Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Rohena Gera







 (c) Ecran Noir 96 - 24



Depuis Tombés du ciel en 1993, Philippe Lioret trace un sillon tout personnel avec une filmographie riche et éclectique, dont le point commun est de mettre l'humain au centre. C'est une fois encore le cas avec Le fils de Jean, un film limpide et d'une grande simplicité, que le cinéaste qualifie non sans malice de "thriller familial".

Rencontre avec un réalisateur pour qui le cinéma est une question d'alchimie, de travail acharné et de foi inconditionnelle en ce que l'on fait.

EN : Quel genre de metteur en scène êtes-vous ? Lorsque vous arrivez sur le tournage, vous avez déjà tout en tête ?

PL : Oui, tout !

EN : Il n’y a pas de…

PL : … d’impondérables ? Si, plein. Il n’y a que ça ! Mettre en scène, c’est aussi gérer l’impondérable. Et c’est formidable. C’est pour ça qu’il faut arriver avec le film qu’on veut faire bien en tête, parce que tout change tout le temps. Quand on s’entend avec les acteurs comme on s’est entendu tous, là, parce que c’était un film de troupe, on est tous les oreilles grandes ouvertes pour entendre ce que pense l’autre, ce qu’il dit, ce qu’il propose… On est à cette position pas très agréable, mais nécessaire, d’être celui qui dit "ah, oui, d’accord" ou "ah bah non, c’est mieux comme ça". On a l’impression d’être le chef d’orchestre d’un orchestre composé de solistes. Au milieu de tout ça, on a deux gamines de six ans qui, bizarrement, se laissent embarquer par la justesse des autres et qui deviennent formidables ! Mais si les autres étaient trébuchants, les petites n’auraient pas été aussi bien. C’est un ensemble. Une alchimie qu’il faut mettre en place pour que ça marche. Quand on me parle de direction d’acteur, qu’on me demande comment je fais… J’en sais rien, moi ! J’y crois ou j’y crois pas. Si j’y crois, on passe à autre chose. Si j’y crois pas, on recommence, jusqu’à ce qu’on y croit tous. Mais généralement, quand on est en adéquation totale avec l’équipe, si on y croit, tout le monde y croit. Et quand on a un doute, on l’a tous. Il n’y aurait rien de pire que de partir avec des acteurs qui pensent que c’est bien quand nous on n’y croit pas… Ca ne me plairait pas du tout, mais ça ne m’est jamais arrivé. Peut-être parce que je passe beaucoup de temps à les chercher et surtout beaucoup de temps à appréhender les personnages dans le scénario.

EN : Vous diriez que c’est un processus conscient d’atteindre cette alchimie ? Vous arrivez à l’expliquer ?

PL : J’ai quand même pas mal l’expérience du plateau, de la technique… Je suis sur un plateau depuis l’âge de 17 ans. C’est ma vie. Je cadre mes films. J’ai fait le son pendant 20 ans. Je monte avec ma monteuse. Je connais particulièrement bien le travail technique du film. La lumière, l’étalonnage, tout ça. Je ne suis pas pollué par ça. Je peux me consacrer au film lui-même, à la place de la caméra, et aux acteurs. A l’ambiance qui se dégage de ce qu’on filme. C’est ça qui compte. Que le spectateur n’ait pas l’impression d’être devant des ectoplasmes sur une toile mais devant des personnages qu’il connaît. C’est drôle : il y a des jours où je suis dans le texte en permanence. Je passe toute la journée de tournage à revoir le scénario pour vérifier qu’on n’en voit pas les coutures, pour vérifier si ce qu’on fait correspond à ce qu’on voulait faire. Et il y a des tas de jours où je ne le regarde même pas. Pas du tout. Je pense que ça n’a rien à voir avec les jours, mais avec les scènes. Il y a des scènes que je sens sur l’instinct et d’autres que je sens sur la construction pure. Il n’y a pas de recette, pas de façon particulière. A part y croire et y être. Faire en sorte que le spectateur ait l’impression d’y être aussi. Que quand il a traversé le boulevard, le film l’accompagne encore. Que le lendemain, il l’ait encore en tête. Que ce ne soit pas un truc chewing-gum qui pète comme une bulle à peine sorti de la salle. Qu’il puisse se dire : "j’y étais". Juste ça. Mais ça, on ne le fabrique pas. Si ça marche, c’est comme ça. Et si ça ne marche pas, c’est qu’on a loupé son coup. Et au prochain film on met tout ça sous le tapis et on recommence tout. C’est ce qui est passionnant, finalement. C’est ça l’essentiel du travail. Il faut y croire.

EN : Le cinéma comme acte de foi.

PL : Oui, oui, ça s’apparente à ça !
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