Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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W. - L'improbable président


USA / 2008

29.10.2008
 



BUSH A BUSH





«_ Tu es le diable avec un chapeau blanc »

W. – L’improbable président d’Oliver Stone n’est pas un film en réaction. Eloigné du pamphlet auquel on aurait pu s’attendre de la part d’un cinéaste clairement engagé à gauche nous nous retrouvons, au contraire, en face d’une œuvre délibérément lisse, factuellement consensuelle et métaphoriquement caricaturale. Soit l’expression cinématographique d’un artiste n’ayant toujours pas digéré l’échec public et critique de son Alexandre (2004). Mais à bien y regarder, W. suggère une vision douce amère d’une Amérique blessée, meurtrie dans sa chair et profondément désabusée par tant de promesses non tenues et de mensonges d’état. Un peu comme si Oliver Stone ne voulait pas accabler plus que de raison un homme – le président – et son administration des impensables erreurs commises au cours des deux derniers mandats. Car W. c’est d’abord et avant tout l’histoire d’un casting improbable pour ne pas dire irréaliste dans sa folle ascension au poste suprême lui-même en total contradiction avec les prédispositions de l’actuel résident de la Maison Blanche. Cette approche cohérente et somme toute logique, exprime très bien les motivations d’un cinéaste bien plus préoccupé à parler de l’homme que du politique. Une première.

Stone évacue tout contexte socio-politique
En l’état, Stone ne formule aucune accusation explicite, ne fomente aucune vindicte populaire et n’élabore aucune analyse poussée sur les décisions fallacieuses d’une administration coupable d’une guerre inutile et mensongère. Au lieu de cela, il concentre sa caméra exclusivement autour de Bush fils, ne le quittant pour ainsi dire jamais. Certain de son orientation scénaristique, Stone évacue tout contexte socio-politique pour enfermer son président dans une intériorité aussi physique – la quasi-totalité des scènes sont filmées en intérieur – que psychologique – importance des parties oniriques –. Par ce procédé dit de confinement, le cinéaste opère une appropriation intime du personnage mais l’éloigne, de fait, de tout encrage social tangible. Le président devient un fantôme recroquevillé dans sa forteresse blanche que seules les scènes de flash-back arrivent à briser. Deux visages apparaissent simultanément sous la forme d’un clair-obscur basique. Passé et présent se confondent dans un va-et-vient le plus souvent relié par l’onirisme vaincu d’un président constamment ailleurs. Si le portrait est très personnel, il se veut aussi spécifique. Il sera celui d’un homme désincarné bien seul dans cette solitude de longs couloirs feutrés. Compassionnel, Stone nous la joue "biopic" en demi-teinte loin des controverses, huées et autres railleries de circonstances. Une surprise.

Le cinéaste ne veut pas dénoncer, il n’en a plus la force
L’enjeu se trouve ailleurs, évidemment, et résume sans doute à lui seul l’origine supposée du film : faire du président Bush le porte étendard d’une Amérique capable d’élire à deux reprises un tel candidat. Le parcours en flash-back répond ainsi à l’exigence narrative soulignant l’opposition d’une incompétence avérée vis-à-vis d’un poste d’une complexité inimaginable. Peu importe après tout la façon dont il a conquis le pouvoir semble nous dire Oliver Stone. Sa fascination, car fascination il y a, provient de cette dichotomie fondamentale entre réussir à devenir président et en avoir les capacités. L’intégralité du film tente de répondre à cette affirmation entre les scènes « fermées » avec ses conseillers de la Maison Blanche s’efforçant coûte que coûte de le convaincre à partir en guerre (Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Karl Rove, Condoleezza Rice et Colin Powell bien seul dans son discours dissonant) et celles plus « ouvertes » d’un passé chaotique (alcool, relation avec ses parents, sentiment d’infériorité vis-à-vis de son père, échec professionnel en tout genre…). Le cinéaste ne veut pas dénoncer, il n’en a plus la force. Complaisant pour certain, amer pour d’autre, le constat est sans équivoque et souligne la dérive d’un système capable de créer des erreurs démocratiques aussi préjudiciables.
Pour Oliver Stone il est normal, lorsque l’on fait un tel aveu, de ne pas s’empêtrer dans l’analyse politique et économique de l’ère Bush. Seul le résultat compte et celui-ci se nomme George W. Bush. Cette vérité crue est aussi implacable que le plan fugace, mais révélateur, d’un pied écrasant du maïs. Vain, il ne servirait à rien de s’attarder sur quelques incongruités bien senties, le spécimen étudié suffisant à lui seul la légitimité d’une telle démonstration ! La solennité des dernières scènes nous fait dire qu’une larme sèche a du coulé sur le film d’un auteur se demandant sans doute à quoi bon avoir réalisé les JFK, Platoon ou Né un 4 juillet, si c’est pour souffrir de voir son pays s’enfoncer jusqu’à la lie dans une guerre perdue d’avance.

trop faible face au père et trop inculte face à son vice-président
Même si nous ne sommes pas obligés d’adhérer complètement au parti pris du film, celui-ci revêt plus du paradoxe douloureux que du ratage pur et simple. En révélant un intime mouvementé d’une médiocrité coupable, Oliver Stone brise la stature du commandant en chef que Bush n’aura jamais incarné. Sans doute a-t-il été trop faible face au père et trop inculte face à son vice-président ! La représentation rustre d’un président « bouffant » avec ses doigts un sandwich à l’occasion d’un déjeuner en compagnie de Dick Cheney décrédibilise la possible prise en compte de George W. Bush des conséquences d’une guerre idéologique tout comme de sa véritable responsabilité en tant que décisionnaire. Mais plus encore, elle affirme la frustration d’un homme conscient de son incurie qui se demande sans doute pourquoi il s’est foutu dans cette galère. La volonté de puissance, quelle qu’elle soit, ne fait décidément pas bon ménage avec la démocratie. Servie par une écriture limpide, le réalisateur construit avec méthodologie une figure humaine dépassée par sa propre ambition. Stone brise alors le miroir des apparences et nous ouvre les portes de la déraison d’état personnifiée. W. ne peut, dans ce cas précis, qu’engendrer l’utilisation du premier degré où chaque évènement entraîne une prise de décision éloignée des besoins du pays car uniquement motivée par la conviction intime, la réaction narcissique ou bien la frustration exacerbée.

Des trois présidents abordés par Stone, W. apparaît comme le plus apolitique – malgré les nombreuses scènes d’un QG réorganisant le monde en direct – et le plus conjoncturel. Cette association, paradoxale à plus d’un titre, est sans doute nécessaire pour comprendre la démarche du cinéaste et le caractère ambivalent du président. L’homme est peut être inculte, il n’est pas stupide pour autant. Enchaîné vivant dans un rôle qu’il n’assume pas, il se rend compte que devenir président des Etats-Unis ne lui a pas permis de redonner la fierté d’un père vieillissant rempli d’amertume (depuis sa défaite contre Clinton en 1992). Oliver Stone insiste sur ces blessures psychologiques et découpe son film par tranche de passé et de présent où tout s’entremêle :
- Alcool / rédemption
- Echec / Maison Blanche
- Frustration / accomplissement…
…et la relation filiale.
Malgré son deuxième mandat et la chute de Saddam Hussein, le jugement d’un père qui aurait préféré que Jeff Bush (frère cadet de George) soit à sa place ne cesse de le hanter. Au cours d’un des derniers rêves, la présence de la figure paternelle prête à en découdre avec lui symbolise un échec à demi avoué. Cette non reconnaissance propulse le film dans un rapport Oedipien permanent révélateur du trouble d’un fils se réfugiant dans la foi. Au final, George W. Bush n’aura sans doute ni la reconnaissance de ses pairs, ni celle de son père. Une déchirure supplémentaire pour un président déjà considéré comme le plus mauvais de l’histoire des Etats-Unis.
 
geoffroy

 
 
 
 

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