Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



Ailleurs
Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary
Effacer l'historique
Ema
Enorme
La daronne
Lux Æterna
Peninsula
Petit pays
Rocks
Tenet
Un pays qui se tient sage



J'ai perdu mon corps
Les misérables
The Irishman
Marriage Story
Les filles du Docteur March
L'extraordinaire voyage de Marona
1917
Jojo Rabbit
L'odyssée de Choum
La dernière vie de Simon
Notre-Dame du Nil
Uncut Gems
Un divan à Tunis
Le cas Richard Jewell
Dark Waters
La communion



Les deux papes
Les siffleurs
Les enfants du temps
Je ne rêve que de vous
La Llorana
Scandale
Bad Boys For Life
Cuban Network
La Voie de la justice
Les traducteurs
Revenir
Un jour si blanc
Birds of Prey et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn
La fille au bracelet
Jinpa, un conte tibétain
L'appel de la forêt
Lettre à Franco
Wet Season
Judy
Lara Jenkins
En avant
De Gaulle






 (c) Ecran Noir 96 - 24


  



Donnez votre avis...


Nombre de votes : 8

 
Ben X


Belgique / 2007

19.03.2008
 



GAME OVER





"Combien faut-il avoir de raisons pour se suicider ?"

Personne n’aurait osé parier sur une intrigue abordant à la fois le harcèlement physique et moral, l’adolescence, l’autisme et le suicide. Trop de sujets graves d’un coup et pas assez de glamour. Et pourtant, après un premier roman reconnu et une pièce de théâtre unanimement saluée, c’est la troisième fois que Nic Balthazard s’attelle avec succès à ces thèmes qui lui tiennent à cœur. D’où, sans doute, l’impression d’aboutissement et de complétude que l’on ressent à la vision du film. Comme s’il avait tout simplement trouvé la meilleure manière possible de parler de souffrance, de désespoir et de solitude, sans sonner faux ni sembler mélodramatique.

Cela tient avant tout à la construction très habile qu’il a choisie, une trame narrative sous forme de flash-back entrecoupés de témoignages face caméra qui ne laissent aucun espoir sur l’issue du combat intérieur mené par Ben. La multiplication des points de vue donne une bonne idée d’ensemble. Pas besoin de connaître l’issue exacte du drame pour deviner que Ben court au devant du drame, et imaginer des scénarios-type : suicide, vengeance sanglante, mort violente. Le réalisateur, bien sûr, joue avec les schémas que l’on a tous en tête mais aussi, hélas, avec la triste réalité. L’histoire n’est-elle pas inspirée d’un fait divers ?

Fausse piste

Il y a le fil conducteur des jeux vidéo, aussi. Dès les premières scènes, on découvre Ben X, l’avatar de Ben dans le jeu en ligne Archlord. Grand, beau et fort comme sait l’être ce genre de personnage virtuel, et surtout armé jusqu’aux dents. Observant ce double exceptionnel devant son écran, Ben se sent fort et important. Puis c’est l’heure de partir au lycée, il se regarde dans la glace, et est chaque jour déçu et triste de n’y découvrir que son propre reflet. Nic Nalthazard file la métaphore du jeu vidéo tout au long du film, incrustant dans l’image réelle des captures d’écran d’Archlord. Lorsque Ben est en danger, on voit ainsi apparaître une scène de confrontation entre Ben X et des monstres d’Archlord, et s’il se sent impuissant à réagir, c’est son "inventaire" virtuel qui est sollicité, celui où son personnage stocke ses armes. Le parallèle entre les situations du jeu et la réalité semble au fil de l’histoire de plus en plus flagrant et, inévitablement, confirme notre soupçon. C’est triste à dire, mais la violence semble devoir être la seule arme possible de Ben, qu’il la dirige vers lui ou vers les autres.

Sauf qu’en fait, pas du tout, et deux indices nous mettent peu à peu la puce à l’oreille. D’abord une scène très légère et très joyeuse où Ben et son amie passent en revue les différentes manières de se suicider. Sans dramatiser, avec beaucoup d’humour, le réalisateur désactive chacune des possibilités : le poison, la pendaison, le fait de se jeter sous un train… Rien ne fonctionne. Un tel plaidoyer ne cadre pas avec la direction qu’on imaginait le film prendre, et l’on se rend compte tout doucement que l’on est juste sur une fausse piste.

Allégorie

D’ailleurs, à y regarder de plus près, le jeu vidéo a dans le film la fonction exactement inverse de celle que l’on pensait au départ. Ben n’utilise pas Archlord pour se refermer sur lui-même, mais au contraire pour comprendre le monde qui l’entoure. Le jeu structure ainsi la réalité, lui donnant un aperçu des codes à respecter et des règles à adopter, comme un outil de socialisation qui parlerait enfin le même langage que lui. C’est également une métaphore du monde parallèle dans lequel le personnage se sent enfermé du fait de sa maladie. Malheureusement pour lui, la vie n’est pas un jeu vidéo. Les rapports humains n’y sont pas aussi simples, et l’éventail des possibles aussi restreint. Pourtant, c’est quand même de cet univers virtuel presque simpliste que viendra la vraie solution à son problème. Une solution faisant appel à deux valeurs chères aux gamers : l'action collective et la stratégie.

A cette observation fine de l’univers dans lequel évoluent les personnes atteintes d’autisme, le réalisateur ajoute une mise en scène carrément conçue pour donner au spectateur un aperçu de ce ressenti : verticalité agressive des bâtiments contre lesquels il semble se heurter, brouhaha incessant qui envahit la tête et brouille l’esprit, gros plans sur des détails qui envahissent l’écran et empêchent d’avoir la moindre vue d’ensemble… On ressent l’angoisse de Ben, sa solitude, son extrême vulnérabilité, mieux que si elle était exprimée uniquement par des mots ou par des anecdotes. On ne voit plus Ben, on est Ben, l’espace de quelques instants.

Et pourtant, Nic Balthazard ne réalise pas tant un film sur l’autisme qu’une allégorie à la portée universelle sur l’adolescence, ce moment de la vie où l’on a plus que jamais le sentiment de venir d’une autre planète et de ne pas appartenir à la société. Plus largement, il met en exergue la solitude et l’isolement qui découlent de la différence, quelle qu’elle soit, et nous fait nous interroger sur nous-même. A quel degré de souffrance faut-il en arriver pour que les gens s’intéressent aux autres et essayent de les aider ? Quand il y a un danger de mort et que c’est trop tard… Et si finalement, l’autiste, ce n’était pas Ben, mais bien la société incapable d’éprouver la moindre empathie pour ses membres ?
 
MpM

 
 
 
 

haut