Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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The Revenant


USA / 2015

23.02.2016
 



MAN IN THE WILDERNESS





«- Le plus charitable serait de lui tirer dessus. »

On ne s’étendra pas sur les conditions extrêmes du tournage de The Revenant. Pour le spectateur, ça n’a aucune importance. Le cinéma compte un nombre assez important de films qui ont dépassé leur budget ou qui ont du affronter des avanies techniques ou climatiques. Il y a eut de sublimes réussites et de lourds fiascos. The Revenant n’est ni l’un ni l’autre. C’est un grand film, on n’en doutera pas. Pour au moins deux raisons.

Entre gris clair et gris foncé

La lumière et l’image d’Emmanuel Lubezki tout d’abord. Avec un éclairage parfois crépusculaire et des nuances de gris, entre chien et loup, The Revenant rappelle davantage le cinéma russe, d’Andreï Tarkovski à Andrey Zvyagintsev. Les paysages grandioses cadrés en cinémascope, la tonalité et le grain très froids mettent en exergue l’hostilité de l’environnement et l’isolement des hommes, à commencer par celui du survivant, du « revenant », incarné par Leonardo DiCaprio.

C’est la seconde raison pour voir The Revenant. On peut toujours jouer les blaser face aux « performances » de l’acteur. Mais, à l’écran, indéniablement, le comédien reste l’un des plus charismatiques, en plus d’être l’un des rares à être constants dans ses choix, mélange d’instinct pour de grands rôles, de soumission à des cinéastes majeurs, et d’audace pour des sujets loin des standards hollywoodiens contemporains. Avec le personnage inspiré du trappeur Hugh Glass, DiCaprio ne franchit aucun palier particulier mais il est parfait de bout en bout, dans ces errements comme dans sa violence. Il ne porte pas seulement le film, il transporte le spectateur et transcendre, au-delà du monde sensible si l’on suit l’exacte définition de ce verbe, le récit. Leo aurait incarné le Christ portant sa Croix (ici une peau d’ours), il n’aurait pas été plus « passionnel » et « souffrant ».

Itinéraire d'un homme pas gâté

Ces deux piliers compensent les deux failles de The Revenant. Le scénario qui ne va pas plus loin que son pitch (un homme est abandonné comme mort par l’homme qui a tué son fils, il survit et décide de se venger : on sait donc comment cela finit). Il faut juste deux heures et demi pour tenir l’histoire si prévisible. Pour cela Inarritu et son coscénariste Mark L. Smith ont créer des séquences intenses, des personnages secondaires (formidables Will Poulter et Domhnall Gleeson), une quête indienne sans réel intérêt et un dédoublement de cette équipée sauvage entre l’itinéraire du retour de DiCaprio vers le monde des vivants et les vivants qui sont hantés par leur décision de l’avoir laissé derrière eux.

Pas étonnant alors que le film paraisse parfois étiré et pesant. Des critiques qu’on entend souvent pour le cinéma d’Inarritu. Cependant, ici nous sommes loin de l’exercice de style enflé de Birdman ou de la noirceur plombante de 21 grammes. Le cinéaste mexicain, s’il poursuit son exploration des destins abimés par les Hommes, son observation des âmes déchirées par la vie, se focalise de manière plus mature sur ce qui impulse la vie. Certes, il s’agit d’un thème récurrent chez le réalisateur, parfois didactique, mais ici, entre les souvenirs d’un passé aimable et le désir de réparer une injustice, on ressent davantage l’incarnation de ce sentiment invisible qui pousse l’être à « revenir » à son animalité tout en se fondant sur son « humanité ». Et ce n’est pas qu’une question de respiration (motto appuyé un peu trop souvent pour donner un sens simpliste à cette épique odyssée), même si elle donne la belle image d’une caméra embuée.

Et au milieu coule une rivière

Une fois dit tout cela, on pourrait épiloguer sur l’héritage de The Revenant : le métissage déjà abordé avec Danse avec les loups, le requiem destructeur d’Impardonnable, l’égarement et la conscience naturaliste de Jeremiah Johnson, ou encore le survival qui devient tellement à la mode. Mais ce qui marque surtout l’esprit c’est la puissance de quelques scènes. En solo, DiCaprio se retrouve à s’abriter dans une carcasse tout juste éviscérée, à manger un organe animal ou un poisson cru, à porter la fourrure de l’ours qui l’a détruit (haute symbolique psychanalytique). Ces excès participent à insuffler de l’adrénaline dans un film qui est volontairement atone, comme un cœur prêt à s’arrêter de battre.

Et puis il y a la « trilogie » aventureuse. L’attaque brutale du camp des trafiquants par les Indiens. En plans serrés, le massacre est saisissant. Les flèches fusent de nulle part. L’hécatombe est rapide. On pense instantanément au prologue d’Il faut sauver le soldat Ryan. Il faut sauver sa peau et sauver les peaux. Vient ensuite l’attaque de l’ours. Ne jamais vendre sa peau avant de l’avoir tuée ! Sauvage, bestiale, prenante, ce duel entre la star et le grizzli est féroce et furieuse. De quoi scotcher. L’acteur devient une poupée entre les pattes et les griffes d’une créature en image de synthèse.

Enfer blanc

Et enfin le duel dans la neige, entre le bourreau (Tom Hardy, dans une prestation très classique mais subtile) et la victime. Au milieu de cette nature – obstacle, entre pentes abruptes angoissantes et sol enneigé, froid glacial et arbres gigantesques apaisants – la chasse à l’homme, cette traque entre trappeurs, rappellera les grands duels du western, filmée comme une chasse de thriller, où le « héros » doit régler son compte au « salaud ». Armes blanches et larmes blanches. L’émotion est froide, pas bouleversante.

Dans ce film où tous les corps sont martyrisés, torturés, scarifiés, l’horreur est pourtant plus psychologique que physique. Le sentiment d’abandon et l’absence de repentance prend le dessus sur ces bains de sang et la démolition de Leo le Magnifique. Ici ni glamour, ni bling bling, Di Caprio en éclaireur pas si clairvoyant, pousse juste plus loin sa capacité à combattre l’hypothermie (qui acheva son personnage dans Titanic) au milieu de zombies agressifs. La chair est pourrie, la raison en folie. Il y a des temps morts, qui semblent aussi longs que l’éternité, et des moments où la vitalité est en jeu. De la répugnance et de la conscience. De la fièvre et de la songerie. Inarritu continue de sonder les 21 grammes de l’âme qui s’envolent après la mort, les haines chiennes, l’impossibilité de coexister, la démence qui nous habite. Mais là il cadre tout ça dans une œuvre grandiloquente, opératique, très linéaire, pour ne pas dire dans un genre formaté, où il cherche, à chaque plan, la méthode pour éviter les pièges de cette narration codée et pour casser le cadre d’un cinéma qui a déjà tout raconté. Parfois, il suffit d’une image et d’un visage. Un Lubezki et un DiCaprio.
 
vincy

 
 
 
 

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