Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Réalisateur de courts métrages reconnus et primés dans le monde entier, Jean-Gabriel Périot passe au format long avec Une jeunesse allemande, film de montage édifiant qui narre l’histoire des protagonistes de la RAF à travers des images d’époque. Extraits de films de Meins ou Meinhof eux-mêmes, apparitions télévisées, emballement médiatique suite aux premiers attentats… Le cinéaste utilise une matière riche et complexe pour raconter en parallèle le basculement d’une poignée de jeunes intellectuels reconnus dans la violence armée et la révolution des images qui s’opère à la même époque à la télévision allemande. Un documentaire captivant qui met à mal les poncifs sur le terrorisme malade et gratuit, fruit d’un long et patient travail de recherches historiques, dans lequel le réalisateur ne renie pas une certaine subjectivité.
EN : Est-ce qu’il y a des choses qui vous ont surpris dans la matière que vous avez mis au jour ?

JGP : Ce que je n’avais pas suspecté du tout, c’est le poids qu’avaient Meinhof et Mahler dans la société de cette époque-là, et qu’on voit par la télévision. Ce sont deux personnes publiques qui passent beaucoup à la télévision, ce qui est toujours le signe de gens installés. Par exemple, Meinhof, juste avant de fonder la RAF, elle participe à trois émissions en deux mois. Mahler passe tout le temps aussi, dès qu’il y a une manifestation. C’est l’avocat des étudiants, de Baader, de plein de gens… Tous les deux sont vraiment crédibles, on les interviewe parce qu’ils savent parler. Les journalistes sont respectueux avec eux. Ca dénote une place dans la société. Même Baader et Ensslin ! Le premier téléfilm sur eux passe en prime time sur la télé allemande en 1969 alors que le groupe est fondé en 1970. Après, quand on les accuse d’être un peu des Bonnie and Clyde, en même temps on les a un peu fabriqués comme des pop-stars… Eux-aussi sont des petites figures. Et ça, à ce point-là, ça m’a vraiment surpris.
L’autre chose, c’est que tant que je n’avais pas vu leur film, j’espérais qu’ils aient fait des films un peu politiques. Ils auraient pu faire totalement autre chose… Mais en fait, ils n’ont fait que des films politiques. Uniquement. Meins, il y a une seule exception, c’est son film d’entrée à l’école, où il fait une petite chose un peu comique, amateur. Mais autrement, on ne parle que politique. Et pour l’école, ce sont même des films révolutionnaires, c’est de l’agit-prop. Il n’y a pas un contre-exemple dans leur travail ! Je ne m’attendais pas à ce que ce soit à ce point-là. C’est par ce type de choses que l’on sent leur investissement au quotidien. Toute leur vie, ils se mettent au service de la révolution. C’est surprenant, et du coup un peu triste car pour moi, ça manque un peu de poésie. Là, c’est mon point de vue subjectif, mais autant j’aime le cinéma politique, autant pour moi le cinéma ça ne peut pas être que ça non plus.

EN : Vous parlez de subjectivité, est-ce que vous assumez une certaine subjectivité sur le film ?

JGP : Oui, évidemment. C’est toujours une chose délicate sur les films d’histoire. Je tente au maximum d’être juste historiquement car c’est très important pour moi les datations, même si ça n’apparaît pas dans le film. Je m’astreins vraiment à une rigueur historique. Mais pour autant, une fois qu’elle est posée, les choix que je fais et l’axe de lecture de la chronologie m’appartiennent. Je ne cherche pas à faire une encyclopédie. L’histoire est lacunaire, mais je fais des choix qui m’appartiennent Comme je disais tout à l’heure, quand je choisis deux minutes de Meinhof dans un film de deux heures, c’est parce que l’extrait m’intéresse, mais il y en a d’autres qui m’intéressent dans la même émission. Mais là, elle va avoir un truc de corps, une pose, un regard, des micro-choses qui vont me toucher. Au-delà de ce qu’elle raconte, il peut y avoir quelque chose qui va m’émouvoir et qui n’appartient qu’à ma manière à moi de regarder ça.

EN : Quel est votre rapport aux protagonistes du film ?

JGP : C’est un rapport contradictoire car c’est comme si je n’arrivais pas à les vivre dans leur chronologie. Pour moi ils sont à la fois ces jeunes-gens très engagés, très sympathiques… Des gens avec lesquels il y a une certaine proximité. Et en même temps, ce sont les gens qui ont posé les bombes et qui ont fait n’importe quoi. Je vois les deux images ensemble, et il y a une contradiction : sympathie et désapprobation complète. Par exemple, les impasses de la pensée de Meinhof… J’ai du désaccord profond avec certaines choses qu’elle a écrites, la manière de penser les adversaires, etc. Du coup, je crois que finalement je suis très en recul sur eux. Je suis content d’avoir fait ce portrait-là car quand on voit des gens qui se trompent, surtout quand ce sont des gens dont on aurait pu être proches, il faut qu’il y ait un moment d’empathie. Ce n’est pas la peine de frapper un homme à terre. Il y a quelque chose de presque judéo-chrétien. Ca, ce n‘est pas une idée à moi mais d’un texte de Don DeLillo que j’avais adapté en fiction [Regarder les morts, 2001]. Le personnage principal en regardant des images de la RAF, espère qu’il y ait la possibilité d’une rédemption pour eux. C’est très judéo-chrétien, mais il y a quelque chose comme ça. La possibilité de garder un certain respect, malgré l’erreur. C’est une question difficile, ce n’est pas clair pour moi. Ce n’est pas blanc ou noir.

EN : Il y a quelque chose de très ambivalent…

JGP : Oui parce qu’il y a quelque chose de l’ordre de la tragédie. Dans L’Allemagne en automne il y a un film très beau de Schlöndorff sur un scénario de Böll. Un comité de censure à la télévision regarde un film sur Antigone et ça se passe en 77, et les censeurs sont très gênés par Antigone, parce qu’elle désobéit. Et il y a un peu ça dans la RAF. Que Böll ait ramené ça, ce n’est pas anodin. On voit des gens se tromper et qui se retrouvent face à une figure du pouvoir qui est inflexible. Ils savent qu’ils vont à leur mort mais ils le font quand même. Il y a cette chose qui est de l’ordre de la tragédie. Ca me fait la même chose que face à la fin d’Antigone. On se dit qu’elle est bête, et en même temps on comprend la nécessité qu’elle a de le faire. Même si ça ne paraît pas logique. C’est logique et pas logique en même temps. Dans leur histoire, il y a un peu ça qui se répète.
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