Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Night Call (Nightcrawler)


USA / 2014

26.11.2014
 



LE(S) VOYEUR(S)





"Tu prends la caméra et tu filmes!"

Palpitant, déroutant et surprenant. A première vue, Night Call est un film de genre, un peu retors, qui s'interroge sur la déontologie journalistique, le cynisme des médias (et de leurs consommateurs) et le respect de l'individu.

Lou (Jake Gyllenhaal) est un chasseur de scoop. Il parcours en solitaire les rues de Los Angeles afin de filmer des images chocs - les lieux des accidents de voiture ou des homicides - pour la télévision. Entre courses poursuites impressionnantes, néons et musique électro, Night Call pourrait être vu comme une suite au film qui a rendu Ryan Gosling encore plus sexy, Drive. La chanson Drive du film éponyme, qui nous plongeait dans une rêverie plus que fantasque, est d'ailleurs présente. Nota bene: les deux films sont issus de la même boîte de prod.

Pourtant le scénario de Dan Gilroy, dont c'est le premier film, n'a rien de commun. Ici pas de mystérieux conducteur qui tente de sauver sa peau mais un apprenti journaliste à la recherche de chocs sensationnalistes, sans éthique ni décence. Incarné par un Jake Gyllenhaal magistral et méconnaissable, ce voyeur sans scrupules, voyou sur les bords, nous pétrifie par son immoralisme, son appétence pour le macabre et le sang. Thriller glacial sur les médias, il devient une mise en abyme tétanisante sur la violence gratuite du cinéma. Le récit bascule ainsi du nauséabond au brutal, du suspens à l'horreur (humaine). Le vidéaste est prêt à tout même à dissimuler des preuves sur les scènes de crime. Pervers, il va jusqu'à organiser une situation effroyable qu'il pourra monnayer à gros prix.

Critique acerbe d'un monde qui se fout de la réalité et encense la cruauté et veut satisfaire les instincts les plus vils de téléspectateurs qui s'ennuient (qui est responsable au final? ceux qui regardent ou ceux qui filment?), Night Call dénonce mais pas seulement.

Si cet excellent thriller donne à réfléchir c'est avant tout sur le personnage qu'interprète Gyllenhaal. Marginal, maigre, flirtant avec les enfers, il est davantage une créature mutante de notre monde moderne. Un homme qui s'adapte à l'ultra-libéralisme de son environnement, à ses aspects les plus sordides (mais pas les moins vendeurs). Et cela le mue en psychopathe relié au monde uniquement via Internet. Un vautour au sens propre du terme, attiré par le goût du sang, la chair des morts. Un frisson parcourt notre échine. Car ici, ni bien ni mal, ni Dieu. Le prix du marché est Roi. Il négocie. Le seul but est de gagner plus d'argent, de s'intégrer socialement. Comme si la richesse financière était le seul moyen d'avoir sa place dans le monde. Cela ne signifie pas qu'il est antipathique. Il est juste un de ces êtres hyper-connectés avec une société virtualisée, qui a besoin de se gaver d'images terrifiantes pour ressentir une émotion, éprouver un désir. Et, paradoxalement, il est complètement déconnecté des valeurs humaines. Insensible plus qu'impassible.

La fin justifie les moyens? En tout cas Lou est l'illustration d'un symptôme, celui d'une société malade, d'un système qui se croit invincible, entre matérialisme, individualisme et court-termisme. La pulsion et l'instant présent règnent. L'émotion est anéantie par le diktat des images. Ce qu'il filme c'est le dérèglement de ce système. Ce qu'il devient ce n'est jamais qu'un animal de cet eco-système (au sens économique). Il s'enrichit sur la misère et le morbide. C'est un Vampire (les dents sont aujourd'hui une caméra) dans une métropole déshumanisée et sans beauté. Gyllenhaal ne cherche pas à séduire : il veut du sang. Les spectateurs ne veulent pas autre chose : du sang. On est emporté dans une spirale infernale où le cinglé qu'il est, de plus en plus déconnecté de la réalité, filme de plus en plus d'images répugnantes.

Il n'y a plus de boucliers, plus de remparts. Le choc visuel prime, surtout en prime-time. Mais ce qui reste de cette virée en enfer, c'est la facilité d'un dingue à trouver sa place dans cet environnement hostile, où l'humanité n'a plus sa place justement. Si Night Call séduit c'est parce qu'il porte un jugement moral, sans jamais le signifier, sur des actes immoraux et un être amoral.
C'est le propre d'un film noir, d'un thriller qui éclaire la face cachée, la monstruosité de notre existence. Un film qui met en plein jour ce que la nuit nous cache. Lou n'est alors que l'instrument du diable devant la caméra de Gilroy, qui pour le coup, refuse tout sensationnalisme pour nous réveiller. Il cherche juste à ouvrir nos yeux. C'est réussi.
 
cynthia

 
 
 
 

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