Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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El Club


Chili / 2015

18.11.2015
 



CALVAIRE SALUTAIRE





«- Cette maison n’est pas un Spa ni une maison de retraite ».

Loin des couleurs presque chatoyantes et du rythme vif de No, Pablo Larrain continue d’explorer les épisodes sombres de l’histoire chilienne avec ce Club pas comme les autres. L’image est désaturée, la caméra au plus près des visages, le découpage presque clinique. Surtout, son sujet s’attaque au tabou de la complicité de l’Eglise face aux crimes de ses prêtres. Eminemment cynique, El Club est filmé quasiment comme un reportage « embedded » sur des cas de conscience individuelles : coupables ou pardonnables, peu importe. Si le cinéaste s’attaque de manière engagée et courageuse dans cette histoire de non-dits, la sobriété qu’il emploie et la subtilité de son scénario rendent l’œuvre plus poignante que politique. El Club tend un miroir à ses protagonistes comme il nous demande de réfléchir à une dialectique, jamais didactique, entre l’horreur de leurs péchés et leurs sentiments troublés par la vérité qui les juge.

Voilà donc une secte. Un club de prêtres, aidé d’une sœur pas très nette, qui ont oublié la foi et préfèrent vivre (course de lévriers, alcool, fantasmes sexuels) en niant leur passé : vol de bébés, abus sexuels sur mineur, complicité de tortures… Plutôt que d’affronter une guerre médiatique perdue d’avance, l’Eglise leur envoie un psy haut-de-gamme, du genre beau quadra avec une American Express. Il est là pour fermer cette maison des vices, au nom de la vertu. Nettoyer la saleté qui pourri l’image du Catholicisme. Mais ce n’est pas si simple…

Certes, ils vivent reclus, sont punis dans cette prison où ils essaient de se construire un semblant de vie avec quelques plaisirs pas très catholiques. Mais confrontés au psy – examen de conscience, test de foi – et à un innocent, une victime perdue à cause de leurs abominations – révélateur de la vérité, des conséquences de leurs actes – ces pourris s’humanisent et parviennent même à nous apitoyer. C’est l’une des grandes forces du cinéastes que ne laisse son film dans une zone brumeuse de la morale, à l’instar de ce ciel grisâtre permanent qui enveloppe le village côtier où ils résident.

L’ambiance est pourtant pesante et les rancoeurs, les amertumes exacerbés. La souffrance intérieure de chacun, bourreaux comme victime, l’impossible justice (divine, humaine, ecclésiastique) rendent les rapports insupportables. Et ici nul pathos ou mélo. Pablo Larrain opte pour des témoignages au milieu d’une allégorie plus universelle. Car, il en ressort un personnage presque christique de cette histoire : le malheureux innocent. Celui dont tout le monde a profité et dont on va se servir pour expier ses propres péchés. Un pauvre bougre, un peu ivrogne, qui ne sait même plus baiser normalement. Le coupable idéal pour un lynchage. Un misérable dont la résurrection amènera chacun à devoir porter sa croix. Il est celui qui les hante, le symbole de leur passé abominable.

Mais le cinéaste ne s’embarrasse pas de métaphore chrétienne, choisissant plutôt une voie plus impénétrable cinématographiquement : l’illustration des failles humaines plus fortes que le repentir, l’abstinence et la pénitence. Face à l’autorité stricte de l’Eglise, on voit bien les limites des dogmes et surtout, le réalisateur donne un coup de griffe assez profond à l’institution catholique, en l’accusant d’être responsable, par sa bienveillance ou son silence, des crimes dont ces prêtres ne répondent pas devant un tribunal, empêchant leurs victimes d’être reconnues en tant que tel.

Car l’Eglise est bien coupable dans ces affaires et les prêtres incriminés de cessent de lui rappeler ses contradictions. Le mal n’est pas si bien défini, ce qui intensifie la force de l’histoire. Et l’amour est tout aussi flou. Avec intelligence, la rhétorique se met en place, mais ne suffirait pas à nous glacer ou nous émouvoir. C’est là que le réalisateur fait intervenir une dimension proprement cinématographique, "dramaturgique" : les lévriers. C’est avec eux que la tragédie va avoir lieu, emmenant le film vers une tension crescendo qui n’a rien à voir avec le sujet mais qui permet à l’œuvre de saisir l’horreur et la stupidité d’un monde où la justice rend chacun barbare.

Rien n’est blanc, rien n’est noir. Personne n’est vraiment fou, mais tous ont un comportement bâtard, c’est-à-dire violent, ambivalent, méprisable selon la « norme ». Pas étonnant que l’Eglise préfère garder sous son contrôle, loin du monde, ses mauvais éléments, plutôt que de s’exposer à la vindicte populaire, qui, aveuglée, pourrait vouloir se déchaîner contre les « représentants » de Dieu. L’hypocrisie règne et l’affection s’évapore. Les démons se régalent de nos guerres intérieures et de nos lâchetés permanentes.
 
vincy

 
 
 
 

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