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(C) 96-01 Ecran Noir

Le pornographe
France
Sélection Semaine de la critique
Sortie en salle : 03 octobre 2001

Production : Haut et Court
& In Extremis Image
Réalisation : Bertrand Bonello
Scénario : Bertrand Bonello
Photo : Josée Deshaies
Montage : Fabrice Rouaud
Musique : Laurie Markovitch
Son : François Maurel
Costumes : Romane Bohringer
Durée : 108 mn
Rhys Ifans (Puff)
Jean-Pierre Léaud (Jacques)
Jérémie Rénier (Joseph)
Dominique Blanc (Jeanne)
Thibault De Montalembert (Richard)
Catherine Mouchet (Olivia Riochet)
Laurent Lucas (Carles)
Ovidie (Jenny)
 
Jacques était l’un des réalisateurs pornos les plus en vogue dans les années soixante-dix. Des difficultés financières le contraignent à reprendre cette activité. Joseph, son fils, avait quitté la maison familiale quelques années auparavant en découvrant le métier de son père. Après des retrouvailles timides, Joseph réapprend à découvrir son père au moment où celui-ci cherche un nouveau sens à sa vie.
 
 
Ancien musicien aux côtés de Mirwais et de Françoise Hardy, Bertrand Bonello s’est lancé dans le cinéma pour tenter d’éradiquer la frustration de ne pas faire ce qu’il voulait. Si ce nouveau milieu ne lui offre peut-être pas le royaume des possibles (« Aujourd’hui je fais ce que je peux ! », dixit le réalisateur), il devient un sensationnel moyen d’expression, que Bonello apprivoise avec talent pour donner une vraie nouvelle chance au jeune cinéma français.
Après le troublant « Quelque chose d’organique », sur les écrans en 98, Bertrand Bonello refait surface avec un second long-métrage qui aborde sous un angle décalé l’univers du porno. Moins étrange que son premier film (Laurent Lucas était un gardien de zoo marié à une Romane Bohringer adepte du gang-bang humiliant), « Le pornographe » reflète l’aventure humaine dêchue d’un milieu rattrapé par l’argent, la quête de sens d’un homme à la croisée des chemins, et le drame intime d’un fils qui rejette ses utopies et redécouvre son père.
Construit en trois parties, le film de Bonello s’axe en préambule sur la recherche de Jacques, une recherche intérieure, puis sur les retrouvailles entre Jacques et Joseph, et enfin, dans une facture plus éclatée, le repositionnement des vies, la renaissance, celle de Jacques comme celle de Joseph. Contrairement à l’approche sulfureuse du sexe par Breillat ou Despentes, les scènes de sexe « réelles » du « Pornographe » sont construites de façon linéaire, fondues dans la platitude d’une journée de tournage type, désacralisées, vécues par les protagonnistes (et le spectateur) comme simple matière première dans une entreprise qui vise le rendement.
Jean-Pierre Léaud, l’éternel petit Doinel chez Truffaut, devient Jacques , l’artisan pornographe. Le choix de Bertrand Bonello s’est immédiatement porté sur Léaud qu’il considère lui-même comme le plus grand acteur français, le seul capable de dire ce texte long de plus de dix minutes à la fin du film sans paraître grotesque ou provocateur.
On note aux côtés de Jean-Pierre Léaud la présence de Dominique Blanc, la femme de Jacques, Jérémie Rénier, qui incarne Joseph, et l’excellente Catherine Mouchet, la journaliste qui fait face à Jacques dans la scène finale.
 
A bout de sexe

« Parce que vous me parlez de ma carrière et moi je vous parle de ma vie. Voilà pourquoi elles sont obscènes vos questions. Voilà pourquoi c’est vous qui êtes obscène et pas moi… »

Première sortie plutôt discrète pour « Le pornographe » lors de la 40ème semaine de la critique à Cannes, peu remarqué par le public du Festival malgré le contenu intéressant que nous a concocté Bertrand Bonello, où pornographie rime avec mélancolie. Si le titre, comme l’affiche, nous annonce la couleur, rouge chair, le propos qu’on pouvait craindre (ou espérer) sulfureux se démarque bien vite des derniers longs-métrages pour lesquels le sexe était le vecteur même de l’histoire. Loin des provocations tièdes de Breillat, des pérégrinations philosophico-hard de « Baise-moi », Bonello évoque la crise intérieure d’un pornographe, d’un homme avant tout, un être humain faible, qui doute, qui n’en peut plus de douter.
Jacques s’est lancé dans la pornographie à une époque où ce genre de cinéma, un genre neuf, détruisait l’ultime rempart des interdits, le dernier bouclier du « cinéma à papa ».
Un acte révolutionnaire en somme. Jacques est un technicien du porno, un petit artisan qui revient dans le milieu en tentant d’y apporter des choses nouvelles, des angles personnels, intimes, presque naïvement devant l’ampleur du commerce qu’est devenu le sexe à l’écran, surtout depuis l’arrivée de la vidéo.
A travers le retour de Jacques dans ce métier qu’il sait faire le mieux, Bonello pose ouvertement la question de l’obscénité. Qu’est-ce que la pornographie aujourd’hui, certaines émissions de télé ne sont-elles pas plus obscènes que le travail de Jacques ? La réal TV n’est-elle pas un modèle de pornographie ?
Après tout, pourquoi le cinéma X n’est-il pas considéré comme un cinéma d’auteur ?
Il bénéficie tout au moins des mêmes handicaps (manque de financements, marginalité, etc).
Jean-Pierre Léaud s’avère surprenant, très convaincant de lassitude, pornographe blasé devant le spectacle de la chair, pas vraiment joyeuse d’ailleurs.
Dommage pourtant que ce film introspectif au sujet attachant s’emmêle si souvent, et avec un manque de modestie agaçant, dans certaines voies inattendues comme la décharge des idées pseudo-révolutionnaires concons de Joseph et sa joyeuse bande de muets volontaires.
Bref, de bonnes idées, un traitement visuel soigné, de grands acteurs, et un film poseur !
Voilà pourquoi le film intimiste français a si mauvaise réputation, non pas qu’il soit mauvais, mais, enfermé dans le propre carcan de son aura surdimensionnée, il s’écoute parler avant de s’adresser au spectateur.
« Le pornographe » n’échappe malheureusement pas à la règle.

Romain-