Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Le Promeneur du Champ de Mars


France / 2005

16.02.05
 



DIS TONTON POURQUOI TU TOUSSES?





"- Je vous montre mes blessures de guerre et vous regardez la grenouille du Bébête show."

Il y a quelque chose de rare et de précieux dans ce film. Parce qu'il est rare que le cinéma français s'attaque à sa propre histoire récente, et encore plus rare que son héros soit un Président de la République. Forcément, cela déforme un peu notre regard. Dans un pays aussi politisé, l'opinion qu'on a de Mitterrand influera forcément sur la vision du Promeneur du Champ de Mars. D'autant que le réalisateur, Robert Guédiguian, a lui-même un parti-pris personnel, qui déplaira ou dérangera.

Un regard à gauche
Le réalisateur est un homme de gauche, pas loin du PC. Il nous avait habitués à ses chroniques socio-romantiques ou politico-dramatiques de Marseille et ses environs. Son cinéma se limitait de plus en plus depuis quelques années à ses chroniques et sa famille de comédiens. Il devenait presque folklorique, tout en fantasmant sur la Bosnie, la Religion ou les grands thèmes de notre société. Le virage est à la fois radical (des décors peu ensoleillés, deux acteurs "étrangers") et familier : la conscience politique, le quotidien de la classe moyenne, les aléas des sentiments de la jeune génération. Le résultat est réjouissant. Sa caméra est libérée. Passant de paysages en paysages (Chartres, Paris, Liévin, Jarnac, la Normandie, Vichy...), s'accrochant à deux destinées sentimentales différentes (un vieux politicien catholique, un jeune journaliste juif), le cinéaste semble enfin tenir son grand film, loin des fables et des pagnolades.
Il faut concéder qu'il tient un personnage de cinéma en la personne de Mitterrand. Dans cette France enracinée dans ses livres (et les citations de Chateaubriand, Hugo, Valéry, Lamartine, Rimbaud...) et ses terres, il dépeint un pays et une culture qui irriguent l'histoire d'un homme. Au delà du mythe et de son requiem, Guédiguian tente de comprendre un itinéraire politique, une désillusion nationale et finalement notre époque. Il dessine les frontières invisibles entre la vérité et le mensonge, le pouvoir et le quotidien, le soleil d'un Roi et la chaleur sur ses sujets, l'anonymat et la singularité, la mort et la vie, le passé et le présent. Ce Promeneur détruit les illusions, esquisse des rêves, s'ancre dans la réalité. Car 50 ans de vie politique, c'est une surdose de réalisme et ça tue à petits feux les idéaux. Mais de quoi peut-on rêver dans ce cas?

Un miroir déformant
Le film ne répond pas. Il s'attarde sur les deux dernières années de la vie de Mitterrand, à cheval entre son dernier exercice présidentiel et les quelques mois précédent sa mort. Guédiguian, pourtant, reste bien à l'extérieur du Pouvoir. Il n'y a pas de conseils ministériels, pas de rencontres avec d'autres chefs d'Etat. Il se concentre sur le quotidien du Président. Dans ce Compte à rebours avec la mort, ce verbatim dramatisé sert davantage à définir un mythe, à décrire ses zones d'ombre, à comprendre d'où vient le malaise entre l'opinion et l'Histoire. En se focalisant sur deux années, seulement, un regard (celui d'un journaliste inquisiteur), les scénaristes extraient un personnage historique de son contexte, de sa réalité. Tout semble abstrait autour de la figure emblématique : l'entourage (hormis Dumas, on ne reconnaît personne), le palais (qui n'est pas celui de l'Elysée), la famille (absente), l'activité présidentielle (inexistante). Le cadre du film n'a rien de la reconstitution, ce sont juste de gros traits autour d'un protagoniste très précis. La seule séquence qui nous ramène à l'homme politique est ce discours de Liévin (qui n'était pas dans le livre). Guédiguian décide alors de rattacher Mitterrand au Socialisme, l'homme à son électorat (désespéré). Il rappelle que la victoire de la gauche n'est possible que si l'on n'oublie pas les ouvriers, les salariés, les gens qui peinent. S'il ne croyait plus pouvoir changer le monde, il implorait de la patience, le sens de l'Histoire.
C'est sans aucun doute la partie la plus floue du film. La plus confuse. Il y a d'un côté une vision très claire du monde vers lequel nous tendons, nous tendions, et de l'autre des approximations frustrantes d'un point de vue intellectuel. Certes on comprend qu'après Lui, le chaos (les financiers et les comptables, l'argent qui corrompt...), que les Cocos ont été baisés ("larbinisés") et moins malins (Marchais avait tout faux), que les Jospin (ex-trotskystes) et Balladur (sans chair, sans lien avec le pays) n'ont pas d'avenir, que les centristes sont des chimères, bref qu'il était le dernier grand homme de gauche, tel que l'Histoire pourra la définir. Mais Quid des erreurs du bonhomme sur la fin de son deuxième mandat: la réunification, la fin du monde bipolaire, la Bosnie, le Rwanda? La confrontation des opinions sur l'Homme et la Gauche tourne, ici, à son avantage. Il a déchaîné les passions, enclenché les débats. Guédiguian ne fait que l'effleurer. Les avis ne sont pas tranchés. La fascination le dispute à la répulsion.
Et l'on comprend que le mystère de l'homme est ailleurs : dans ses trahisons. Il n'est pas le diable. Mais "on" voulait sa mort, son camp reniait l'idole, tous salissaient sa mémoire, sa vie, son image. Il devenait un "people", pas forcément bien défendus par ses jeunes fascinés, ses vieux compagnons aveuglés. Cet homme avait trahi nos idéaux (utopies?). Il était coupable. D'autres s'offusquaient de certaines relations (vertueux moralistes). Enfin la Droite n'acceptait pas que ce bourgeois provincial issu de ses rangs soit passé chez les ennemis. Né à droite, il sera mort à gauche. Mais ne vaut-il pas mieux ça que le contraire (beaucoup plus courant)?

L'oeil du témoin
C'est là, que le film prend tout son sens. Pour imposer sa thèse - le droit à évoluer - Guédiguian oppose un témoin à son sujet. C'est la première quête : la vérité. Jalil Lespert interprète, très bien, cet accompagnant qui doute, qui cherche. Il se met à la place de Mitterrand, jeune, notamment dans cet étrange voyage à Vichy. Le film se place donc sur la principale énigme : l'ombre de Bousquet, l'année 42/43, le passage à la résistance. "Les gens entiers sont dangereux". La morale du film se fonde sur le relativisme quand d'autres voudraient un jugement en noir et blanc. Juges d'instruction ou inquisiteurs, "le seul juge doit être soi-même". Et pose la question de la compréhension de l'Histoire, a posteriori. Comment juger des choix, des indécisions, des hésitations? L'oeil de Vichy se transforme en Oeil de Cahin. Le journaliste s'échappe du Bilan mitterrandien sans comprendre qu'il s'agit du Bilan d'un pays. Après tout, "Tonton", de droite et de gauche, vichyiste et résistant, synthétisait son pays, mieux que personne. Le cinéaste a choisi, sans trop l'appuyer, de disculper le Président. Préférant retenir ce qu'il a fait de bien plutôt que de juger ce qu'il a commis de mal. La jeune fille qui le remercie, la fille de Guédiguian, devient le message du réalisateur.

Car l'autre quête c'est bien un Jugement dernier. La mort est omniprésente. Et transcende ce film, car le réalisateur nous avait peu habituer à tant de philosophie, préférant souvent le romanesque. Comment rester dans l'Histoire pour un tel homme. Nous visitons les Cathédrales, les Rois gisants, les cimetières. Il sait que son corps ne lui appartient pas. Qu'il est lié à son pays. Il raconte la triste fin du général et refuse cette fatalité solitaire. Lucide sur le temps qu'il lui reste, sur sa propre fin, il revisite ses origines et ses racines. Il parle de la France, grise ("il n'y a que les idiots qui disent du mal du gris"), car finalement elle n'est plus très rose. Ce Napoléon III, manipulateur et égocentrique, avait une véritable conscience du symbole (le 18 juin, le choix de son lieu d'enterrement) et des actes (14 ans de pouvoir absolu ou presque, ça pèse). Le portrait n'est pas forcément flatteur. Dès lors qu'il quitte le pouvoir, il devient un petit vieux, un retraité malade, comme les autres. Il semble ne plus comprendre le sens de sa vie, loin des dorures et des lambris. Il faut voir son corps usé, vieillit, fatigué, souffrant. Sa sortie de bain mérite plus la compassion que l'admiration. Ce corps a pris des coups. C'est celui de Mitterrand? Ou celui de Bouquet...

L'illustration transformée
Mitterrand est incarné par Michel Bouquet. On retrouve la silhouette, le timbre de voix. mais il n'y a pas d'imitation. Là encore l'abstraction sert de référence picturale. Il ressemble à... Il en a les traits, les ombres, le chapeau, ... L'acteur est parfait, au delà des mots. "Quel personnage!" dit-on du Président. Mais cela s'applique au comédien, aussi. Il a la pupille brillante quand il parle des femmes (celles du nord parce qu'elles ont une vraie gravité, les actrices brunes plutôt que les mannequins blondes), de Julia Roberts (plutôt déjeuner avec elle que voyager avec Thatcher, Bush et Gorbatchev). Il est tantôt grand, tantôt enfant. Il n'y aurait pas de Promeneur sur ce champ de vaincus sans la victoire triomphale du jeu de Bouquet.
A la fin de cette route, entre vérité et mortalité, ce qui compte serait la somme des expériences et ce que nous sommes devenus plutôt que ce que nous avons été. Les mémoires seront peut être "interrompus", il faut savoir tourner la page. "Mais je ne suis pas une page qu'on arrache facilement."
Toujours est-il que cette page est loin d'être blanche, et inspirera de nombreuses fictions, documentaires, romans et essais. C'est de l'ordre de l'intimité, la Mémoire. Mais Mitterrand savait très bien que la sienne ne lui appartenait déjà plus, au point de trouver le bon comédien pour prolonger son existence dans nos souvenirs. Selon votre adhésion au personnage historique, vous serez passionnés ou distanciés. Mais les thèmes évoqués permettent de sortir le film de son simple sujet. Il y a quelque chose de captivant à voir un spectre vivant revenir nous hanter; il y a quelque chose d'humain à voir ces hommes se débattre avec le sens à donner à leur vie.
Le film, au delà de son intérêt politique, historique et informatif, reste le dessin (le dessein?) d'un Homme qui aura hanté notre inconscient collectif (de part sa victoire en 1981). Il explique le début d'une fin, la mort d'une époque. "Il faut mourir en disant oui à la vie" explique le Président. Ce fils de vinaigrier - que ce liquide le qualifiait bien! - buvait sur sa fin le thé des pharaons, apte à faire tout digérer, même la mort. Ce film permet de digérer enfin une époque trouble, un homme qui reflète tant nos propres erreurs, nos propres choix. Car de la Force tranquille à ces derniers jours où le Président avouait ne plus avoir "aucune force", le vigoureux Guédiguian montre que cette énergie nous a vraisemblablement quitté. Pourtant son film n'en est pas dépourvu, avec un découpage assez vif et une chronologie accélérée, tout en laissant le temps du dialogue. Car c'est un exercice de pédagogie plus qu'une narration pleine de dramaturgie. Ni noir ni blanc, mais bien gris, le film, finalement, traduit une des causes de la neurasthénie de la France depuis 12 ans. Cela mérite bien deux heures de flash back.
 
vincy

 
 
 
 

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