Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Gran Torino


USA / 2009

25.02.2009
 



«- La mort est douce amer : Amer dans la douleur, douce dans le salut. »





Cela fait déjà quatre ans que Clint Eastwood ne nous avait plus offert sa silhouette longiligne et son regard bleu acier dans un film, fut-il réalisé par ses soins ou celui d’autres cinéastes. Question d’opportunité, d’envie réelle et surtout de rôle cinématographique à la mesure du bonhomme. Ces trois paramètres, de plus en plus difficile à réunir pour le maître américain, semblent avoir trouver un écho saisissant dans son dernier long métrage, Gran Torino. Alors qu’un grand nombre de fans se faisaient un joie de revoir Clint dans une histoire de vengeance un brin réactionnaire propre aux movies des années 70 avec pour tête de file l’inoubliable Inspecteur Harry de Don Siegel, Gran Torino ne peut et ne veut pas reproduire, époque oblige, un schéma qui aurait semblé anachronique comme sociologiquement caduc. Car à bien y regarder, le ton (vif, drôle, impertinent), l’esprit (aussi désabusé qu’humaniste) et le cheminement personnel d’un homme au crépuscule de sa vie (de l’intolérance taciturne à sa rédemption inattendue) offrent la synthèse filmique parfaite d’une carrière commencée il y a trente neuf ans avec Un frisson dans la nuit.

Walt Kowalski (Eastwood), vétéran de la guerre de Corée à la retraite après avoir usé son corps une cinquantaine d’années dans les usines Ford de Détroit, se retrouve veuf suite au décès de sa femme bien aimée. Décalé, seul et antipathique, il n’a presque plus de contact avec ses fils et ses petits-enfants, voit d’un œil mauvais ses nouveaux voisins Hmongs (peuplade d’Asie originaire de la Chine, du Viêt-Nam et du Laos) et n’hésite pas à dénigrer voir insulter ses congénères, le jeune prêtre de la paroisse compris. Cette routine sera de courte durée. La tentative de vol de sa Ford Gran Torino 1972 (sa seule fierté) par le fils de la voisine Hmong, rompra la monotonie glaçante du veuf scrutateur d’un quartier devenu pour lui méconnaissable. Acceptant non sans une certaine réticence de s’occuper du garçon, le vieil homme se prendra au jeu en essayant d’inculquer les quelques valeurs essentielles à tout homme en devenir normalement constitué.

Derrière l'humour acerbe, un idéalisme blessé
Si le film ne manque pas d’humour (la scène chez le coiffeur du coin vaut le détour), l’intrusion du garçon dans la vie de Kowalski servira de catalyseur aux différentes psychologies en lien direct avec la violence du dehors. Outre les facéties de langage d’un misanthrope reclus, certaines valeurs comme la droiture, le courage et l’esprit de justice seront portées par cet homme du passé conscient, néanmoins, de l’imminence d’un danger véritable. La protection du jeune homme n’est donc en rien un acte gratuit et résonne plutôt comme un sombre écho à la condition d’un homme malade rongé par le remord. Intelligemment, Clint Eastwood dessine le portrait de cet idéaliste blessé dans son amour propre, incapable d’aimer et de se faire aimer par ses enfants tant celui-ci reste arc bouté sur des principes de vie devenus obsolètes. Et puis, comme si de rien n’était, le cinéaste instaure un climat de plus en plus tendu, étouffant, oppressant. Le ton change, mais pas la finalité d’une mise en scène distillant avec maestria l’inéluctable conclusion prendre forme sous nos yeux.

Un homme qui tente de faire un pont entre son image et ses idéaux
Inclassable, Gran Torino est une œuvre crépusculaire, intime, foisonnante, factuelle, ironique. Mais plus encore, elle demeure personnelle en proposant les thématiques phares du réalisateur (vie, mort, courage, vengeance, morale personnifiée et corruption, sacrifice, illusion, droiture…) dans la sobriété et le réalisme qui le caractérise. Ouverte, elle offre une grille de lecture brillante sur près de quarante ans d’un cinéma souvent engagé stylistiquement et physiquement, l’action se faisant rattraper au fil du temps par la dimension psychologique des personnages incarnés ou dessinés par Eastwood. Subtile, car jamais gratuite, ni de prétexte, elle brasse avec une certaine délectation différents types de sociétés, de cultures et d’époques sans prendre le risque de tomber dans le mélo larmoyant ou le vieux polar réac indigeste. La force symbolique du film se trouve précisément là, dans la confrontation puis l’acceptation d’un monde qui n’est plus / pas celui de Kowalski. Pour autant, le cinéaste se refuse au cloisonnement primaire et indépassable, crée alors du malaise, force sur l’ironie, glisse une tension sourde et, filmographie oblige, ne peut se résoudre à emprisonner son / ses personnages dans des postures caricaturales. En faisant de Kowalski un vieil acariâtre vindicatif, raciste et solitaire capable d’évoluer vers plus de tolérance (même si elle demeure un peu égoïste car sacrificielle), Eastwood bouscule une fois de plus les lignes de fracture pour nous conter, au final, une histoire de transmission, de respect, d’amertume mais aussi d’engagement. Gran Torino c’est l’action au cœur de l’intime, les troubles révélés par l’imminence de la mort, l’évocation des fantômes d’un passé prégnant, tendu et indélébile, la construction d’un espace mental bouleversé en prise avec la réalité d’un monde à plusieurs vitesse. Mais nous pouvons y voir, aussi, la nostalgie d’un temps sans doute plus simple où l’homme était jugé avant tout par ses actes. Soit l’essence même du cinéma d’Eastwood.
 
geoffroy

 
 
 
 

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