Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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American Gangster (American Gangster)


USA / 2007

14.11.2007
 





Le livre Bye Bye Bahia



Après l’intermède champêtre peu réussi d’Une grande année, Ridley Scott nous revient dans un exercice qu’il maîtrise plutôt bien, à savoir l’immersion dans un univers donné. Là, il s’agit du New York du début des années 70, en pleine guerre du Vietnam, entre chômage, corruption et drogue. Toujours à l’aise pour redéfinir un genre sans pour autant copier ses illustres pairs (La Chute du faucon noir, Kingdom of Heaven), le cinéaste anglais façonne des films pleins au sens graphique du terme, mais trop souvent elliptiques. Le style des formes prend ainsi le pas sur l’attachement d’un fond et fait ressortir le foisonnement visuel d’un art en lutte contre la rigueur scénaristique pourtant nécessaire. Pour American Gangster, Ridley Scott change sa nature et se contraint à privilégier le déroulement scénaristique dans sa démonstration. Le réalisateur s’efface alors, devient simple conteur, assume son statut de technicien hors pair, mais nous assommes par un opus mafieux lisse pour ne pas dire convenu. Assurément décevant comparé à nos attentes!

Nous nous posons alors la question de ce parti pris cinématographique qui condamne toute allégresse visuelle pour suivre pas à pas l’enchevêtrement des deux personnages principaux noyés au cœur d’une époque charnière. Niant le principe d’identification par refus de justification, Ridley Scott porte sa réflexion sur les travers d’une société qui s’oublie elle-même. Englué dans une intrigue factice qui dessert la portée du propos, le film est sans nul doute un essai visant à réinventer un genre fascinant qui nous aura offert, avec le western, les plus beaux antihéros du cinéma. En abordant des enjeux pourtant complexes par l’intermédiaire d’une traque peu entraînante car téléphonée dans sa deuxième partie, le cinéaste rompt volontairement avec le film de « flic » pour nous proposer une synthèse du film de gangster. Ceux-ci ne sont pas des pantins articulés qui prendraient corps dans un univers donné, mais bien les « produits » d’une société prônant la réussite individuelle dans l’ère frémissante de l’économie de marché global. Le trafic de drogue mis en pace par Frank Lucas sert à démontrer le cynisme d’une société en manque de repère, plutôt que l’ascension et la chute d’un personnage complexe issu du Sud profond.

Ecrit par le réalisateur / scénariste Stevens Zaillan, American Gangster est une reconstitution sans âme d’une Amérique à la recherche de ses valeurs. Paradoxe étrange, la volonté qui anime Ridley Scott l’oblige à composer un métrage qui prône indiscutablement l’immersion et le retrait, mais le persuade de mettre en avant ses personnages sans en développer le caractère ambigu. La mise en scène ne suit pas le foisonnement d’un scénario riche dans ses interstices, ses intentions, ses ouvertures et conditionne le film dans un montage qui n’impose ni son duo d’acteurs, ni la peinture sociale censée révéler les agissements de chacun. Comme hermétique à tout rapport transversal, American Gangster n’arrive jamais à créer la synthèse voulue, ce qui l’éloigne d’un bijoue comme Zodiac.

Tirée d’une histoire vraie, le cœur du film, celui des rapports sociaux et des luttes d’influence, est noyé dans un flot d’informations qui dénature l’idée d’une revisitation par dispersion scénaristique. Incapable de se concentrer sur les raisons de la réussite de Frank Lucas, le film n’arrive pas à montrer l’image d’une Amérique dans ses ressorts politico – mafieux et n’en donne, hélas, qu’une représentation de plus. La réalisation trop binaire dans un jeu de champ contre champ entre le flic et le voyou, n’insuffle aucune dynamique, ne rend pas suffisamment compte du changement de rapport d’une culture entre montée en puissance des médias (ère Nixon), du marché et des idéologies. Le monde des « cols blancs » devient accessible et revendiqué par chaque minorité. Confrontation sociale, politique, économique et donc sociétale, American Gangster est un essai pas transformé qui bute sur son propos : un monde dominé par les deux bouts d’une chaîne complexe où profits, intérêts et transparence se répondent.

Il aurait fallu soutenir les velléités d’un scénario en lui donnant du tranchant, du rythme et un point de vue précis quant aux raisons et circonstances de ce destin incroyable. Si Scott évite habilement le piège du copier coller en ne faisant pas du sous Coppola, Scorsese, Friedkin ou De Palma, il n’arrive pas à franchir cette étape décisive qui aurait plongé son dernier opus vers la prédominance psychologique d’une société dans ses mutations. Au lieu de cela il esquisse, soutient en retrait par peur de choisir ou d’influencer par sa mise en scène. Il ne froisse personne, ne s’interroge pas non plus et fait du sur place. Certes, la reconstitution est splendide, la scène d’action finale remarquable de maîtrise et le jeu des acteurs au diapason. Mais il manque ce point de vue morale qui aurait pu être magnifié par la trajectoire d’un Frank Lucas en nous donnant les clés de compréhension de ce qu’est devenu l’Amérique d’aujourd’hui. C'est sans doute lié à l'oeuvre même de Scott, qui n'arrive jamais à trancher entre un bien salvateur ou un mal révélateur.
 
geoofroy

 
 
 
 

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