Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Kinsey (Dr Kinsey)


USA / 2004

06.04.05
 



FINDING HUMAN LANDS





"- Vous venez de me raconter toute votre histoire. Mais jamais je ne vous ai entendu prononcer le mot "amour".
- L'amour est la réponse mais le sexe soulève énormément de questions passionnantes.
"

Parce que la notion d'amour est inquantifiable, nous dit-on, parce que sa distinction de la sexualité permettra à juste titre de sublimer les deux pôles, leur l'ascendance sur tout ce qui rend foncièrement humain, Dr Kinsey est une fresque organique qui, de la comédie au drame biographique se fraye assurément un chemin. Un après Gods And Monsters qui se donne pour mission de marquer au fer rouge toute l'intensité des relations humaines, le caractère foncièrement unique des individus. La question pour chacun sera de trouver la place qui lui revient. Ici même le film de Condon trouve sa longue portée : son discours est d'autant plus fructueux qu'il n'est pas complaisant. Avec ferveur et grande précision Dr Kinsey cartographie la nature humaine à l'état brut.
Sexe, culture et civilisation : le rodéo décampe. Bienvenue à la page des vérités psycho-charnelles pour une exploration in extenso de l'homme sous ses traits les plus riches et intimes. Ce film est une comédie humainement zoologique construite et évoluant suivant le même schéma que celui des "six stades de la séquence coïtale", développé par Kinsey dans son cours sur le mariage : "stimulation, lubrification, érection, augmentation de la sensibilité, orgasme, relâchement nerveux". Cette dernière étape restant étroitement liée à aux choix narratifs et scénaristiques de Bill Condon, très hollywoodiens, mais surtout faisant manifestement abstraction de certains points contextuels qu'il aurait été utile de mettre en lumière. L'Amérique wasp, par exemple ; a fortiori dans les années 30, 40 et 50. Ou encore le personnage de Kinsey, montré sous ses entières facettes sociales, notamment celle de père de famille, ce qui, justement, aurait enrichi le propos. Ici, rien n'est dit ; Condon reste timide, sinon muet, préférant emprunter un discours inéluctablement moderne. Son film balaye 35 années de la vie de Kinsey, de son éducation conservatrice à son couple libéré, en faisant un crochet par sa propre bisexualité, mais passe outre un certain ancrage politique et psychosociologique. Les conséquences se font ressentir au dernier tiers du film qui, bien que poignant par moments, perd concrètement sa vitesse de croisière. Le final n'en sera que plus vague, sinon mélo, en tous cas effectivement trop nerveusement relâché puisque posant les visées de Kinsey comme illusoires. Retour en phase stimulation exigé.
Mieux vaut rire des paradoxes sociaux. En matière de sexualité, on pourrait là écrire une pléiade. Bill Condon répond naturellement à l'appel. Quand il s'agit de l'Amérique puritaine, déjà, on se frotte les mains. Alors si, en plus, on nous replonge au beau milieu de ses ébats victoriens, ce n'est que du bonus. Dr Kinsey se joue de l'archaïsme dominant à cette époque avec une subtilité des plus exquises. Entre autres sermons, contre vérités, associations d'idées fantasques, tabous et énormités, le puritanisme américain nous régale. Rigidités, hypocrisies, conventions et ignorances sont évidemment propice au comique de situation. Condon y met le style, utilisant toujours les lacunes éducatives de ses personnages comme vecteurs et non comme objet. Dans sa ligne de mire : la sexualité conjugale. A partir de là seront déclinées toutes les formes de sexualités possibles, tous âges confondus, au masculin comme au féminin, du masturbatoire à l'adultère, en passant par l'homo et surtout la bisexualité. De la simple enquête au passage à l'acte, Dr Kinsey soulève graduellement quantités de questions essentielles liées au développement de la personnalité, à l'accomplissement de soi et bien sûr, la mise en adéquation des êtres avec eux-même, hors schémas, représentations sociales et contraintes institutionnelles. Tout un programme aussi subtilement que tendrement édifié, usant des failles éducatives de chaque personnage comme terrain d'éclosion. Il en sera de même pour leurs instincts et sentiments, tantôt destructeurs, tantôt fertiles quels qu'ils soient toujours prolifiques et libérateurs, les menant inexorablement vers un ailleurs. Kinsey et sa femme Clara seront les premiers visés.
Chronique d'un amour hors conventions sociales, solidement fondée sur la tolérance, la quiétude, l'abandon de ses peurs, le respect mutuel par et pour l'épanouissement personnel de l'autre. A plus d'un titre, Dr Kinsey traverse brillamment chacune des artères constitutives de la nature humaine. Naturellement, la prestance de Neeson et Linney tient ici un rôle fondamental. Leur duo est alchimique, chacun venant délicatement nourrir l'aura de l'autre. Ici, point de romanesque dénaturant ; que de beaux sentiments, rares parce que justement simples. Un souffle qui traversera le film entier, personnages et intrigues secondaires inclus. Quant aux fondements même du scénario, toutes ses questions inhérentes à la multiplicité des orientations sexuelles, Dr Kinsey a cela de bien particulier : parler de positionnement identitaire et non plus seulement de quête. Ici même sont activées de nouvelles dynamiques. Un principe de régénérescence, tout aussi présent en images, le langage de Condon étant concrètement articulé autour de la multiplication des genres. Esthétiquement, rien de foncièrement novateur en la matière ; on est bien d'accord. Mais, une fois de plus, la partition s'en trouvera gracieusement enrichie. Si Dr Kinsey ne présente pas de solide dialectique politique, le film n'en est pas moins brillant en matière d'ouverture et développement de pensées. Bill Condon signe avec ce film un passionnant manifeste sur les êtres et le fait d'être. Simplement immense.
 
Sabrina

 
 
 
 

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