Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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The Front Runner


USA / 2018

16.01.2019
 



THANK YOU FOR FUCKING





« Certains chemins ne sont pas pavés. »

The Front Runner est davantage qu’un thriller politique et biographique. Si les événements ont bel et bien eu lieu, si les personnages on existé, ce qui rend le film passionnant ce sont les sujets qu’il aborde.

Car le nouveau film de Jason Reitman est riche. En surface, c’est un mix des Hommes du président (on y croise d’ailleurs Bob Woodward), de Spotlight et Primary Colors. On est en 1988. Les démocrates partent favoris pour succéder à Ronald Reagan à la Maison Blanche. Gary Hart a toutes les chances de les mener à la victoire. Dans les médias, le candidat Dukakis (qui sera le finaliste) est snobé. Al Gore (futur VP de Clinton) et Joe Biden (futur VP d’Obama) sont déjà dans les parages.

Tel Icare, Gary Hart va se brûler les ailes. L’histoire de sa dégringolade fournit l’énergie dramatique au récit. Le personnage – incarné par un Hugh Jackman toujours aussi caméléon – est charismatique : doué, brillant, progressiste, et la braguette un peu trop souvent ouverte. C’est son talon d’Achille. Mais jusqu’à présent, les frasques sexuelles des politiques – Kennedy et Johnson par exemple – étaient un non sujet.

1988 a donc été un tournant pour la politique comme pour les médias. C’est ce changement d’époque qui est scruté par le réalisateur. Reitman a opté pour une mise en scène à la Paul Greengrass, hyper-découpée et tendue, jouant sur les focales, les gros plans et la vivacité d’une caméra à l’épaule. Il filme cette histoire comme un reportage, monté habilement.

Mais c'est un peu plus profond que ça. Leçon de « compol » (communication politique), The Front Runner confronte ainsi une haute idée de la responsabilité publique. Gary Hart, séducteur incontrôlable et incontrôlé, refuse que la vie privée, son intimité, parasitent ses idées et ses qualités d’homme public. Ce moment charnière de la démocratie américaine conduit le film à être également une ouvre sur les médias.

Les journaux les plus sérieux vont mettre en avant les frasques sexuelles d’un candidat au point d’occulter tout le fond politique. La presse régionale, plutôt portée sur la drogue, les faits divers et le sport, va transformer la course présidentielle en compétition de people, avec des méthodes de paparazzi. On ne cherche plus à faire vendre avec des propositions ou des débats publics mais en déterrant les petites phrases, en explorant les poubelles, en interprétant des gestes ou en déballant les « déviances » personnelles.
Le sensationnel va l’emporter. Jason Reitman ouvre alors une vraie réflexion sur le journalisme. Ainsi Gary Hart est à la fois le sujet du film et l’objet d’un changement d’époque. Qui décide que les temps ont changé ? « Les lecteurs » est-il dit, ces lecteurs qui parlent des histoires de cul plutôt que de la menace nucléaire. Terrifiant constat, critiquable par ailleurs. Les médias n’ont-ils pas des devoirs ?

« Ce qui est intéressant, n’est pas le plus important. »

Car le film a le mérite de se focaliser sur un « coupable ». Gary Hart a réellement trompé sa femme. Mais il pose la question de l’utilité de cette information. En devenant juge moral, et en exigeant que nos responsables politiques ne soient pas des humains comme les autres, il démontre même le risque qu’il fait courir à la démocratie en faisant fuir les talents des sphères publiques. On ne juge plus les compétences mais le comportement.

A l’intensité de The Front Runner, qui va à vive allure vers son mur, Reitman insère une mélancolie et un dépit qui modulent la tonalité pour en faire une œuvre plus sensible qu’on ne peut l’attendre pour ce genre de film. Le rythme trépident de la campagne, qui atteint son paroxysme avec une crise politique et un sentiment de paranoïa au milieu de diverses manipulations, lève le pied pour faire davantage de place aux émotions et aux sentiments.

Car c’est finalement à la destruction de la notion de « vie privée » à laquelle on assiste. Cette « fausse » transparence qui oblige aux sacrifices de ceux qui briguent le pouvoir. Depuis 1988, tout a empiré. Mais les graines étaient plantées. Et on ne peut s’empêcher de sourire en entendant un plaidoyer digne de #MeToo dans une société qui ne l’était pas encore. D’ailleurs ce womanizer Gary Hart serait proprement inéligible aujourd’hui.

Mais avant tout, en se concentrant sur les questions liées à l’éthique des élus et la déontologie des médias, le réalisateur propose, dans un genre parfaitement balisé, un film qui ouvre les débats plutôt que d’affirmer des valeurs ou des réponses. Moralité et adultère, culpabilité et pardon : autant de thèmes que le film choisit de passer en arrière-plan. Même si ses arrière-plans sont souvent annonciateurs des menaces qui pèsent à chaque fois sur le candidat, que ce soit sa femme au téléphone ou un journaliste qui va le tuer politiquement avec une simple question.

Brillant, The Front Runner est le testament d’une période révolue, et d’une autre qui s’annonce, celle où l’image et les beaux discours consensuels vont régner durant près de 30 ans, avant que les mâles alphas excessifs deviennent des leaders grâce une image en continu vide de sens et des speechs provocateurs et offensants.

On peut être d’autant plus pessimiste qu’avec cette histoire, le cinéaste anticipe la fin d’un système, et, sans jugement, nous tend un miroir où le visage de la démocratie est sérieusement amoché.
 
vincy

 
 
 
 

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