1984
Paris, Texas
de Wim Wenders
(RFA-France)

Gros plan sur l'année 1984
Les Prix et Jurys

"Road movie" d’un nouveau genre, Paris, Texas suit le parcours d’un homme qui se recompose en rassemblant enfin les parties manquantes de son histoire : son nom, son frère, son fils, sa femme et, à Paris, au Texas, la pensée de ses parents. Travis ne fuit plus son passé; il y retourne, seul comme à la naissance et probablement, comme à sa mort. Entre les deux états ultimes, il y a l’amour, comme une arme à double tranchant, qui réconforte ou assassine.

Peu de films expriment avec autant d’intensité la passion dévorante que peut ressentir un être humain pour un autre. L’image large et profonde embrasse un espace à la mesure de cette passion. La musique plaintive s’en fait l’écho et les couleurs saturées donnent la mesure de la charge. Oui, peu de films mettent aussi bien en valeur la force du sentiment devenu obsession. À travers ce sentiment implacable, Wenders développe l’unicité des êtres et de toutes choses. De la photographie de Robby Müller, riche en détails et exaltent la vasitude des grands déserts et des villes inhumaines, jusqu’aux notes lancinantes ou tristes de la désormais célèbre guitare solo de Ry Cooder, tout nous conforte dans l’idée que nous sommes uniques et irremplaçables, que dans l’univers entier, chacun a sa place essentielle. C’est là le but de la quête de Travis : justifier de sa vie par le simple fait d’aimer.

Dans des paysages aux lignes horizontales, rien ne se remarque autant qu’un homme seul, surtout s’il porte, tel un étendard, une casquette rouge comme sa passion, comme son coeur qui saigne. Les couleurs prennent une importance particulière chez Wenders. Les cheveux si blonds de Jane, le rouge fuchsia de son pull angora au "peep show", le gris des gratte-ciel de Huston… Tant de couleurs qui sont autant de sentiments. Dans cette myriade éclatante, Travis, pourtant discret, sait se faire omniprésent. Il cherche tout simplement à renouer le fil interrompu d’une vie qui s’est cassée, comme se casse le relief du soi que l’on foule du pied. Que Travis traverse des paysages majestueux, et on ne voit que lui. Qu’il ne dise mot et on est suspendu à ses lèvres. Et lorsqu’enfin il retrouve Jane, bien que ce soit elle qui parle, on entend que lui dans son silence.

Oui, dans le désert de Mojave, dans la ligne d’horizon où la terre brûlée se noie dans le ciel blanchi par la chaleur suffocante, Travis, sur une note de guitare, sort du néant et renaît à la vie qu’il a quittée jadis, sous le regard narquois d’un vautour qui attend que l’homme tombe enfin. Paris, Texas débute ainsi et dans l’amour de Travis pour sa femme, c’est en fait toute l’histoire de l’humanité qui se joue encore une fois, éternellement… comme le désert de Mojave brûle sa terre encore aujourd’hui, probablement au son de la guitare de Ry Cooder.

Sylvie Gendron


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