Raoul Ruiz (1941-2011) prend sa place parmi les morts

Posté par vincy, le 19 août 2011, dans In memoriam, Personnalités, célébrités, stars, Projet, tournage.

Le cinéaste franco-chilien Raoul Ruiz est décédé vendredi matin à l'âge de 70 ans, à Paris, des suites d'une infection pulmonaire, a annoncé son producteur François Margolin. Il avait reçu le Prix Louis-Delluc l'an dernier pour Mystères de Lisbonne.

On imagine mal l'étendue de l'oeuvre du cinéaste (67 films!), érudit et perfectionniste, maniériste et passionné. Inspiré par la littérature sud-américaine et ses flamboyances surréalistes et fantastiques (Borgès, Garcia Marquez), son cinéma magnifiait les symboles, situés dans chaque petit détail de l'image, et sublimait l'inconscient à travers des comédies humaines, tantôt tragiques tantôt dérisoires. Il s'amusait avec les genres, du film d'époque au polar, qu'il revisitait avec un style singulier et des histoires issues de la littérature (Giono, Proust, Balzac, Kafka) ou flirtant avec les grands maîtres (Hitchcock, Bunuel).

Raoul Ruiz a commencé sa carrière cinématographique en 1967 avec El tango del Viudo. L'artiste chilien avait, auparavant, fait ses armes dans le théâtre expérimental, et écrit des pièces d'avant-garde. Il réalise des films courts avant de passer aux longs.  Mais l'arrivée du dictateur Augusto Pinochet en 1973 va le contraindre à fuir en Argentine, puis, un an plus tard, en France, où il s'exile avec sa femme, monteuse, Valéria Sarmiento.

Cannes l'a déjà repéré. En 1972, il a présenté Que faire?, son quatrième long métrage. Il viendra présenté quatorze films, toutes sélections confondues, durant 35 ans. Membre du jury du Festival de Cannes en 2002, il fera l'événement avec Le temps retrouvé en 1999 et la clôture de la compétition avec Les âmes fortes en 2001. C'est aussi à Cannes, en 1992 et 1996 que son cinéma s'ouvre à un public plus large avec, respectivement, L'oeil qui ment et surtout Trois vies et une seule mort, l'avant-dernier film avec Marcello Mastroianni, et le seul où il joue avec sa fille Chiara.

Ce poète de l'image avait un don soigné pour l'écriture et une curiosité généreuse pour choisir ses comédiens : Deneuve, Giraudeau, Béart, Malkovich, Casta, Huppert, Berling, Alvaro, Piccoli, Dombasle, Paredes... il n'y avait aucune frontière. Les miroirs se dédoublaient, les fantômes rodaient. Le surréalisme régnait. L'expérimental, l'avant-gardisme, l'onirisme se confondaient de plus en plus dans des films conceptuels ou abstraits, ou se diluaient dans des fresques somptueuses, qui n'avaient de classiques que leur apparence. Ruiz cherchait l'essence même du théâtre : la phrase forte, le comédien charismatique, la restitution d'une ambiance qui n'avait rien de réel. Il coupait au couteau ses films. Il concédait quelques échecs, mais jamais de complets ratages.

Filmant avec la délectation la folie des hommes, son cinéma reste, à l'image de ses castings cosmopolites et de ses influences culturelles, un mélange harmonieux de cultures variées. Son cinéma était aussi délicat que raffiné, intellectuel et formel, anticonformiste et ludique.

Gilles Jacob, président du Festival de Cannes lui a rendu hommage très rapidement : "Comme souvent chez les meilleurs écrivains latinos, il était doué d'une imagination d'une prodigalité incomparable". "C'était un conteur des mille et une nuits, dont les aventures, les bizarreries, la logique, les incidentes, les quiproquos renvoyaient l'art d'un Stevenson (qu'il avait adapté) au niveau de la comtesse de Ségur."

Ruiz fit considéré tardivement comme un grand. Berlin lui décerne un Ours d'argent pour l'ensemble de son oeuvre en 1997, près de trente ans après son léopard d'or à Locarno (Tres tristes Tigres). Le Delluc l'an dernier restera son prix le plus prestigieux pour l'un de ses films.

"Il était en train de finir le montage d'un film (La noche de enfrente) qu'il avait tourné sur son enfance au Chili. Et par ailleurs, il préparait un autre film au Portugal sur une bataille napoléonienne célèbre. Il devait y avoir Melvil Poupaud", a précisé son producteur François Margolin.

Le cinéaste franco-chilien Raoul Ruiz sera inhumé au Chili, a annoncé le ministre chilien de l'Education Luciano Cruz-Coke. Une cérémonie religieuse se tiendra à Paris le mardi 23 août 2011 à 10h30 à l’Eglise Saint-Paul à Paris.

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Raoul Ruiz en 10 dates :

25 juillet 1941 : naissance à Puerto Montt, Chili

1963 : premier court métrage, La maleta

1969 : Trois tigres tristes, Léopard d'or à Locarno

1973 : L'expropriation

1985 : L'île au Trésor

1996 : Trois vies et une seule mort

1997 : Généalogies d'un crime, Ours d'argent à Berlin

1999 : Le Temps retrouvé, d'après Marcel Proust

2010 : Mystères de Lisbonne, Prix Louis-Delluc

19 août 2011 : décès à Paris

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