Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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The Lost City Of Z


USA / 2017

15.03.2017
 



PAR DELÀ NATURE ET CULTURE





«La peur n’a jamais déterminé notre avenir.»

C’est sans aucun doute l’un des plus beaux films du moment. James Gray a mis ses pas dans ceux de ses pairs. David Lean, Stanley Kubrick, John Huston... A chaque plan de The Lost City of Z, sublimé par l’image de Darius Khondji, un de leurs vieux films nous revient en mémoire. On ne boudera pas ce plaisir cinéphilique. Mais si cette fresque n’était que cela, elle resterait un film à références plutôt qu'un film de référence.

Hors, si le cinéaste nous éblouit avec cette histoire qui mêle le portrait d'une caste anglaise, l'horreur de la première guerre mondiale et l'aventure exploratrice en terre inconnue, avec ce qu'il faut d'action, de périls mais aussi d'anthropologie et d'ouverture aux autres, c'est parce qu'il transcende les œuvres d'autres confrères qui se sont aventurés dans ce genre de film. Citons Bob Rafelson avec Aux sources du Nil ou Roland Joffé avec son Mission. Plus proche de nous, on pourrait évoquer Martin Scorsese et Silence, où une certaine pesanteur et surtout un discours unilatéral en faveur des Jésuites occidentaux nous conduisaient à avoir des réserves. James Gray a su manier de manière plus habile et plus subtile les séquences intimistes à d'autres plus contemplatives, la longue durée des multiples voyages et le sens du spectacle.

On se doit alors de trouver une autre filiation: le cinéaste britannique Hugh Hudson. Car avec Greystoke (1984) et Altamira (2016), plusieurs thèmes similaires (jusqu'aux débats houleux entre savants sur ces ethnies "primitives" qu'on déclassaient de l'échelle de la civilisation) se croisent dans The Lost City of Z. Là où Hudson échouait à chaque fois à flirter avec une grande œuvre faisant dialoguer la nature et l'Homme, les différences et les ressemblances, l'esprit de curiosité et le désir de conquête, James Gray y parvient.

Jungle fever

Le spectateur pourra toujours se laisser envoûter par les décors somptueux, se laisser séduire par ce personnage hors-du-commun, prêt à tous les sacrifices pour atteindre son rêve, se laisser porter par ce récit sur vingt ans où la mort, l'amour et la vie s'entremêlent. The Lost City of Z est bien plus qu’une magnificence picturale.

De 1905 au milieu des années 1920, l’épopée de Percy Fawcett traverse à la fois le temps, qui s’enrichit de l’expérience et se fragilise avec un mélange d’ambition inachevée et de nostalgie, l’époque, avec ses codes mouvants, et le monde, entre un Occident arrogant et conquérant, pétri par ses règles, et des territoires inexplorés, « sauvages », dont les Lois de la nature et les coutumes des peuples autochtones, se fichent du pouvoir et du Savoir. Malin, le scénario, sans manichéisme, montre la sauvagerie (boucherie) d’une guerre occidentale, la corruption et la mégalomanie d’un colonisateur face à des peuples esclaves ou en symbiose avec leur environnement

Charlie Hunnam se révèle magnifique de justesse et d’humilité dans ce personnage. Il est frappant de voir à quel point l'acteur ressemble à Brad Pitt (producteur du film, et qui devait incarner l’explorateur à l’origine du projet) dans ses premiers films (Et au milieu coule une rivière, Sept ans au Tibet). Même blondeur, même charme, même candeur, même fêlure. Il en comprend toute la folie et toute la raison, ne cherchant jamais l’esbroufe, préférant toujours adopter une forme de gravité sérieuse mêlé à un panache aventureux.

L'obsession presque égoïste de Percy Fawcett, motivée par sa capacité à comprendre la jungle et à être humble devant ses habitants d'un autre temps, révèle à quel point un désir peut mener à une forme de folie qui faut mériter de vivre. Peu importe l'issue, c'est bien le parcours qui compte. Faire un film, peindre un tableau, composer une musique, écrire un livre suffit à rendre l'existence plus intense, et ce, même si le résultat n'est pas à la hauteur des attentes ou ne vaut aucune reconnaissance.

Le trip des tropiques

Le film est ainsi une glorification de l'ethnologie et de l'anthropologie, avec sa part de mystère et de mystique, où l'homme est seul face à lui-même, préférant risquer sa vie à avoir vu l'invisible plutôt que de se laisser vivre dans le confort du vécu. L'homme est pareil, partout, qu'il soit Indien ou Anglais, géographe ou soldat, pourri par les honneurs, les richesses ou sincère dans sa quête illuminatrice. Mais Fawcett est aussi toujours le même, qu’il soit chasseur, soldat, aventurier, explorateur, époux ou père : un homme à la fois moderne et effronté, protecteur et curieux. Le cinéma sort grandit de mettre en lumière un tel archétype, où désobéissance et obsession font bon ménage.

Car, sans avoir l’air d’y toucher, le cinéaste ne laisse pas ses thèmes de prédilection à l’écart à travers son héros: le couple atypique avec son épouse, la transmission avec son fils, le poids de l’ombre de son propre père, les codes d’un microcosme (l’armée comme les géographes), le danger qui surgit de nulle part, l’avide besoin de reconnaissance, la malédiction qui frappe les grands rêveurs. Les missions sont périlleuses et longues mais le récit s’intéresse tout autant à ce qui les entoure et à la psychologie évolutive d’un homme mû par un désir égoïste, prêt à tout sacrifier pour atteindre son Graal. Car, et ce n’est pas le moindre des risques pris par le réalisateur

Dans cet opéra en pleine jungle James Gray a du expurger de la violence pour des questions de classification américaine et, s’il a retiré du scénario les suites de la dernière expédition des Fawcett, il nous laisse dans la brume tropicale de cette forêt avec ce formidable plan où sa femme sort de la Royal Geographical Society, par une serre où les plantes font écho à l’Amazonie.

L’enfer vert a quelque chose de chamanique (ce que l’épilogue conforte) : il y a comme une hallucination qui frappe ceux qui s’y perdent. Seul le voyage compte, qu’il soit beau et intense, peu importe la destination. Et seul l’espoir n’est jamais perdu. Sans doute poussé par un rêve obsessionnel et splendide qui le dépassait et dont il a su retranscrire toute la démesure, James Gray, à défaut de trouver la cité d'or et de maïs perdue, a trouvé son plus joyau: l'inspiration.
 
vincy

 
 
 
 

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