpres avec la langueur d’une Cyd Charisse échappée d’Un américain à Paris. Ensorcelant.
Le chemin birkinien de la regrettée Lucy Gordon s’avère plus escarpé. Cependant, elle irradie d’une aura incandescente le temps d’une chanson méconnue : Le canari est sur le balcon, devenu "Help camionneur" sur l’album Di doo dah. Ironie du sort, les paroles racontent les préparatifs d’un suicide d’une jeune fille en fleur. Toute de blanc vêtue, Jane B en marcel et culotte Petit Bateau, murmure la mélodie dans un mélange de candeur et d’orgueil. Soudain, elle se ravise et suggère à son amant de changer son look trop Swinging London au profit d’une dégaine Par hasard et pas rasé devenue iconique. Cette séquence est la plus troublante du film car elle pointe l’ambition conjuguée de ces deux-là à une époque où Jane, star du cinéma français, faisait bouillir la marmite de la rue Verneuil. Vous étiez alors, cher Serge, en passe de devenir Mister Birkin. Informatif.

Gainsbourg et son Gainsborough

Et Eric Elmosnino dans tout ça ?... Ce grand acteur de théâtre se glisse dans la peau de son personnage sans rien trahir de la première intention de Joann Sfar : montrer la timidité maladive de son héros que les rencontres façonnent le plus souvent pour le meilleur. Ainsi, lors d’une beuverie avec un Philippe Katerine plus Vian que vrai, le jeune Serge étourdi finit la nuit dans un antre jazzy digne des Aristochats. Sa grâce lunaire est alors convoitée par quatre bonhommes moustachus asexués en justaucorps bicolores : Les frères Jacques !
Avec sa main à six doigts - clope héroïque oblige – Elmosnino adopte l’élégance de vos gestes, cher Serge, très « grand prince slave ». Composition en creux intensifiée par une créature pleine d’extravagance. Bonne et mauvaise conscience, Faust et Nosferatu à la fois, taille élancée, pif immense de juif, ce géant de marionnette déambule en frac et en queue de pie. Enflamme les toiles de Lucien Ginzburg. Plonge Serge Gainsbourg dans l’univers yéyé. Une telle influence finit dans les flammes où le visage calciné de la créature montre le regret éternel de presque tous les hommes : celui d’être autre chose que ce qu’ils auraient voulu être.
Enfin, il y a la petite merveille du film. Un moment de grâce inouï qui vaut à lui seul le déplacement : Laetitia Casta. J’ose écrire LA Casta qui incarne BB à la plus juste distance - c’est-à-dire au service d’une œuvre et non d’une composition - sans faire oublier qui elle est et qui elle incarne. Le verbe « incarner » prend tout son sens tant sa chair et celle de Bardot respirent la même vitalité, la même sensualité, les mêmes rayons du soleil. Une chorégraphie avec un drap blanc sur "Comic strip" embrasse dans un même élan de nudité Et Dieu créa la femme, Le Mépris et Je t’aime moi non plus. À deux générations d’intervalle, ces deux Mariannes là sont plus que raccords. Elles sont « corps raccords » !
Voilà le topo, cher Serge, de votre ciné bio. À part ça, la terre continue de tourner sans vous. Un peu plus consensuelle qu’en votre temps, mais beaucoup résistent pour fumer encore et provoquer en douce. Où que vous soyez, n’y soyez pas trop en paix, ce serait chiant, mais s’il vous plaît, ne laissez pas trop Gainsbarre étouffer Gainsbourg. Je vous embrasse en murmurant ces vers de vous que j’aime tant, autant que je vous aime :
Dépression au-dessus du jardin
Ton expression est au chagrin
Tu as lâché ma main
Comme si de rien
N’était de l’été c’est la fin
Les fleurs ont perdu leur parfum
Qu’emporte un à un
Le temps assassin…

 
benoît

 
 
 
 

haut