Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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World War Z


USA / 2013

03.07.2013
 



ENTRETIEN AVEC UN ZOMBIE





"Dame nature est une tueuse en série !"

Depuis George Romero et sa Nuit des morts vivants en 1968, on s’est habitué à chercher le message politique caché dans tout film de zombies, qu’il s’agisse d’une menace intérieure, d’une dénonciation du capitalisme forcené et de son consumérisme à outrance, ou tout simplement le constat de la perte d’humanité des sociétés contemporaines.

Chaque film a sa vision propre, qu’il décline en fonction de son époque et du public qu’il vise. Ainsi, World war Z, adapté du roman d’horreur post-apocalyptique éponyme de Max Brooks, suggère que l’épidémie zombie pourrait être un geste de défense de la nature afin de réguler (à sa manière) une population mondiale exponentielle lancée dans une destruction systématique des richesses naturelles, voire d’elle-même.

Ouvertement formaté pour un public familial peu familiarisé avec les problématiques zombies (et pas vraiment prêt pour ses aspects les plus gores), le film présente une menace qui agit d’abord sur le plan de l’intime, en séparant le héros de sa famille, et en le contraignant à renouer avec la profession dangereuse et usante qu’il avait abandonnée. Durant tout le film, il s’agit moins pour lui de sauver l’Humanité que de retrouver sa femme et ses enfants.

La cellule familiale mise en danger par une menace extérieure est probablement l’un des motifs les plus courants du cinéma d’action, qu’il faille le prendre au sens littéral, ou comme une métaphore simpliste pour la mère patrie. A croire que s’ils n’avaient personne en particulier à sauver, les grands "héros" resteraient tranquillement chez eux à attendre la mort. En attendant, c’est surtout un moyen dont abusent les scénaristes pour faire vibrer la corde sensibles des spectateurs et humaniser le héros solitaire et baraqué qui manque parfois cruellement d’épaisseur propre. Ici, le film joue d’ailleurs ouvertement la carte du père de famille sexy (incarné par un Brad Pitt un peu ramolli, mais encore tout à fait convenable), histoire probablement d’équilibrer l’aspect plus "sanglant" des exactions zombies qui, sans réinventer quoi que ce soit, ménagent quelques passages assez répugnants.

La tentation du repli sur soi

En parallèle, il montre comment l’invasion des morts vivants altère la structure étatique ainsi que les valeurs essentielles d’une société. Ainsi, ne sont sauvés que ceux qui peuvent s’avérer utiles, un chantage explicite s’exerçant sur ceux qui refusent de coopérer avec les autorités. Le réalisateur Marc Forster ne va toutefois guère plus loin dans son portrait d’une société censée être en plein chaos. Malgré les immenses pertes humaines et matérielles, le pouvoir reste en effet très hiérarchisé et structuré. Encore plus surprenant, les voies de communication restent parfaitement opérationnelles. Le personnage principal parvient ainsi à voyager aux quatre coins du monde et à rester en contact avec sa femme et son chef alors que les plus grandes nations, et avec elles leurs industries et infrastructures, s’effondrent sous le coup de l’épidémie.

Autre piste traditionnelle classiquement exploitée par World war Z, la tentation du repli sur soi comme moyen d’échapper à la contamination. Les militaires se réfugient sur un porte-avions qui navigue, seul, en plein océan. Israël parvient à éradiquer la menace grâce aux murs que le pays a érigé autour de Jérusalem. Même les grilles qui séparent les différents quartiers de la ville semblent tout à coup utiles pour tenir les zombies à distance.

Pourtant, après un moment de flottement où le film semble d’abord accuser Israël d’avoir généré la menace, puis semble justifier la situation de séparation stricte des deux peuples à l’intérieur du pays, il dynamite définitivement l’idée reçue d’un repli sur soi salvateur en montrant qu’aucun mur n’est assez haut pour être infranchissable. Dans le même temps, la caméra s’attarde un moment sur les peuples israéliens et palestiniens sympathisant dans un grand mouvement de communion fraternelle. Comme le remarque cyniquement un officiel israélien : "chaque humain sauvé est un zombie de moins". Il aura juste fallu un avant-goût de la fin du monde pour qu’une réconciliation soit possible.

Mais le scénario ne s’attarde pas sur la question. Il est temps pour le héros de fuir la ville assiégée et de reprendre son tour du monde des horreurs zombies. Car la philosophie du personnage est justement "le mouvement, c’est la vie", ce qui va dans le sens du refus du repli sur soi, mais ressemble en même temps à une perpétuelle fuite en avant un peu vaine.

C’est que World war Z s’apparente moins à un film de survie (comment s’organiser pour résister et survivre à l’invasion ?) qu’à une enquête presque banale sur les traces du patient zéro, censé donner un moyen d’enrayer l’épidémie. Parce qu’il est inconcevable (pour un scénariste américain mainstream) de ne pas apporter une solution concrète au problème zombie. Preuve que le film est moins là pour donner à réfléchir que pour générer un certain suspense, doublé d’un divertissement spectaculaire, trouvant une conclusion heureuse.

Une solution au problème zombie

Pour ce qui est du grand spectacle, on en a globalement pour son argent. Marc Forster privilégie une mise en scène fluide et grandiose qui met l’accent sur les larges plans d’ensemble, un fort découpage de l’action et une savante multiplication des points de vue qui insuffle un rythme trépidant. Les personnages sont souvent filmés au second plan, avec un objet flou qui bouche une partie du cadre, comme s’ils étaient observés depuis un point situé hors champ. Efficace pour ménager une petite angoisse chez le spectateur, sans pour autant apporter quoi que ce soit de nouveau au genre.

La nouveauté, si tant est qu’il y en a vraiment une, vient plutôt de la "solution" apportée au problème zombie [attention, spoiler]. Une solution assez simpliste (à l’image de la dernière partie du film, où tout est beaucoup trop facile, voire risible, et que certains imputent à la réécriture de dernière minute de Damon Lindelof) et malgré tout plutôt maligne. Le film élabore en effet une théorie selon laquelle les zombies ne s’intéressent qu’à ce qui est sain et en bonne santé. Le film ne donne aucune explication sur cette curiosité : est-ce un moyen de paralyser plus rapidement le pays en concentrant ses attaques sur les forces vives ? Ou au contraire les zombies reconnaissent-ils comme semblables ceux qui sont en mauvaise santé et épargnent-ils ainsi leurs pairs ? On pense symboliquement à une tentative d’enrayer le progrès humain en éliminant les individus dangereux (parce que dotés des moyens de nuire) et en laissant au contraire évoluer les plus inoffensifs (faibles, malades, mourants). Toujours est-il que pour exploiter cette faille, il ne s’agit pas tant de guérir les zombies que de cohabiter avec eux en utilisant un stratagème de dissimulation.

Les Etats-Unis ne combattent donc plus frontalement leurs ennemis mais apprennent avant tout à les connaître, avec l’arrière-pensée de pouvoir les dominer et peut-être les utiliser. C’est là un point de vue éminemment original, malheureusement pas tellement exploité par le film qui s’arrête avec cette découverte (et bâcle complètement son épilogue). Sans doute s’agit-il de laisser la porte ouverte à une suite.

Mais on peut surtout en déduire que Marc Forster et son équipe ont tenté de gommer toute interprétation trop politique du film pour privilégier son apparence de chronique intimiste réaliste. Sur le fond, pourquoi pas, même si World war Z trahit largement le roman qui l’a inspiré. Toutefois, le déséquilibre entre les deux premiers tiers du film et la dernière partie gâche vraiment trop le plaisir (même basique) du spectateur. C’est une chose de réaliser un divertissement familial formaté et imparfait, tant qu’il est efficace. C’en est une autre de gaspiller une bonne histoire par pure négligence, en pensant que le public ne sera pas capable de faire la différence.
 
MpM

 
 
 
 

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