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(c) Ecran Noir 99

   Stanley Kubrick, l'oeil obsessionnel

 Il n'y aura rien, ou pas grand chose, à écrire de plus sur Kubrick. Il n'est plus là pour (en) parler. Et les autres l'ouvrent assez... Et Ecran Noir lui a déjà rendu hommage.

 Une oeuvre de Kubrick, c'est inoubliable visuellement, intellectuellement et émotionnellement. Après avoir explorer l'Espace et l'Histoire, l'horreur et la guerre, le crime et le désir, Kubrick, en 12 films (+ EWS) a couvert la plupart des genres, tout en traitant de ses thèmes favoris. Parmi eux, la violence, au coeur de l'homme. Et tout ce qui en découle, notamment le pouvoir, la guerre, la bêtise humaine...

 Avec ses films, il faut avoir l'oeil ouvert. Un oeil récurrent et célèbre depuis 2001 L'Odyssée de l'Espace (son plus gros hit), mais aussi dans Orange Mécanique. Eyes Wide Shut demande au spectateur d'être l'oeil, ce regard insistant et mateur. Comme dans The Shining ou 2001, il se cherche à travers un labyrinthe. Et le Docteur Harford incarné par Tom Cruise n'est pas différents des autres protagonistes kubrickiens: prisonniers d'un système ou d'une éducation, confrontés à une situation extrême, exceptionnelle détruisant leurs rêves, leurs illusions, leurs ambitions.

 L'Homme est la fascination de Kubrick. Individu ou en groupe, Kubrick en fait un portrait cynique, analytique, amer, froid, et le laisse rarement s'échapper vivant de son film. Il perd soit son innocence, soit sa vie, en placant sa foi dans un sytème gouverné à la Big Brother. Passioné par Napoléon, il est aussi l'un des cinéastes qui a le plus critiqué nos systèmes politiques (avec l'ironie cruelle en conclusion d'Orange Mécanique ou la bouffonerie fatale et barbare de Dr Strangelove).

 Généralement, l'homme a le droit a sa rédemption, une renaissance; c'est là que se situe la "moralité" de Kubrick. La morale d'EWS, chacun la trouvera selon ses propres opinions. Chacun a sa propre vision du sexe, et donc ses propres peurs. Car Christiane Kubrick insiste bien: le film ne parle pas de la sexualité des hommes, mais bien de leurs peurs face à leurs instincts, leurs idées. Comme si c'était la seule chose qu'ils ne pouvaient pas contrôler, tout en cherchant à dominer leurs désirs et autres fantasmes.

 EWS est en cela différent des autres. Il laisse une failure, des interrogations, il laisse un homme avec ses doutes, et ses défauts. Il inclut l'homme, sa logique, son éducation, dans un monde totalement imparfait et complètement décadent. Bref une impasse.

 Kubrick a gommé toute implication psychanalytique dans son script (il est allergique à ces monologues sur divan), rajouté un personnage milliardaire et irresponsable (joué par Sydney Pollack). En tant que cinéaste, il n' a aucune compassion pour le personnage de Cruise. Il aime filmé l'inhumanité des êtres. Pourtant, il se laisse aller à filmer l'inconscient, ce qu'il ne contrôle pas (mais à quel prix, avec combien de prises?). Jamais Nicole Kidman n'a été aussi sublimée, aussi bien dirigée. Si Cruise s'aventure sur un chemin tentant, tortueux, terriblement dévastateur pour sa conscience, Kidman s'y laisse voguer, le regard se vidant à chaque fois. Un film sur la jalousie (destructrice) et le mensonge (l'anti-communication), sur l'inimité du mariage et la confiance défiante d'un couple. Sur la possessivité des êtres, et leur individualité (égoïste le plus souvent).

 Alice: "N'as-tu jamais été jaloux pour moi?"
 Bill: "Je sais que tu n'aurais jamais été infidèle."
Et là elle avoue (en images) qu'elle vient de le tromper avec un marin. Kubrick montre l'émotion, plutôt que l'illusion d'un orgasme. Il voulait un film débarrasé des abstractions de Schnitzler (un physicien par ailleurs) tout en ne sombrant pas dans le grotesque des situations.

 L'orgasme final est évidemment cette orgie fatale dont tout le monde parle. Kubrick aura eu à coeur de nous envelopper dans son histoire et de nous libérer seulement à la fin. Kubrick a osé affronter son pays sur son plus fort tabou (le sexe) avec sa plus grande star (Cruise). Son testament visuel est avant tout une vision morale, un jugement qui est tout sauf manichéen. Une analyse profonde de l'être humain, et de sa dépendance vis-à-vis des schémas qu'on lui impose. Ici il réveille la part sombre qui est en chacun de nous, et comment dans une société qui a ses propres règles, il arrive à gérer cette "découverte" ou connaissance. Sa famille le confirme: il s'agit bien d'un testament personnel. Le sujet lui était plus que viscéral. Les idées, les principes, les valeurs philosophiques du film sont totalement ceux que défendaient Kubrick. Pour SK, il était évident que nous étions à la fois bons et mauvais. Selon Christiane son opinion était même désillusionnée: "l'humanité n'est pas assez intelligente pour savoir ce qu'elle veut et comment l'obtenir."

 Et en épitaphe, ses propres mots: "On ne sait jamais de quoi on est capable tant qu'on n'a pas essayé."