Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Elizabeth l'âge d'or (Elizabeth : The Golden Age)


Royaume Uni / 2007

12.12.2007
 



CE PERSONNAGE EN CATE D'HAUTEUR





"- Je trouve l'impossible bien plus intéressant".

Le premier Elizabeth avait encore les tonalités bollywoodiennes de son cinéaste. Un aspect kitsch qui pouvait séduire ou déplaire. Mais, déjà, la lecture historique des événements, la vulgarisation des enjeux politiques d'un point de vue dramatique, l'interprétation incarnée et théâtrale des comédiens, avaient fait de cet "épisode I" une oeuvre marquante, et même culte, pour l'époque. J'écrivais alors : "Sous le vernis de la flamboyance se cache la brutalité du pouvoir. Glacial."
Le second Elizabeth bénéficie d'un énorme atout : le conflit avec l'Espagne. Nous passons d'une rivalité "adolescente" entre deux futures puissances, la France et l'Angleterre, les meilleures ennemies, à une bataille plus adulte entre l'Empire dominant, l'Espagne, et celui aspirant. Le film démontre avec une limpidité exemplaire comment l'Angleterre Elizabethaine a lutté contre l'influence catholique, et par conséquent imposé son esprit protestant, mais aussi comment ce Royaume insulaire a pu muer en Empire en anéantissant l'orgueil hispanique. Shekhar Kapur parvient à cette clarté historique en se reposant sur des icônes (orgueilleuses) symbolisant parfaitement chacune des parties adverses.
Elizabeth la protestante et son pragmatique Wilsingham contre les catholiques Isabelle et Marie Stuart, manipulées par Philippe II. Car Elizabeth ne fait jamais que reproduire le succès d'Isabelle de Castille avec Christophe Colomb lorsqu'elle finance les folies aventurières de Walter Raleigh. Colomb avait été la première étape de l'impérialisme et l'enrichissement de l'Espagne. Raleigh, qui aura finalement autant d'importance que Francis Drake dans l'Histoire de l'Empire, sera son équivalent pour l'Angleterre en colonisant la Virginie en Amérique du Nord. Clive Owen interprète idéalement ce favori de la Reine, aussi bien pirate, poète que politicien. Tout ce qui semble romanesque est pourtant historiquement vérifiable. De la punition de Raleigh pour avoir mis enceinte une demoiselle de sa cour à la manière dont l'Armada espagnole échoua à atteindre les côtes anglaises. Les trahisons sont légion. Les tourments font liaison. Pour cette toile où les complots forment un pige parfait, où les petits faits formeront la grande guerre, il fallait un casting incontestable, c'est le cas, capable d'être second rôle, au service de l'héroïne, Cate Blanchett. Difficile de se confronter à cette Femme, terrifiante, impressionnante, saisissante, même immobile sur son trône.

Il faut prendre un peu de temps. Les deux films n'existeraient pas sans le charisme de cette comédienne. Honnête, courageuse, enragée, troublée, de mauvaise foi, rationnelle, passionnelle, rêveuse, dure, injuste, intuitive, déterminée, dubitative, fébrile... elle parvient à rendre cohérentes toutes les contradictions de cette Reine hors du commun. Elle est crédible en femme amoureuse comme en chevalière belliqueuse, en souveraine contrainte comme en séductrice frustrée. She is the Queen. Le centre de l'oeuvre, son objet comme son sujet. Blanchett fait oublier la mise en scène stylisée de Kapur en insufflant son propre rythme, ses propres tonalités. Elle impose sa sensibilité, son interprétation (sa lecture) du personnage à un cadre, une image, un montage qui finalement doit s'adapter... Elle sort ainsi le film de son genre (une épopée historique) pour en faire un portrait moderne d'une femme de pouvoir, presque libre mais obligée de vivre parfois ses désirs par procuration.

Le réalisateur a d'ailleurs soigné, amélioré son style, pour se rapprocher d'un point de vue volontairement moral, subjectif. Ultra coloré, mais moins baroque, le second opus s'offre des nuances plus dorées ou argentées et douces, contrastant parfois les ambiances immaculées à celles complètement noires. Le rouge ne reviendra qu'avec la condamnation de Marie Stuart (la grande scène de Morton). Le pourpre de l'opulence, le feu de la guerre s'invitent dans un film qui ne voit jamais l'histoire en noir et blanc, mais bien une confrontation violente et franche entre des égos affirmés. Autant en emporte le sang. Et même quand il s'agit de sentiments, d'un simple baiser par exemple, la tension ne manque pas. Notons d'ailleurs que la musique épouse très bien chacun des enjeux.
Kapur maîtrise très bien son script et lui donne une dimension presque fantastique. Il joue sur les déformations optiques, les flous qui montrent bien que la vérité n'est pas si nette. Mais les plus beaux plans sont ceux où l'individu est noyé dans un décor le dépassant, où l'architecture des palais et des églises écrasent la simple existence, la renvoyant à sa solitude, à son insignifiance, relativisant avec évidence son pouvoir a priori immense. La grandeur de l'édifice, qui parfois occulte une grande partie de l'écran, réduit l'Homme. De la même manière, lorsque la Reine réfléchit à une contre-attaque maritime contre l'Armada de Philippe II, il y a ce plan hypnotisant, où la Reine piétine une carte dessinée au sol - illustrant ainsi son pouvoir divin - et fait face à une maquette immense d'un bateau représentant toute la flotte espagnole. Elle contre eux. Un duel choc de civilisations avec une traduction aussi sobre qu'impressionnante. D'ailleurs le cinéaste ne rate pas le rendez-vous. De ce cheval blanc s'échappant des flots au naufrage sublime des navires, l'onirisme transcende la froideur de cette Reine rousse, exaltée par une foi qui n'a rien de mystique. Elle a en elle cette répulsion de l'obscurantisme et son aveuglement, elle refuse d'avoir cette peur, qui "engendre la peur". Dans Elizabeth, Kapur montrait comment elle éconduisait ses soupirants français comme espagnols. Elle paie cash la facture de l'humiliation et du rejet ressenti par Philippe II d'Espagne. L'histoire se répète : les guerres ne sont que l'expression violente des rancoeurs d'un pays ou de son chef.

Cet âge d'or se conclut donc sur le triomphe, l'avènement d'un mythe. Elle avait conquis le pouvoir, désormais elle peut conquérir le monde. Y aura-t-il un épisode trois? Celui du déclin, qui coïncide justement avec cette période glorieuse, avec cette dévastation de l'armée espagnole? Car Elizabeth, femme émancipée avant l'heure, sans mari, sans enfants, verra son règne finir dans la misère (une crise agricole et donc du pouvoir d'achat), la terreur (des lois sécuritaires de plus en plus contraignantes) et l'isolement (avec un entourage de plus en plus réduit et de moins en moins à l'écoute). Paradoxalement c'est aussi après la fin du film que le mythe elizabethain éclorera, avec l'émergence des artistes comme Beacon, Marlowe et surtout Shakespeare.
Une fois n'est pas coutume, après ce deuxième tour de piste, on en réclamerait bien un troisième.
 
v.

 
 
 
 

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