David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles.



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"Savoir où placer la caméra relève du fruit de l'observation ; c'est une habitude qui vient naturellement. Il y a pourtant mille façons de placer une caméra. Moi, je le fais en fonction de ce que je ressens. (...) Mais j'apprécie d'autant plus quand il y a une interaction avec les acteurs. Après tout, ils sont habitués, alors autant suivre leurs indications. (...) Ils ont à la fois toutes les libertés et aucune, car au final c'est moi qui décide. (...) Ils sont courageux, engagés. Ils se montrent, ils s'exposent au monde entier. Les Oscars devraient récompenser leur courage et non leur talent. Ils dévoilent leur intimité tout de même. (...) S'ils sont mauvais, ce n'est pas de leur faute, toujours de la mienne". (Festival de Cannes, 2004, Leçon de cinéma).

Né le 20 juin 1941 à Leicester, Stephen Frears ne semble avoir laissé aucune information sur son enfance ou sa jeunesse.

Ce que nous savons commence alors qu’il est étudiant. En effet, pour ses études, il intègre la Faculté de Droit de Cambridge avant d’entrer comme metteur en scène au Royal Court de Chelsea. Bien que ses influences théâtrales lui resteront toujours, c’est vers le cinéma qu’il va se diriger. Certainement parce que durant les années 60, la Nouvelle Vague du cinéma britannique fait des ravages et transporte avec elle tous les jeunes et vifs esprits. Il n’en faut guère plus pour séduire Stephen Frears qui pénétrera dans le monde du cinéma en obtenant le poste d’assistant metteur en scène de Karel Reisz sur le film « Morgan », pour ensuite intégrer la société de production d’Albert Finney.

Très rapidement, il passe à la réalisation et signe en 1967 un court-métrage intitulé « The Burning ». Mais c’est véritablement en 1971 qu’il fera son baptême du feu en mettant sur pellicules sont premier long métrage, « Gumshoe », qui s’inspire des polars de années 40.

Puis, Stephen Frears quitte les plateaux de cinéma pour aller s’installer dans ceux de la télévision pour une durée de 10 ans à peu près. Travaillant notamment pour la BBC, il réalisera pendant ses 10 ans près de 40 téléfilms. Inutile de dire donc que Frears a pu, durant cette période, se construire, apprendre à gérer de multiples projets ainsi que la maniement de la caméra.

Son retour au grand écran se fait en 1984 avec « The Hit », un thriller impressionnant. Son style, sa passion, sa verve surgiront davantage avec « My Beautiful Laundrette » en 1985. Le film bouscule l’Angleterre puritaine et conservatrice (certainement inspiré pour contrer la politique de Margaret Thatcher) car Frears met en scène une histoire d’amour entre deux homosexuels dont l’un est pakistanais. Incisif et courageux, le cinéaste met le doigt sur les problèmes sociaux qui rongent l’Angleterre et se fait le défenseur des « laissés pour compte » que sont les pakis et les homos. Ses deux réalisations suivantes (« Prick up Your Ears » et « Sammy et Rosy s’envoient en l’air », les deux tournés en 1987) sont de la même trempe et on considère aujourd’hui les trois films comme une trilogie sociale et quasi ethnologique. Frears remportera d’ailleurs le prix de la Meilleure contribution artistique au festival de Cannes grâce à « Prick up Your Ears » (qui retrace la vie du dramaturge Joe Orton et de son amant dans les années 60). Et si certains douteraient encore du caractère « provocateur » (mais jamais méchant) il suffit de regarder ce titre « Sammy et Rosy s’envoient en l’air » pour confirmer qu’il envoie valser avec une certaine délectation les codes de bonne conduite.

La liaison périlleuse avec Hollywood
Grâce à ces trois films, Hollywood le courtise. On lui demande d’adapter le célèbre roman de Chaderlos de Laclos, « Les liaisons dangereuses » (réputé pour être inadaptable). Et pourtant, Stephen Frears remporte ce pari fou haut la main. Très haut la main même. Il montre qu’il est capable de diriger de grands acteurs (comme John Malkovich et Glenn Close) et qu’il peut supporter de grands projets. Le film obtiendra d’ailleurs les Oscar des meilleurs décors, meilleurs costumes et de la meilleure adaptation, le César du meilleur film étranger et bien d’autres prestigieuses récompenses. Il fallait bien ça pour une telle réussite, où sans y toucher, il transgresse les tabous, flirte avec les désillusions, mêle le désir érotique et la jouissance du verbe, révèle Thurman, Reeves, Pfeiffer. Et offre un plan final somptueux et sans appel : la Reine tombe le masque, le visage défait, la honte et l’humiliation l’envoyant dans l’ombre à tout jamais.

Ne voulant pas s’enfermer dans un genre, se complaisant dans un certain anticonformisme, il réalise « Les Arnaqueurs » (trio de choc composé de John Cusack, Anjelica Huston et Annette Bening). Produit par Martin Scorsese, ce film noir raconte comment un petit escroc se retrouvera au beau milieu d’une guerre entre deux autres mantes religieuses, sa mère et sa petite amie.
La musique s’imprègne dans nos esprits, insidieuse et séduisante. Envoûtante comme cette histoire bien noire qui rend hommage aux films des années 50. Pour « Les Arnaqueurs », Stephen Frears obtiendra sa deuxième nomination à l’Oscar du meilleur réalisateur.

Star malgré lui
Frears est certainement l’un des cinéastes britanniques les plus doués et brillants de sa génération. Après « Les Arnaqueurs », il semble avoir acquis un prestige suffisant pour pouvoir porter à l’écran les projets de son choix. Sa carrière, à partir delà, va donc se partager entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Ni Ridley Scott, ni Ken Loach. In the Middle.

Il enchaîne avec un film drôle et satirique où brillent Dustin Hoffman, Genna Davis et Andy Garcia. « Héros malgré lui » est cependant, à l’époque, un échec commercial et critique (revalorisé depuis). Il anticipe la vague du star système et les excès de la télévision devenue impératrice de notre civilisation. Seul le public français continue encore à le suivre, il y bénéficie d’un public fidèle. Toujours à observer et critiquer nos vices et nos pseudo vertus, il va sans doute trop loin en titillant, trop tôt, l’iconographie médiatique. C’est peut-être cela qui a poussé Frears a retourné en Grande-Bretagne pour tourner une petite production, un film social intitulé « The Snapper » et qui se centre sur les « déboires » d’une famille irlandaise avec un trop plein d’humour absolument jouissif. Il enchaîne en 1996 avec « The Van » qui, tout comme « The Snapper », est une adaptation d’un roman de Roddy Doyle. Ce diptyque cartonne en Europe et profite de la renaissance du cinéma anglais, entre comédie et étude sociale, dimension humaine et émotion post traumatique. Frears nous régale avec son regard sur l’Angleterre d’après Thatcher.

En 1998, il réalise son unique western intitulé « Hi-Lo Country » avec là encore un casting plutôt tendance, confirmant son flair en la matière : Woody Harrelson, Billy Crudup et Patricia Arquette. Le film était un projet de longue date que voulait réaliser Sam Peckinpah. Il avait été remis bien des années après à Martin Scorsese, mais celui-ci, pris par d’autres projets, décida d’en confier la réalisation à Stephen Frears. Scorsese n’en reste pas moins le producteur du film. Leur seconde collaboration avec cette distribution des rôles. Un lien peu imaginable pour le néophytes. Assez proches si l’on compare Le Temps de l’innocence aux Liaisons Dangereuses, les premiers films new yorkais à ceux du Londres des années 80, … Leur cinéphilie aussi est assez voisine. « Je ne pouvais cependant pas m'abstraire de l'imagerie et de la légende de l'Ouest. Je devais prendre en compte l'héritage de John Wayne, Howard Hawks et John Ford, qui est bel et bien présent dans cette histoire. Big Boy Matson est un personnage à la John Wayne, abordé d'un point de vue plus moderne. »

Scrutateur de son pays
En 2000, il adapte le roman de Nick Hornby, « High Fidelity ». La même année, il met en scène « Liam » qu’il tourne en Grande-Bretagne. Grand écart et surtout retour au pays. Les années Blair semblent inspirer chez lui de nouvelles envies de raconter des histoires ancrées dans le social ou l’observation des luttes de classe. « J'ai réalisé ce film par admiration pour son scénariste, Jimmy McGovern. C'est un des meilleurs chroniqueurs de la vie en Angleterre telle qu'elle est vraiment. Même si je ne suis pas issu de la classe ouvrière et que je ne suis pas catholique, l'enfance décrite par Jimmy McGovern m'a rappelé les années passées avec ma mère après la guerre.» En 2002, il dirige Audrey Tautou et Sergi Lopez dans « Dirty Pretty Things », un thriller dramatique, entre immigration clandestine, suspens terrifiant, précarité et trafic d’organes. Fears filme son pays en scientifique. Il en ausculte les moindres blessures, les moindres cicatrices. Le régime de Blair ne mérite pas plus une forme de bienveillance que celui de Thatcher.
D’ailleurs le premier ministre deviendra une sorte d’obsessions avec le succès à la télévision de « The Deal » qui se concentre sur les relations entre le Chancelier Gordon Brown et Tony Blair , lors de l’arrivée au pouvoir de celui-ci puis de The Queen. Ce dernier aborde la vie de la reine Elizabeth II après la mort de Diana qui avait fortement bousculé la monarchie. Et bien entendu son antagonisme mêlé de complicité avec son tout nouveau premier ministre. Le film fait le tour des cérémonies et des festivals : Mostra de Venise, BAFTA, Golden Globes et les Oscars. C’est surtout l’actrice Helen Mirren qui se verra sacrée. Le scénario n’est pas oublié. Mais jamais la mise en scène de Frears n’épate. Comme si sa fluidité , son évidence, sa modestie masquait son talent. Pourtant, peu de cinéastes peuvent se prévaloir de passer de l’ombre à la lumière, de la fresque historique au décryptage du pouvoir, de l’onirisme (avec cette rencontre entre la Reine et un cerf) au mélodrame (Madame Henderson). Toute son œuvre se fonde sur l’interdit, à interdire. La moralité se situe dans la dignité pas dans le jugement.

Monsieur Frears présente...
Ses scénarii d’exception sont la base fondamentale du travail du réalisateur. Il ne se lancerait jamais dans un projet sans un scénario qui soit parfait à ses yeux. Ils ne se contentent pas de raconter des histoires, ils construisent de véritables personnages et laissent sous-entendre au travers de situations banales une foule de choses (ainsi, dans « The Snapper », l’arrivée du bébé de l’aînée de la famille fait remonter à la surface le mode de vie de cette famille irlandaise comme les autres). « Je pense avoir une qualité importante : j'ai le sens du "bon texte", une qualité qui me vient du théâtre. (...) A chaque film, j'essaie de comprendre quelque chose sur le monde. Et chaque film m'amène vers cette compréhension. »
Dans ses films (et notamment ses films sociaux), Frears a abordé des sujets plutôt controversés traités à sa manière. Avec gravité mais sans oublier l’humour qu’il saupoudre. A l’instar d’un Michael Moore : « Déprimer les spectateurs, c’est les inciter à la passivité. Les amuser, c’est retenir leur attention. »
L’humour permet en effet à Frears d’une part, de capter l’attention du spectateur, et d’autre part, d’aborder ces thèmes sensibles avec plus de facilité. Il « décoince » l’Angleterre puritaine et conservatrice en l’invitant à rire d’elle-même, de ses propres travers, une méthode habile et quelque peu culottée. Mais Frears est également un homme qui sait doser les différents ingrédients de sa recette. Ainsi, si les acteurs et le scénario dominent dans ses films, ils ne sont pas seuls et les décors ainsi que les lumières sont là pour les « soutenir » - il suffit de regarder pour cela « The Snapper » où le pub est un personnage à part entière tout comme la maison de repos de la Reine dans « The Queen » ou le théaâtre de « Mme Henderson ».

Le caméléon
La grande particularité de Stephen Frears, c’est sa capacité à se fondre, de se rendre invisible dans le décor, le cadre, le plan ou le genre. En effet, tout au long de sa carrière, il aura mis son empreinte dans le film social (certainement son thème de prédilection), le film de costumes, la comédie, le film noir, le thriller, le film historique et même le western. Et, ce qui fait de Frears un grand cinéaste, c’est sa facilité et même sa faculté à s’accaparer des codes de tel ou tel genre, voire de leur redonner une peau neuve.
Frears est un perfectionniste et chacun de ses films est avant tout une atmosphère. Il y a donc toujours chez Frears un cadre très précis qui se met en place dès le départ. Regardez donc l’ouverture des « Liaisons dangereuses », la musique, la lumière et le montage donne un rythme, une dynamique au film qui colle parfaitement au genre et à l’esprit de l’histoire. Et, si l’on voudrait définir le cinéma de Frears, il faudrait en revenir au début de « Prick up Your Ears ». Une pièce dans l’obscurité dont on ne voit rien. Puis une porte fermée. Une porte d’où on regarde à travers la boîte aux lettres. Une porte qui nous attire car ce qu’il y a derrière semble terriblement palpitant. C’est pourquoi les films de Frears sont si populaires, il est capable d’aborder des sujets polémistes comme l’homosexualité ou l’immigration avec un tel recul et une telle facilité que les barrières s’écartent d’elles-mêmes.

Le maître des marionnettes
En fait pour lui tout est affaire d’effacement. Ce sont les principales caractéristiques de son cinéma et c’est certainement pour cela qu’il n’a jamais remporté de prix majeurs pour sa mise en scène ou son travail de metteur en scène. Sa mise en scène se veut classique, il ne fait jamais de plans rocambolesques et sa créativité se traduit toujours dans les scénarii ou dans la composition de ses plans plus que dans les mouvements de caméra. Il se met au service de ses acteurs. Des acteurs qu’il pousse à se dépasser, des acteurs à qui il offre des rôles en or, des rôles difficiles qui s’inscrivent aujourd’hui comme les meilleurs de leur carrière (ou presque).
« Prick up Your Ears » ne serait sans doute pas aussi bon sans l’extraordinaire jeu de Gary Oldman et d’Alfred Molina qui vivent littéralement le scénario et leur personnage. Comme si lui-même était le personnage de ses scripts. «Je ne suis pas un artiste, je suis un artisan. (...) C'est miraculeux d'avoir pu trouver un métier qui corresponde à ma personnalité. Parce que la réalisation demande d'être à la fois détaché et concerné. (...) Tout ce que j'ai appris, c'est en pratiquant mon métier, donc en me ridiculisant. Au début, je copiais les films des autres ; il m'a fallu quinze ans avant que je voie les choses avec clarté pour en assumer la responsabilité.» Un cinéaste hétérogène, un homme humble et raffiné qui sera appliquer à merveille l’expression de Wong Kar-Waï : «Il faut laisser nos fenêtres grandes ouvertes ».

benjamin


 
 
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