Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Réalisateur de courts métrages reconnus et primés dans le monde entier, Jean-Gabriel Périot passe au format long avec Une jeunesse allemande, film de montage édifiant qui narre l’histoire des protagonistes de la RAF à travers des images d’époque. Extraits de films de Meins ou Meinhof eux-mêmes, apparitions télévisées, emballement médiatique suite aux premiers attentats… Le cinéaste utilise une matière riche et complexe pour raconter en parallèle le basculement d’une poignée de jeunes intellectuels reconnus dans la violence armée et la révolution des images qui s’opère à la même époque à la télévision allemande. Un documentaire captivant qui met à mal les poncifs sur le terrorisme malade et gratuit, fruit d’un long et patient travail de recherches historiques, dans lequel le réalisateur ne renie pas une certaine subjectivité.
EN : Comment s’est construit le film ?

JGP : Le montage arrive dès le début. C’était très difficile puisque c’était des bouts de trucs que je repérais sans avoir les émissions complètes. Je mettais des cartons : "là, il faudrait que Meinhof parle de ça", "là, il faudrait qu’Untel aborde tel sujet"… Quand je revenais avec des images, il fallait les classer par thème et les essayer dans le montage. Si je prends une émission de Meinhof qui dure deux heures, moi je vais en prendre deux minutes mais du coup quels sont les différents possibles, les sujets dont elle parle et quelle place ça pourrait avoir ? C’est une espèce de Rubix Cube avec plusieurs possibilités, et à chaque fois, ce sont des hypothèses… Mais à chaque fois, j’ai testé les images dans le montage. Il y avait des images qui étaient très bien mais qui ne faisaient pas sens ou des images que j’avais besoin de questionner dedans. Ce n’est pas une méthode précise. C’est pas très rationnel, et il ne faut pas que ça le soit car il y a des images qui doivent échapper à la logique. Je ne fais pas un film d’histoire, non plus. Certaines images il fallait forcer : on les met dans le montage, elles n’ont pas leur place, mais le travail c’est de leur créer cette place-là. Parce que d’un coup je vais m’arrêter sur une chose qui va m’émouvoir, me questionner… C’est de l’ordre de la sensibilité, pas de la rationalité historique.

EN : Vous avez choisi de ne mettre aucun commentaire dans le film. Pourquoi ce choix, qui peut donner l’impression que c’est plus difficile pour le spectateur ?

JGP : C’est plus difficile pour le spectateur, et c’est plus compliqué pour moi parce que je suis obligé de trouver dans les archives les informations nécessaires à la lecture des images, ce qui est aussi le rôle de la voix-off. Ca laisse le spectateur face aux archives et c’est à lui de soulever ses propres questions, de donner son interprétation, de s’interroger sur son propre point de vue de cette histoire-là. Car souvent, la voix-off amène aussi une lecture morale et énonce un positionnement qui est celui du réalisateur et qui est imposé au spectateur. Même dans le choix du vocabulaire, même si c’est pas aussi grossier que "Oh ! là là, les attentats, c’est violent !", malgré tout, dans le choix des mots, on oriente quelque chose alors que je pense que le spectateur est assez grand pour avoir un point de vue. C’est au spectateur de faire son travail. Là c’est un endroit où je me positionne comme cinéaste politique. Laisser le spectateur face à l’image, ou en tout cas, moi, ma manière de l’orienter, c’est par le montage. Je m’étais dit que s’il me manquait des éléments, s’il devait avoir une voix-off, elle passerait par des archives. Ca aurait été prendre des extraits d’intellectuels allemands qui analysaient l’Histoire, mais comme les protagonistes, c’est-à-dire sans préscience. Je ne voulais pas de lecture a posteriori. Cette absence de voix-off, quand on voit le film, fait qu’on est comme les protagonistes de l’histoire. Même si on a deux ou trois vagues souvenirs sur la RAF et qu’on sait que ça se passe mal à la fin, on est quand même en train de vivre avec les protagonistes au jour le jour sans savoir où ça va arriver. C’est un petit ressort qui est comme la fiction mais qui permet malgré tout de sentir l’époque de manière contemporaine. Souvent, dans les documentaires d’histoire, ça ramène toujours au passé comme à une chose révolue. L’histoire est l’histoire, c’est plus aujourd’hui, et du coup ça coupe aussi les liens qu’on peut faire entre le passé et aujourd’hui. Tous ces échos… Moi j’aime l’histoire dans ce qu’elle me raconte d’aujourd’hui, même si c’est difficile, que ça reste obscur, de l’ordre du pressentiment… 16’07

EN : Là, très clairement, il y a des échos avec aujourd’hui…

JGP : Oui, il y a des échos, mais ils sont vus différemment selon les spectateurs. C’est une chose que j’aime bien. Certains pensent qu’il n’y a aucun écho, d’autres en trouvent avec des endroits différents… Après chacun est libre d’interpréter. Moi j’ai les miens, je ne suis pas sûr que ce soient les mêmes…

EN : Le film induit forcément une réflexion sur le terme "terroriste"…

JGP : C’est vrai que ça c’est un des endroits qui nous ramène tous à aujourd’hui, sauf qu’en fonction du placement politique du spectateur, certains entendent "terroriste" et le voient depuis aujourd’hui. Il y a un endroit d’inadmissible dans le film parce que je vais contre la morale de l’époque. J’essaye de penser ce geste, et aujourd’hui le terrorisme interdit ça. On crée du monstre. On coupe le passé, y’a pas de logique, y’a pas de raison… Ca donne l’idée d’un acte totalement gratuit et aveugle. Du coup, dans les critiques qui peuvent m’être faites, c’est que d’une certaine manière, je les excuse. Parce qu’ils sont assez sympathiques, je suis en empathie avec eux… Mais cette manière de penser, c’est très contemporain, c’est très lié à la manière dont aujourd’hui on gère le terrorisme. Ca commence à cette époque-là, on le voit dans le film… Juste le fait de montrer qu’ils ont eu une vie avant, c’est perturbant pour certains. Alors qu’en plus c’était vraiment l’un des points de vue du film. Ce qui pose la question du passage à l’acte, c’est que ce sont des gens dont on peut voir qu’ils sont sensés raisonner. Ils ne sont pas malades mentaux, ce ne sont pas des gens violents à la base… C’est beaucoup plus difficile à penser. Je pense qu’il faudrait qu’on s’interroge plus aujourd’hui sur qui sont ces terroristes.

EN : Il est encore plus difficile de prendre ce recul sur des événements contemporains…

JGP : Même sur le passé, on ne l’a pas. Concernant la RAF, toute la littérature ou la manière dont ils sont présentés dans la fiction, ils sont présentés comme des terroristes. A la limite, on va dire que c’était des gauchistes dévoyés, qu’ils s’enracinaient dans le mouvement de 68, mais c’est tout. On va surtout s’intéresser après la formation du groupe et les couper de leur passé. Après, il y a les gens qui sont très minoritaires qui sont pro-RAF. Là, c’est l’histoire inverse avec l’Etat qui est vraiment fasciste, eux qui sont des héros… Et c’est aussi historiquement faux. Après, il y a bien quelques personnes qui travaillent au milieu, mais c’est très rare. Moi quand j’ai commencé, tout ce que je trouvais, c’était "c’est des terroristes". C’est ce qui m’a troublé quand j’ai vu L’Allemagne en automne, c’est qu’on se rend compte que c’est plus compliqué que ça !
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