Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Jason Bourne


USA / 2016

10.08.2016
 



NOTRE AMI LE TRAÎTRE





« Tu sors des écrans, tu survis.»

Dès le titre, ce cinquième film de la franchise Bourne (quatrième avec le héros), le spectateur est prévenu : l’assassin amnésique de la CIA a retrouvé son identité, enfin sa plus connue. Il n’a plus « rien » dans la peau, ni mémoire à récupérer, ni mort qui hante, ni vengeance qui motive. Et dès la première phrase – « Je me souviens, je me souviens de tout » - on comprend que tout ce qui avait été le moteur de la trilogie originelle est derrière lui, et derrière nous par la même occasion.

Sujet survolé

Il n’est donc pas surprenant que ce Jason Bourne (dans la peau de Matt Damon, toujours un peu torturé) ait un peu changé (pour vivre heureux, vivons cachés). Préférant une vie souterraine, loin de tous les écrans, à gagner du fric dans des matchs de boxe clandestins.
Malheureusement, il s’est aussi banalisé, pour ne pas dire neutralisé. Les scénaristes ont beau lui avoir inventé un vague souvenir qui remonte à la surface (la mort de son père, le Dr Webb), Bourne semble plus apathique, cherchant juste à déjouer le complot qui le cible (malgré lui). Il sort de sa passivité lorsqu’on touche à quelque chose d’un peu personnel.
Mais pour le reste, il ne veut pas prendre partie entre les lanceurs d’alerte de type Wikileaks, le prodige milliardaire de la Silicon Valley du genre Zuckenberg (ci Facebook s’appelle « Deep Dream », clin d’œil à l’inconscient de Bourne) et les paranos technophiles de la CIA (qui ont tous en commun de vouloir dominer « Big Brother »).

Rassurez-vous, pour notre plus grande déception, le propos aurait pu être politique, engagé. Il n’en est rien. Tout est survolé, schématique, assez binaire. Même l’ambiguïté de certains personnages est vite effacée par leur opportunisme. A partir du moment où Jason Bourne ne choisit aucun camp et les renvoie tous dos à dos avec un certain fatalisme, le film ne cherche pas à explorer sa réflexion sur les liens anti-démocratiques entre plateformes numériques transnationales, services de surveillance au-dessus des lois et pirates informatiques qui s’affirment résistants.
Le réalisateur Paul Greengrass sait capter l’air du temps, s’en empare, mais ne produit derrière qu’une mécanique où, paradoxalement, la technique et la technologie dominent le(s) sujet(s).

Cette démission du héros est parfaitement illustrée avec la séquence à Athènes. La ville est à feu et à sang avec des manifestations anti-austérité et Jason Bourne est repéré dans la ville grecque, et donc traqué. Cela donne une séquence de poursuite palpitante durant trente minutes où Matt Damon s’efforce d’échapper à la CIA (qui se fout complètement d’être en territoire étranger et souverain) et à un de leur tueur à gages (Vincent Cassel qui a quelques comptes à régler). Vous l’aurez compris : on se fout de la révolte populaire. Le chaos qu’elle provoque sert à complexifier la poursuite.
Pour le reste, aucun des protagonistes n’a l’air de se soucier de la population en colère. Les scénaristes ne se soucient même pas d’en expliquer la raison. Les mots clés suffisent : hashtag data, privacy, applis… Droits individuels versus Sécurité publique : ça aurait mérité d’être un peu approfondit et que les bonnes questions soient au moins bien posées.

Savoir-faire retrouvé

Cette promesse non tenue d’un blockbuster plus « politique », qui aurait lancé Bourne dans une nouvelle direction, l’empêche de trouver un nouveau mobile à poursuivre ses aventures, même si la fin est à moitié ouverte. Au lieu de cela, l’équipe Greengrass-Damon a préféré un produit de synthèse de ce qui a fait le succès de la série, banalisant le héros et la franchise par la même occasion. S’il lui manque la pulpe et le jus d’origine, il en reste la saveur.
Simple divertissement « pop corn », entre Mission:Impossible et James Bond, Jason Bourne est efficace et ni le cinéaste ni l’interprète n’ont perdu la main. On peut cependant leur reprocher un manque d’originalité dans le séquençage qui rappelle trop les précédents films, et du coup, surprend moins. En reprenant les mêmes ingrédients, ils rendent le spectacle un peu trop prévisible, malgré une réelle tension durant deux heures.

Singularité effacée

Une héroïne qui meurt (Bourne 2), une cible mouvante à Londres (Bourne 3), un carnage en voitures (Bourne 2, qui passe de Moscou à Vegas) et une expédition en moto dans une ville surpeuplée (Bourne 3, où Tanger fait place à Athènes), un petit passage à Berlin (Bourne 2), un « atout » en chasse (Bourne 1, 2 et 3), un salaud à la tête des opérations (Bourne 1, 2 et 3), un combat à mains nus entre deux tueurs (Bourne 3, où le final dans la salle de bain est remplacé par un autre dans un parking sordide), une chambre d’hôtel où la vérité est mise à plat entre le héros et le salaud (Bourne 2), etc… Cela va jusqu’à la construction du film : prologue introductif, grosse séquence de chasse à l’homme (Athènes), échanges d’infos piégés (Berlin, Londres), final pyrotechnique (Vegas). On pourrait calquer le modèle sur Bourne 2 (Goa, Berlin, Moscou) ou Bourne 3 (Londres, Madrid, Tanger, New York).

Reste que ça va vite, c’est fluide, le découpage est serré : on ne s’ennuie pas. La franchise Bourne est en mouvement perpétuel et garde dans son ADN ce don pour des très longues séquences d’action brute, à l’ancienne, dans des décors pas forcément glamour, et une habileté à détricoter double voire triple jeu, manipulations, chantages et menaces avec une facilité déconcertante.

Si Jason Bourne ne renouvelle rien dans la série, si même l’épisode apparaît comme assez inutile pour son héros, on peut au moins reconnaître que le film est maîtrisé et qu’il répond aux attentes en matière d’action. Surtout, Matt Damon est irremplaçable dans ce personnage qui coûte très cher au contribuable américain vu les moyens que déploient la CIA pour le tuer. En le rendant plus malin que les autres, il apparaît toujours comme le grain de sable qui fout en l’air tous les rouages de puissances occultes qui se foutent complètement de l’humain. Et c’est ce qui le rend, une fois de plus, si attachant. A l’inverse du super-héros de comics, d’un Ethan Hunt prestidigitateur et en équipe, d’un 007 mythologique mais loyal, et même si tous doivent se battre contre leur propre hiérarchie, Jason Bourne reste un renégat, un rebelle qui a déserté. Un félon qui rêve d’être objecteur de conscience (sachant qu’il en a peu quand il s’agit des autres). C’est en cela où Bourne n’est pas un héros comme les autres et qu’il séduit peut-être plus que les autres.
 
vincy

 
 
 
 

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