Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Capote


USA / 2005

05.03.06
 








WRITER IN THE DARK

"- Je n'ai jamais été adepte d'une vie normale."

Capote, le film, n'a rien du "biopic" traditionnel, ce genre de feuilletons dramatisant les traumatismes de l'enfance ou accentuant les moments importants (cf Ray, Walk the Line, ou même Aviator). Entre thriller d'auteur, film politique, observation humaniste et analyse artistique, cet "essai" cinématographique (comme il y a des essais en Littérature) n'a rien de flatteur pour son "héros". D'ailleurs, pour le flatter, il préfère corrompre! "Je vous ferai savoir si c'est autobiographique ou pas" entendons nous au début. L'artiste est égocentrique, lâche, insolant, moqueur, effronté, arriviste, présomptueux, arrogant, irrespectueux, vaniteux, parfois vulgaire et n'en sort pas forcément grandit. Rien de conventionnel dans ce portrait sans concession.

Making of d'un best seller
Certes, il faut tout le talent de Philip Seymour Hoffman pour, non seulement, incarner ce personnage complexe, à la fois touchant et pathétique. Interprétation intime d'un schizophrène qui s'ignore. L'acteur, magistral, fait un show dans la peau d'une diva en perpétuelle représentation. D'une part l'entourage - son compagnon, ancrage dans le réel, comme sa meilleur amie, véritable prise de conscience - apporte un regard plus sensible; mais, surtout, en se focalisant sur une période précise, le scénario explore une phase particulière, une époque charnière. Quand nous le rencontrons au milieu de ses mondanités new yorkaises, Capote est alors au sommet de sa notoriété, people entouré de lèches cul. Diamants sur canapé, dont les soirées font furieusement penser à celles de l'écrivain, est un hit au Box Office. Pourtant, il ne va plus rien écrire durant six ans. Il ne va que travailler. Même s'il isole ce pan essentiel de la vie de l'auteur, le film réussit à dessiner le personnage, sa vie d'avant comme ses angoisses de toujours. Le cycle est détaillé sous la manière d'un tableau impressionniste : paysages désolés, visages désespérés, vie mortifiée. Rien d'historique. Nous sommes au dessus des faits... Six années d'atermoiement existentiel et de tourments créatifs, de paroles mensongères pour extorquer ce qu'il veut et de vérités renvoyées en pleine face qui le font tomber de son piédestal. Grandeur et décadence.

Capote c'est Orphée remontant des enfers et regardant une dernière fois son Eurydice (qui sera donc définitivement pendu). C'est aussi un pacte avec le Diable : certes il réussira à écrire le chef d'oeuvre (une manière de donner sens à sa vie) mais il en sortira en lambeaux (comme si son best seller l'avait vidé de son essence). Contradiction qui devient étau. Piège sans appel, incassable. Le prix à payer s'avère lourd pour l'individu. A défaut de trouver cette sacrée Vérité, aux contours indicibles, le film est juste de bout en bout car plus philanthrope que misanthrope, plus nuancé que manichéen. Car, pour une fois, Hollywood n'a rien lissé, ni glorifié. L'oeuvre est davantage le requiem d'un brillant auteur que l'éloge d'un précurseur "wahrolien" des bons clients de plateaux télé. Ici, le traitement est rigoureux, parfois trop : contrairement à son personnage, il ne veut pas séduire, s'autorise des lenteurs qui peuvent s'avérer ennuyeuses pour peu que l'on décroche. Mais il s'agissait bien de traduire le doute individuel, d'illustrer le dilemme créatif. Le blocage artistique (qui durera trois ans, longueur temporelle qui n'a rien d'anodine) révèle cependant toutes les intentions du scribouillard : pour que le livre consacre son génie, il fallait que les protagonistes du roman vérité soient condamnés et exécutés. Affreuse espérance où la générosité devient manipulatrice, où le sensationnalisme l'emporte sur l'humanisme. Cynisme. Où l'art oublie d'être politiquement correct et garde sa vocation primaire de transcender nos existences, sans tabous. "Je prie pour que ça aille dans mon sens."

Les opposés s'attirent
Cette face obscure d'une star loin d'être sympathique contraste avec les hymnes habituels embellissant les défunts célèbres. La profondeur du propos, l'ambition du discours et l'émotion qui se dégage de cette odyssée intérieure dévient notre regard vers un défi autrement plus intéressant. Le snob et chic Truman Capote, l'ami des stars, se retrouve à côtoyer le peuple, et même la plèbe des prisons. L'inspiration, ce grand mystère, lui vient en lisant un fait divers. Mais jamais il ne pouvait imaginer, dure loi de la réalité, qu'il allait fantasmer et s'identifier à un meurtrier, capable de sauvagerie et cherchant l'affection. Mère alcoolo en commun. Mais pas seulement. Freud comme Rousseau y auraient trouvé matière à leurs réflexions. Il ne s'agit pas seulement de faire parler le monstre qui sommeille en soi. L'introspection ne sert ici, finalement, qu'à trouver un équilibre à cette dualité - celle de l'artiste et celle du criminel. Equation improbable qui trouve une résolution dans une amitié irrationnelle.

Le film tombe à pic pour tenter de tisser un dialogue a priori impossible entre l'Amérique éclairée (pour certains décadente) et ce Sud et ce Midwest profond (considéré comme plouc). L'intelligence versus le bon sens. Le cynisme des mots face à la violence des actes. Les uns achètent leurs écharpes chez Bergdorf (une sorte de Bon Marché Rive Gauche), les autres leurs chapeaux chez Sears (les Trois Suisses quoi). Résumé parfais dans un salon de Manhattan : "pour un blanc du sud, écrire une sur un homo noir se tapant un juif, c'est un problème". Pour un New Yorkais, c'est banal. De la même façon établir une conversation entre un Capote, diva qui cabotine, et un tueur "de sang froid", semble irréaliste, et même infondé. Pourtant Truman Capote sait ce qu'il détient : le roman d'une vie. Obsédé par ce livre, par la trace qu'il veut laisser dans l'histoire, cette existence vouée à la posture va se révéler être une imposture. Il prétend être mais n'est jamais. Capote désirait surtout exister à travers sa médiatisation, comme n'importe quels ados actuels. Finalement quelle différence avec notre société du spectacle contemporaine, où l'image compte davantage que le contenu, où l'on se préoccupe plus de son allure que d'apprendre à gérer ses névroses. Le plus symbolique des paradoxes est bien de voir ce menteur invétéré écrire LE roman vérité de la décennie. Cette vérité devenue matière à fiction tandis que le mensonge hante les existences. La vie lui renvoie, en échange, dans son miroir, le visage d'un assassin. Un être humain avant tout. Un destin en soi. Qui est-il pour juger puisqu'ils sont plus semblables qu'ils ne le croient?

The Truman Show
Capote c'est à la fois une distance par rapport à l'individu et une défiance aux préjugés. Ce qui est dit ("franchement je ne vois pas pourquoi on en fait tout un plat") n'est pas ce qui est pensé. Les apparences sont trompeuses. En cherchant dans un réel reconstitué à aller au plus vrai, à ne pas se mettre des oeillères sur les conséquences de chacun des faits sur tous les personnages (y compris les blessures et les orgueils), le film se confronte à la morale très proche de drames comme A l'ombre de la haine (Monster's Ball), c'est à dire sans savoir véritablement qui est noir ou qui est blanc. Capote, s'il devait être jugé, ne serait ni coupable ni innocent, mais les deux à la fois en plus d'être déraisonnable mais coupable. La force du film provient de cette non résolution, de cette confusion. Ce génie littéraire était à la fois un salaud pédant et un hypersensible passionné. Le suspens est là : comment va-t-il finir? Et jusqu'au bout le film s'accroche, sans jamais déformer la réalité, sans jamais dérailler d'une narration qui nous immerge un peu plus vers l'inéluctable : Capote n'achèvera plus un seul roman après celui-là. Preuve, s'il en faut une, qu'il a été bousculé, bouleversé, transformé par cette expérience. Minable et grandiose, il a pu au moins se réjouir d'avoir touché sa bonne étoile, en fabriquant sa postérité de son vivant. Le mythe d'Icare : à trop approcher le soleil, on se brûle les ailes.

Fuyant la réalité effrayante qu'il a voulu remuer, le personnage laissera le spectateur avec ses questions : calcul ou talent, instinct ou foi. Les stratagèmes peuvent choquer. Comment ne pas être gêné de voir ces meurtriers photographiés par Richard Avedon tels des "fashion victims". Comment ne pas être troublé par cette complicité qui transgresse les classes sociales, l'éducation, la culture, les générations entre ce Truman précieux et ce prisonnier bestial. Le résultat littéraire conduit au pardon. Il n'est pas dit que Capote aurait pu faire davantage pour sauver ces tueurs. Mais la fin justifie-t-elle les moyens? "Attention à ce que tu fais pour arriver à tes fins." Après tout, le meurtre ne vaut pas plus la peine capitale... Aussi, le coupable n'est plus si monstrueux, l'artiste n'a plus rien de l'intouchable. Et l'échec humain est patent, des deux côtés. En quête d'humanité, enquête dans l'inconscient. L'émotion nous prendra à la gorge. Parce que nous mesurons tout le fossé, tout le vide qui nous reste à franchir pour arriver à une harmonie entre les Hommes, et aussi avec nous-mêmes.

L'épilogue, très bref, achèvera le suspens en forme de points de suspension. Si, pour Capote, le livre se ferme, pour le spectateur, la parenthèse ne fait que s'ouvrir.
 
vincy

 
 
 
 

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