Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24





Cannes 1998. Carlton. Il est le réalisateur d'un des films français en compétition. Benoït Jacquot n'est pas forcément sympathique, à prime abord. Mais espérons que la chair tremble, un peu...






EN : "Bonjour, Benoît Jacquot, qu'est-ce qui vous a intéressé dans le roman de Mishima, pour en faire un film?"

Benoît Jacquot : "Très simplement, ce qui m'a intéressé c'était la possibilité que j'y voyais d'un rôle pour Isabelle Huppert. Voilà, une possibilité pour elle d'exercer son talent sous toutes ces facettes."

EN : "Pas le thème donc?"

BJ : "Non, ce n'est pas le thème, d'abord. C'était, c'est le personnage la teneur, la matière de ce personnage féminin qui correspondait de très près à ce que depuis quelques temps on cherchait Isabelle (Huppert) et moi pour faire un film."

EN : "Pourquoi vouloir retravailler avec Isabelle?"

BJ : "Même si je n'avais pas déjà travaillé avec elle... ça aurait été la même chose. Je pense que c'est la meilleur actrice française, donc j'ai nécessairement envie de travailler avec elle."

EN :"On a lu de nombreuses critiques depuis quelques jours, notamment à Cannes sur le fait qu'il n'existe plus vraiment de vraies stars dans le cinéma. Est-ce que vous avez la même opinion... "

BJ : "De vraies stars... c'était quoi puisque ça a existé et si ça n'a n'éxiste plus, c'était qui? C'était les stars hollywoodiennes?"

EN : "Oui éventuellement les stars hollywoodiennes?"

BJ : "Bah... et c'est en France qu'il n'existe plus de vraies stars?"

EN : "Apparement, c'était une critique qu'on a percu depuis quelques jours?"

BJ :"Ca doit être vrai..."

EN : "Manque de glamour?"

BJ :"Oui, le manque de glamour. De toute façon dans le cinéma, enfin moi depuis que j'en fais, j'entends toujours qu'on regrette quelque chose. Alors c'est ceci, c'est cela... ça peut-être en effet, les soi-disantes stars qui ne seraient plus là où bien on ne sait plus faire de films comme on faisait auparavant, où bien... enfin bon voilà, il y a toujours une espèce de nostalgie ou d'amertume pour quelques choses qui n'a peut-être pas tant existé que ça."

EN : "Comment s'est passé votre travail avec Isabelle Huppert?"

BJ : Ca s"est passé très naturellement. Comme au départ le film exhauce un voeux qu'était le notre à tout les deux. On l'a fait dans un accord total et absolu."

EN : " Vous l'avez sublimée quand même dans le film que ce soit par la lumière, par les émotions qu'elle traverse?"

BJ : "Non, je crois pas, je crois que c'est elle qui sublime le film, c'est pas la même chose."

EN : "Le choix de Vincent Martinez, vous l'avez choisi comment, pourquoi lui?"

BJ : "Je l'ai choisi, c'est-à-dire, je voulais... comme c'était un personnage masculin très jeune, je voulais que l'acteur est même âge, c'est -à-dire, l'âge du rôle : 20 ans. Donc, nécessairement 20 ans ça voulait dire faire appel à un inconnu. Et donc, j'ai cherché comme on cherche des inconnus en général. Sauf que, en général, les metteurs en scène qui choisissent des inconnus vous disent toujours : "J'en ai vu 1000, 2000... au bout de 2000 je l'ai trouvé, mais c'était très difficile... " Moi, c'est vraiment le contraire, c'est-à-dire, que Vincent Martinez est - je crois - le premier que j'ai vu. Et tout de suite j'ai pensé que c'était lui qui le ferait. Après, en effet j'en ai vu d'autres, des dizaines d'autres ne serait-ce que pour vérifier que je me trompais pas ou bien pour prouver à ceux qui travaillaient avec moi que je ne me trompais pas. Mais, je crois que c'est le premier que j'ai vu et qui m'a semblé tout de suite que c'était lui qui le ferait."

EN : "Vous avez filmé beaucoup de jeunes comédiennes ces dernières années. Là d'un seul coup vous filmez une femme d'un âge un peu plus mûr, d'une quarantaine d'années. Pourquoi ce changement aussi directe dans votre filmographie?"

BJ : "Je ne sais pas. D'abord parce que... d'abord parce que moi je n'imagine pas ma vie de cinéaste autrement qu'en changeant de case, ça m'intéresse pas trop de rester trop longtemps dans un même champ d'activité enfin ou dans une même perspective de filmage. Et puis, fondamentalement, c'est pas l'âge qui m'intéresse absolument. D'ailleur dans le dernier, Sandrine Kiberlain, elle a pas 18 ans. Même si cette une jeune femme. Moi, ce qui m'intéresse c'est des seuils, c'est de raconter des histoires qui mettent en jeu des moment dans l'existence de femme. Des moments, où il faut passer un seuil pour changer de vie ou pour continuer à vivre voilà."

EN : "Je crois que ça a été un tournage qui a été fait vraiment dans l'urgence, vous avez lu le roman de Mishima, quand à peu près avez vous eu l'idée de l'adapter pour Huppert?"

BJ : "C'est pas moi qui ait eu l'idée, c'est-à-dire que la productrice du film, Fabienne Venier sachant qu'Isabelle Huppert et moi ont voulaient dès que possible tourner un film, nous a amené ce livre que ni l'un ni l'autre ne l'avaient lu pour nous suggérer que c'était peut-être ça qui fallait faire. On a d'abord été un peu perplexe à la lecture du livre puisque ça se passe au Japon il y a 40 ans, ce qui est quand même un peu problématique pour un film qu'on voulait se passer ici et maintenant. Mais au bout du compte on n'a trouvé qui avait matière à fabriquer ce qu'on voulait fabriquer."

EN : "Vous avez commencer à le tourner quand?"

BJ : "On a commencé à le tourner en février 98 et on a finît de le tourner un jour avant l'annonce de la sélection."

EN :"Ca voulait dire que le film n'était pas finit quand Gilles Jacob l'a sélectionné?"

BJ : "Gilles Jacob l'a vu en entier et monter sauf la toute dernière scène qui sont les trois minutes de la fin. Ce que l'on peut appeler l'épilogue du film. Mais, il a vu le film, cette scène quand il l'a vue, on allait la tourner le lendemain."

EN : "Après vous avez fait le mixage et le montage pendant les semaines qui restaient?"

BJ : "Non, j'ai monté pendant que je tournais, c'est ce qui explique qu'on a pu, qu'on pouvait être prêt parce que je montais en tournant, c'est-à-dire, quand je tournais le jour, j'allais monter la nuit."

EN : "Il y a beaucoup de champ contre champ dans votre film, pourquoi ce parti pris, alors que vous aviez filmé en cinémascope pour Le Septième ciel. Dans ce film, il y a moins de fluidité, il y a moins de mouvement. Quel est votre point de vue?"

BJ :"Je voulais faire un film de visages, c'est-à-dire, je voulais filmer de très près, il y a une espèce de monde qui se constitue parce qu'il y a pas mal de personnages autour des deux principaux, et je voulais que ce soit un monde de visages. Donc, chaque fois qu'il y a des personnages qui sont mis en scène, c'est toujours par leurs visages que je l'ai introduit et que j'essaye de les faire exister. Ce qui suppose donc, quand ils sont en vis à vis, si je veux avoir leurs visages, le système du champ contre champ voilà. En plus j'aime bien les champs contre champs."

EN : "Vous avez eu récemment, une rétrospective à Toronto (en 97). Comment les nord-américains réagissent à vos films?"

BJ :"Eh bien, je vais peut-être paraître un peu présomptueux, mais ils les aiment beaucoup. Ils marchent très bien là-bas et s'il font une rétrospective c'est que ça les intéressent et mes films sortent depuis quelques temps régulièrement au Etats-Unis et contraîrement aux films français en général et surtout aux films d'auteurs, ils sortent dans beaucoup de villes sur beaucoup de copies et sont très vus. Ce dont je me félicite."

EN :"Comment vous voyez l'ensemble de votre filmographie par rapport à ces débuts, jusqu'à maintenant. Qu'est-ce qui vous plaît ... vous avez dit hier en conférence de presse "qu'un film n'est jamais vraiment finit, qu'on peut vouloir le retravailler..."

BJ : "Ah oui, bien sur."

EN : "... et aujourd'hui il y aurait des films que vous auriez envie de retravailler?"

BJ : "C'est pas ça. Il y a carrément des films que je jetterais à la poubelle, aux oubliettes si je pouvais... Mais en même temps c'est pas possible puisque c'est bien moi qui les ait faits et que c'est comme ça."

EN : "Après l'Ecole de la chair vous avez envie de faire quoi comme genre de film?"

BJ : "C'est même pas des envie, j'ai quatre films à faire dans les deux ans qui viennent, donc je sais ce que je vais faire."

EN : "Vous allez vouloir retourner avec Isabelle Huppert?"

BJ : "Oui, le prochain film que je fais dans six mois, je le fait entre autres comédiens, avec Isabelle Huppert."

EN : "Comment vous est venue cette scène de rencontre entre Isabelle Huppert et Vincent Martinez?"

BJ : "Elle m'est venue ... comment j'ai imaginé de la fabriquer?"

EN :"Oui..."

BJ :"C'est pas exactement sa rencontre, c'est pas la première fois qu'elle le voit; mais elle retourne à l'endroit où elle l'a vu la première fois pour entamer quelque chose avec lui. Donc, quand, j'ai imaginé comment serait cette scène, je l'ai imaginé de telle sorte que, eux soientt comme extrait du lieu où ils sont. Qu'ils soient comme sorti de ce lieu qui est pourtant un lieu (un bar) plutôt gay avec des travestis, des Drags Queens donc un lieu assez folklorique a priori. Mais, j'ai essayé de faire de mettre en scène ça contre le folklore du décors. De telle sorte qu'il n'y ait plus que leurs visages. Elle sort d'un flou d'ailleurs, comme ça, elle vient se mettre dans le net, ça on le voit, je crois, elle est dans les images que vous avez. Et c'est des très très gros plans où leurs yeux, leurs peaux sont très très présentent. Alors que derrière eux tout est dans une sorte de flou et d'imprécision."

EN :"Comment s'est passé le travail avec la chef opératrice sur ce film, parce que vous avez eu un gros travail de lumière sur ce film? Quels ont été vos indications précises?"

BJ :"Je lui est demandé que, comme point de départ, l'image précise d'Isabelle Huppert soit comme dans une image dans l'image du film justement un peu comme je viens de dire pour cette séquence. qu'elle soit mis en exergue, comme sortie de tous qu'il environne, qu'est derrière elle. Qu'elle soit constamment dans un premier plan de lumière et que pour ça plutôt que d'être éclairé comme de l'extérieur par des source qui viendrait d'ici ou là dans le décors. La lumière vient comme d'elle-même, de l'intérieur d'elle. Qu'elle soit plutôt porteuse de la lumière que portée par elle."

EN : 'C'est une femme qui cherche constamment à expliquer, enfin à vouloir savoir ce que représente son amant en fait, qui est son amant? En même temps, l'amant fuit constamment ou essaye de ne pas avoir d'identité. A un moment justement il y a une scène où dans un bar, elle espionne, elle l'attend et on voit Vincent Martinez partir... est-ce que finalement cette scène ça aurait pu la fin de leur relation, comme beaucoup de scène d'ailleurs; à chaque fois on croit que... Pourquoi encore une fois à ce moment là, elle continue de le voir?"

BJ :"Elle cherche quelque chose qui se dérobe constamment et c'est au moment où lui est quelque chose ou quelqu'un, au moment où lui est porteur pour elle de ce quelque chose _ qui est ce qu'on cherche tous je crois quand on est amoureux - se dérobe réellement pour elle; c'est-à-dire au moment où tout d'un coup ça ne l'intéresse plus, lui évidemment s'avère aussi pris dans ce rapport amoureux. Mais, ce qu'il y a de spécial là-dedans et qui m'intéressait moi, c'est que lui le garçon il occupe la place que dans ces fictions là en général occupe les filles. En général, c'est une jeune fille qui occupe ce rôle là, qui vient apporter la zizanie et le trouble dans la vie d'un homme mûr ou plus âgé qu'elle."

EN :"Depuis quelques années pourtant, depuis deux, trois ans que ce soit Téchiné, que ce soit l'année dernière dans Nettoyage à sec (de Anne Fontaine), justement le personnage féminin à une quarantaine d'années commence à être troublée par un jeune homme, détruit ses repères et ses conventions, pourquoi le cinéma français se penche autant sur ce genre de femme qui bascule?"

BJ : "C'est peut-être parce que beaucoup de bonnes actrices sont des femmes de 40 ans

EN : "On a demandé un petit peu à tous le monde à Cannes pour eux quelle était l'idée du siècle, pour vous ça serait quoi?"

BJ :"Ca c'est spécial, en tant que créateur c'est le cinéma l'idée du siècle."

EN :"En tant que personne?"

BJ :"C'est la banalisation de l'horreur, pour moi c'est ça l'idée du siècle."


   Vincy