Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



Ailleurs
Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary
Effacer l'historique
Ema
Enorme
La daronne
Lux Æterna
Peninsula
Petit pays
Rocks
Tenet
Un pays qui se tient sage



J'ai perdu mon corps
Les misérables
The Irishman
Marriage Story
Les filles du Docteur March
L'extraordinaire voyage de Marona
1917
Jojo Rabbit
L'odyssée de Choum
La dernière vie de Simon
Notre-Dame du Nil
Uncut Gems
Un divan à Tunis
Le cas Richard Jewell
Dark Waters
La communion



Les deux papes
Les siffleurs
Les enfants du temps
Je ne rêve que de vous
La Llorana
Scandale
Bad Boys For Life
Cuban Network
La Voie de la justice
Les traducteurs
Revenir
Un jour si blanc
Birds of Prey et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn
La fille au bracelet
Jinpa, un conte tibétain
L'appel de la forêt
Lettre à Franco
Wet Season
Judy
Lara Jenkins
En avant
De Gaulle






 (c) Ecran Noir 96 - 24


  



Donnez votre avis...


Nombre de votes : 31

 
Ex Machina


Royaume Uni / 2015

03.06.2015
 



CHANGEMENT DE CODE





L’Homme et la machine. Ce duo romantique –puisque souvent tragique – maintes fois narrés au cinéma depuis Métropolis de Fritz Lang (1927), fascine toujours autant par les potentiels philosophico-narratifs d’une relation entre un créateur et sa créature. Ceci est encore plus vrai depuis l’avènement des programmes informatiques (milieu des années 50) et l’existence de l’I.A (Intelligence Artificielle), machine complexe capable d’exprimer des sentiments et de développer un certain niveau de conscience. Avec Ex Machina, Alex Garland - écrivain (La plage) et scénariste (28 jours plus tard, Sunshine), qui signe ici son premier film - ne s’écarte pas d’une certaine tradition propre à la S-F en nous conviant dans un huis clos où l’étrange se mêle au malsain.

En effet, le réalisateur récite sa leçon mais ose, par moment, se jouer des codes d’un genre en modélisant dans un espace clos les interactions d’un trio original afin de servir, puis de soutenir, la mise en tension d’une histoire volontairement plus proche du thriller gothique que du récit métaphysique. Ce que le film gagne en sensationnel (dans son rapport au dérèglement des consciences, des identités, dans un jeu de masques), il le perd en profondeur d’analyse. Si l’I.A (Ava, jouée par la magnétique Alicia Vikander) n’est pas sacrifiée sur l’autel du roman noir, sa représentation, sexuée au possible, recodifie l’axe initial qui s’arc-boutait sur l’invitation d’une tierce personne (Caleb, brillant codeur de Bluebook interprété par Domhnall Gleeson) chargée de sonder l’« âme » de Ava par le biais d’un dialogue codifié par Nathan, PDG de Bluebook (Oscar Isaac).

Nous pensions alors voir déployer l’hypothèse d’une transgression du naturel vers l’artificiel, reproduction parfaite d’un Moi autonome capable d’émancipation. Ainsi, mais de façon détournée, l’existence d’une validation par le test de Turing est convoquée (celui-ci évalue la capacité d’une I.A à imiter une conversation humaine). Sauf que le cinéaste ne veut expérimenter une telle proposition au-delà de l’esquisse. Il préfère donner le change quant à la finalité d’un long-métrage habile dans l’art de la manipulation. L’affrontement sera psychologique, terriblement humain puisque incertain, jouant sur un même tableau avec les désirs, les frustrations, les peurs et les vérités supposées.

Nous nous rendons rapidement compte qu’il ne s’agit pas de savoir si Ava possède une conscience, mais jusqu’où la folie démiurgique de Nathan l’a poussée à façonner une créature capable de se substituer aux êtres humains. Le mythe de Frankenstein prend possession du cadre pour accréditer l’idée d’un axiome (raisonnement évident non démontrable), seul énoncé capable d’expliciter les dérèglements en marche. Le conte horrifique remplace la fable futuriste. D’ailleurs, pouvait-il en être autrement ? Nathan, en testant simultanément Ava et Caleb dans un pari fou de contrôle absolu, transforme la génétique d’Ex Machina en un maelström incontrôlé de désirs contradictoires, d’obsessions refoulées, de fascination terrifiante.

Sans crier à l’imposture, qui, si elle était avérée, ne nuirait pas au travail formel remarquable de ce premier film, nous voyons poindre avec malice la construction d’un faux-semblant scénaristique capable d’explorer la dimension tragique d’un jeu de dupes révélateur des réelles motivations de Nathan. Plus le film avance plus il s’échappe de la rigueur scientifique, préalable indispensable à toute forme de vérité, même les plus singulières. L’acquis devient l’évidence. La croyance, la force motrice d’un métrage sexué – érotique – nous renvoyant à une codification balisée, même si ambigüe, entre l’homme (prédateur) et la femme (« objet » de la prédation). Les frontières du réel s’estompent dans ce décor claustrophobe composé de caméras, de portes verrouillées et de couloirs inquiétants au profit d’une autre réalité tangible aussi prometteuse qu’effrayante.
 
geoffroy

 
 
 
 

haut