Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Avril et le monde truqué


France / 2015

04.11.2015
 



L'AIR DU CHARBON





"Encore un qui a découvert l'électricité!"

La qualité première d’Avril ou le monde truqué tient dans sa proposition artistique (le film a obtenu le cristal du meilleur film au festival d’animation d’Annecy 2015). En effet, celle-ci, qui procède d’une mutualisation de compétence réussie, convoque, sans jamais dénaturer l’univers si singulier du dessinateur Jacques Tardi (Les aventures d’Adèle Blanc-Sec adapté au cinéma par Luc Besson en 2010), une histoire inédite à l’esthétique « steampunk » en parfaite cohérence avec son traitement uchronique (la réécriture de l'histoire). Cette disposition narrative, loin d’être évidente, permet aux deux réalisateurs de façonner en toute liberté leur monde rétro-futuriste bloqué à l’ère du charbon, voyant la mécanique des machines à vapeur dominer tout progrès technologique et scientifique. Ainsi, nous nous retrouvons happés par la démesure d’un univers parallèle exubérant un temps des catastrophes perpétuel ou la ferraille parsème chaque décor vierge de toute végétation. Que dire, alors, de ce Paris transformé en une véritable bulle de pollution avec deux tours Eiffel aménagées en station téléphérique reliant Paris à Berlin.

Les ombres de Jules Verne, Edgar P. jacobs, Hayao Miyazaki...

Si l’histoire avec un grand H ne peut se soustraire à sa propre temporalité, les modifications événementielles décidées par les auteurs perturbent sa trajectoire, comme en atteste le règne de Napoléon V sur la France. Les années 40 s’inscrivent alors dans un autre temps, sans guerre mondiale, entre l’épopée historique et le conte fantastique. Conscients qu’il ne faut jamais brasser du vide quand on a de la matière, les cinéastes s’attachent à reconstituer avec brio, et minutie, un environnement visuel très graphique – merci Tardi – crédibilisant pour le coup cette réappropriation historique où se meuvent les différents protagonistes sur un air de fin du monde. Les ombres tutélaires de Jules Verne, Edgar P. Jacobs (Black & Mortimer), Hayao Miyazaki ou encore Katsuhiro Ôtomo (Steamboy) planent sur ce long-métrage d’animation absolument réjouissant.

Avril, comme une touche de couleur éclatante sur un film en noir et blanc, éveille, puis anime, toutes les curiosités d’une histoire mi-policière, mi-fantastique dont les grandes manœuvres politico-complotiste alimentent le concept d’immortalité, lui-même indissociable à l’équilibre de la planète. Le destin tragique de cette jeune fille devenue orpheline va faire écho à l’inanité d’une civilisation qui n’arrive plus à se réinventer. Pour cause. Une organisation traque les meilleurs savants pour les faire disparaître. L’intime d’une situation – les parents d’Avril, eux-mêmes savants, se font enlever sous ses yeux – dépasse alors la sphère privée pour englober des enjeux en résonance aux actions d’une héroïne malgré elle. Avril ou le monde truqué se construit comme un récit d’aventures, tout à la fois folklorique, futuriste, merveilleux, pessimiste, sombre mais toujours porté par un cœur tenace qui n’accepte pas la façon dont le monde tourne.

Du Tintin dans l'air et dans l'héroïne

Elle, la rebelle un brin garçonne, ne baisse jamais les bras malgré un monde industriel agonisant, gris et technologiquement éteint. L’heure n’est plus à la prophétie de pacotille ni à la fascination aveugle d’une science soumise à la loi du plus fort. Non, le nœud narratif qui s’inscrit autour d’une critique des dangers d’une science sans contrôle – un peu naïvement il faut l’admettre –, se double d’une satire sociale et écologique. Mais le film ne perd pas son temps. Sa réussite ? Produire une dynamique vitale orchestrée via une folle course contre la montre à l’imagerie débridée. Le divertissement à la « Hergé », c’est-à-dire contextualisé, domine un long-métrage entretenant l’idée d’urgence. Urgence d’une fille dans la poursuite des travaux de ses parents. Urgence pour la domination du monde par un pouvoir impérial. Urgence d’en modifier la trajectoire. Urgence, enfin, dans la confrontation d’un monde ambivalent à la fois privé de science mais obnubilé par les inventions, la recherche, le progrès. Au-delà des nombreux rebondissements pour le moins rocambolesques des péripéties d’Avril, elle-même accompagnée de son chat parlant Darwin (épatant Philippe Katerine), de son grand-père Pops (tout aussi épatant Jean Rochefort), du bon gars Julius et du très collant inspecteur Pizoni (Ah, Bouli Lanners…), les deux réalisateurs Christian Desmares et Franck Ekinci nous mettent en garde. Ils soulignent, à demi-mot seulement puisque le divertissement domine, l’importance du principe de responsabilité de toute recherche scientifique qui se doit d’être éthique, maîtrisée, écologiquement partagée. Rien n’est perdu d’avance et l’humanité doit devenir l’instrument de sa propre continuité. Le monde d’Avril est une invitation pour petits et grands à croire aux lendemains.

Le film, dans sa conclusion, n’est pas très éloigné de la philosophie de Hans Jonas qui estime que la science, aussi importante soit-elle, ne doit jamais mettre en danger les générations futures ainsi que l’équilibre naturel sur terre. Le long-métrage ne dit pas autre chose avec comme source d’espoir Avril, jeune femme libre, aventureuse, acharnée, pleine de vie et surtout d’avenir.
 
geoffroy

 
 
 
 

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