David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles.



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MAN OF MYSTERY





La silhouette et ce visage d'adolescent cachent un homme déjà installé dans la quarantaine. Ses cheveux blancs, la cigarette perpétuellement au bec, ce profil-bas calculé (avec la voix idoine, presque rauque) en font une sorte de dandy décalé, faussement détaché, nonchalant, cultivé, poète, auteur et donc réalisateur.
De son esprit s'évade un univers beau, triste, drôle, magique, désespéré, mélancolique, âpre. En 40 ans, Jim Jarmusch est devenu une figure de proue du cinéma indépendant américain, dont le sommet a sans doute été Ghost Dog, en 1999.

Car Jarmusch, cinéaste culte des cinéphiles et connaisseurs de films "art & essai", est souvent plus connu pour son petit rôle de Sling Blade (Billy Bob Thorton, 97) que pour ses films, même les plus récompensés. Si Cannes en a fait un de ses favoris dès son premier long métrage, Stranger than Paradise (1984), Caméra d’or au festival avant d’être sacré à Locarno par un Léopard d’or, les Américains n'ont jamais accroché à ce caractériel méfiant des médias, à cet artiste cultivé. En France, c’est une autre histoire puisque Broken Flowers (2005) a attiré plus d’un million de spectateurs, et Down by Law (1986) et Ghost Dog ont séduit autour de 600000 spectateurs.

Influences : un trait d'union

Buster Keaton (son préféré), Nicholas Ray (pour qui il fut assistant sur Lightning over Water), Samuel Fuller, Douglas Sirk, Henry Hathaway, Wim Wenders, Aki et Mika Kaurismaki, amis ou inspirateurs, ont déteint sur ses goûts. Du cinéma Japonais à Melville, son imagerie s'est enrichie de références. Il explore d’ailleurs, de plus en plus, tous les genres : du drame poétique au film de vampires, de la comédie zombie à la romance presque légère. Mais plus que cela, Jarmusch est un trait d'union entre un cinéma libre et ce qui deviendra le caucus indépendant made in US (New York plus exactement): de Kevin Smith à Spike Lee... Lee avouera qu'il doit beaucoup de sa réussite à la New York University à Jarmusch, pionnier qui montra la voie à tous dès le début des années 80.

Mais le réalisateur est avant tout un lien entre deux cinémas et deux continents. Lecteur assidu, appréciant par dessus tout les poèmes (soi-disant inachevés) de Paul Valery ou Honoré de Balzac et sa Peau de chagrin, cet "existentialiste spirituel" n'a pas d'étiquette ou de nation. A la fois Américain et Européen, son cinéma est sans frontières. Dans Only Lovers Left Alice, on passe ainsi de Tanger au Maroc à Detroit. On voyage en permanence, même quand il ancre son récit dans une banlieue du New Jersey : le rôle féminin est donné à une actrice étrangère, un Japonais se perd dans un jardin…

Même s'il utilise des genres très codés (western, polar maffieux, horreur...), sa philosophie, l'essence de ses histoires, le lyrisme de ses personnages proviennent plus de la culture « littéraire » européenne. Avec sa qualité d'écriture « style vieux continent-nouvelle vague » et sa singularité visuelle, il établit une passerelle entre deux cultures. Parfois, la sauce prend mal (Night on earth, road movie mondial), ou en devient la synthèse est parfaite (Down by Law, Ghost Dog).

Source et ressources

Les thèmes chez Jarmusch sont récurrents. On peut repérer la quête d'identité ou de spiritualité, les voyages géographiques (Mystery Train, Night on Earth, The Limits of Control, ...) ou intérieurs (Dead Man, Ghost Dog, Broken Flovers, ....), les villes souvent déclassées (multi-ethnies, bitume, isolationnisme, musiques), la mort comme élément intégré à la vie (fatalité, rites, mélancolie)... Jarmusch est un humaniste dont la caméra suit toujours des âmes perdues et des calmes déjantés. Des gens qui se cherchent dans un timing incontrôlable. Des personnes qui trouvent leur voie vers le paradis, ou plus étrange encore, vers une longue nuit...

Et puis il y a un style : les allégories et vues de l'esprit (jouant avec le noir et blanc ou la décomposition de l'image), l'humour dans des contextes graves (il y a toujours de la dérision dans ses films), la musique (essentielle), e une imagerie hypnotique, captivante, magnétique, à la fois bucolique, romanesque, violente, surréaliste. Où le rêve et l'évasion font corps avec une réalité sombre, sordide, urbaine.

A l'instar de Jarmusch lui-même, ses films dépeignent une marginalité choisie, une solitude subie. Ils mettent en conflit des cultures différentes, tels un patchwork citadin, métissant les hommes et les musiques, les envies et les codes. Il n’y a pas de nationalité, pas e conformité non plus. Tout juste peut-on identifier une empathie pour une classe moyenne, des prolos, des artisans, des anges déchus.
Comme on le disait, Jarmusch n'oubli jamais l'humour, l'absurde, le comique de situation, voire le comique de répétition, soit pour désamorcer une séquence dramatique, soit pour montrer l'incommunicabilité des êtres. Un redoutable observateur de la précarité humaine, qu'elle soit matérielle, spirituelle, ou relationnelle.

Il y a même une sorte de morale qui se dessine à travers chacun de ses films. Une notion de justice, de pardon, et d'espoir. La transmission de savoir, l'héritage de la connaissance appartiennent aux non-dits de ses scénarios.

Intégrisme et sagesse

Depuis son premier film (Permanent Vacation) produit pour 15 000 $ jusqu'à Ghost Dog (co-financé par la France et le Japon, ses deux publics les plus fidèles avec les Scandinaves), en passant par de multiples sélections à Cannes, Jarmusch a poursuivi un parcours brillant, sans avoir jamais rencontré le grand public, ni même réalisé d'opulentes productions hollywoodiennes. Il est resté sur sa voie, celle d’un samouraï qui, tous les trois quatre ans, tentent de parler d’amour et d’absolu.
"Les films sont une collaboration, et je choisis avec qui je collabore. Ce sont des artistes. Il y a les artisans et les artistes. Et je refuse qu'un cadre qui sait comment faire tourner une usine de sous-vêtements, me disent comment monter mon damné film" explique-t-il. Jarmusch est clairement en opposition au système hollywoodien. Auteur, acteur, réalisateur mais aussi producteur, il veut se sentir libre. Même si Dead Man fut distribué par Miramax, les dirigeants de cet apprenti-studio (à l'époque) trouvèrent le "final cut" de Jarmusch pas assez commercial. Le cinéaste ne changea rien à son montage.

Il a conscience du prix de cette indépendance, loin de l’Académie des Oscars et des multiplexes de province : "C'est beaucoup de travail, être indépendant. Mais ça vous botte le cul. Nous faisons ces films à la main. Tu écris, tu fais le casting, tu finances, tu trouves les lieux de tournage; et tu tournes, sans pression. On est là du début à la fin du procédé, jusqu'à l'impression des copies. Et après on part, on s'en va promouvoir ce truc. C'est au minimum deux ans de ta vie, au plus court. C'est dur, mais c'est aussi la seule manière pour moi de le faire."
Une errance artistique sans objectif commercial, à la fois conscient et lunatique, qui lui permet surtout de faire des rencontres inattendues, et là encore de confronter des univers artistiques variés et improbables. C’est bien ce cosmopolitisme qui intrigue aussi.

Benigni, Iggy Pop, Bill Murray...

Pour Jarmusch, l'équation est simple : à partir de personnalités fortes, intéressantes, il parvient à écrire des personnages de cinéma, et ce, peu importe, qui l'interprète, un voisin ou une rock star, un italien ou une sorte de sumo noir, un rappeur ou une star oscarisée.
N'importe qui peut être bon acteur, sembler vrai et ne pas stresser devant une caméra si le rôle est bien écrit. Il a ainsi engagé des rockers comme Iggy Pop (3 films) ou Scréamin' Jay (Hawkins), chanteurs comme Tom Waits (4 films) ou des rappeurs comme RZA (3 films).
La rencontre avec Roberto Benigni (qu'il fit jouer dans Down by Law) fut plus pittoresque. Ils furent membre d'un jury dans un Festival où ils firent scandale (refusant de voter pour un film pour lequel les producteurs faisaient pression). Roberto ne parlait pas anglais, Jarmusch pas un mot d'italien. Le directeur du festival les engueulait. L'union fit la force, naturellement, les deux bafouillant dans un lamentable français.... Trois films ensemble au final.
Il a trouvé dans certains des incarnations idéales : Tilda Swinton (4 films), Bill Murray (4 films), John Hurt (3 films), Steve Buscemi (4 films), Isaach de Bankolé(4 films). Sa dernière recrue, Adam Driver (Paterson, The Dead don’t Die) semble naturellement « jarmuschien ».

Audio-visuel

Les films de Jim Jarmusch se décomposent en quatre éléments essentiels; des scripts très précis (même si ses courts Coffee and Cigarettes avaient une approche plus improvisée, plus "folledingue"), où l'équilibre entre légèreté et brutalité fait penser aux films de Mike Leigh, les comédiens (des génériques dignes d’un Woody Allen), l'image (toujours adaptée au genre du film) et la musique (éclectique).

"Pour moi, un film techniquement parlant est moitié images moitié son. La bande sonore, et pas seulement la musique du film, est aussi importante que l'image. C'est pour cela que je fais attention à tous les sons que j'entends." avoue le réalisateur.
Ex-musicien, il était membre d'un groupe à la fin des années 70, et a même composé la musique de son premier film. Depuis il a fait appel à des artistes aussi différents que Neil Young, Tom Waits ou RZA. Ses films sont aussi des partitions musicales. Lors de ses rares interviews, le cinéaste a confié qu'il aurait aimé être un musicien. La vie en aura décidé autrement. Mais il continue de croire que la musique est la forme d'art la plus pure pour communiquer, sans barrière de langues. Toujours cette fixette sur l’absence de frontières.

Préceptes

Ayant atteint une totale maturité dans son art, le cinéma, l’internationaliste Jim Jarmusch reste fidèle avant tout à ses convictions, assumant sa différence et son statut particulier. Pas si zen, il semble, pourtant, ne pas vieillir. Au rythme d’un films tous les trois ans en moyenne, toujours dandy aux cheveux – volumineux – argentés, il fait partie de ses cinéastes qui se la jouent comme des rocks stars (à l’instar d’un Wong Kar-wai ou d’un Aki Kaurismaki).
Jarmusch, héritier de Godard et d'un langage cinématographique en constante évolution, inscrit son œuvre dans un univers, dans une société riche de ses contradictions et de ses déracinements. Une observation mystique et humaniste de ceux qui refusent d'être assimilés à une uniformisation culturelle. Comme ses films.

vincy


 
 
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