Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Il fait beau. Le brouhaha de Cannes ets à peine audible sur la terrasse UGC, près du Martinez. Phyllis Nagy a les cheveux courts, des lunettes rondes, une petite taille, et l'oeil toujours vif. Elle aime expliquer, raconter. Carol a été sa grande passion durant plus de vingt ans. De voir son scénario enfin porter à l'écran la ravit. Mais le parcours fut compliqué. Elle nous raconte pourquoi mais aussi justifie les choix qu'elle a fait, ce qu'est, selon elle, un bon scénario, et se désole de voir que les femmes ont toujours aussi peu de pouvoir à Hollywood.
Ecran Noir: Comment est né votre désir d'adapter Carol de Patricia Highsmith?




Phyillis Nagy: J'étais une amie proche de Patricia Highsmith, durant la dernière décennie de sa vie. Et nous parlions souvent d'écrire une adaptation pour le cinéma de Carol. Mais j'étais très jeune. Patricia Highsmith était en plus très impliquée dans les adaptations de ses romans et le travail que cela allait procurer me terrifiait. C'était un problème. On en a quand même beaucoup parlé avant qu'elle ne meurt (au début de l'année 1995, ndlr) et avant que je ne me lance réellement dans le métier de scénariste. Quelques années plus tard, probablement cinq ans, mon agent Mel Kenyon a reçu un appel d'une femme qui avait pris une option sur les droits du roman et qui cherchait une scénariste. Et c'est comme ça que j'ai eu ce travail.

EN: Mais c'était il y a plus de quinze ans...
PN: Tout a pris beaucoup de temps. Vous ne pouvez pas imaginer la difficulté pour développer un film où les personnages principaux sont des femmes. Pas seulement parce qu'ils sont principaux ou à cause de son sujet, mais parce que, dans cette histoire, les femmes ont le pouvoir et les hommes ne sont là que pour des seconds-rôles. Par conséquent, durant quinze ans, de nombreux talents sont arrivés sur le projet puis l'ont quitté.

EN: C'est là que la productrice Elizabeth Carlson intervient?
PN: J'avais travaillé avec elle sur un film que j'avais fait pour HBO. Elle était intéressée par Carol. Mais il a fallu attendre que les droits soient de nouveau disponibles. Quand ce fut le cas, Elizabeth les a immédiatement acquis. La chance que j'ai eu c'est d'avoir un très bon contrat qui me rendait propriétaire unique de mon scénario. Je pouvais donc contrôler son destin et avoir un avis sur qui pourrait travailler dessus. Il a fallu encore attendre trois ans, ce qui n'est pas si long dans cette industrie, pour qu'un réalisateur, Todd Haynes, débarque sur le projet. A partir de là, les choses se sont accélérées.

EN: En quoi votre relation amicale avec Patricia Highsmith a contribué ou enrichi ce scénario?
PN: J'avais eu la chance de garder par écrit toutes les recommandations de Patricia Highsmith, ce qui a nourri l'écriture du scénario. Je savais les choses qu'elle voulait apporter, changer, améliorer à partir de son roman. Politiquement, personnellement, je voulais également que l'homosexualité ne soit pas l'enjeu de l'histoire. Il n'y a aucun moment dans le film où vous entendez Carol, Thérèse ou Abby se demander si elle est homosexuelle. Alors que dans la plupart des films, c'est souvent une étape inévitable. Pour moi, il fallait au contraire que ce soit normal. C'était important. Je ne voulais pas que le récit devienne une sorte d'exploration psychanalytique de leurs tourments.

EN: L'histoire est aussi une quête de la liberté, pour les deux femmes
PN: Il a fallu énormément travailler, créer des éléments pour construire la vie quotidienne de Carol. Le livre se concentre davantage sur le point de vue de Thérèse. On avait aussi besoin de se focaliser sur l'objet même du film : l'obsession. En construisant leurs deux vies en parallèles, cela permettait de créer une tension dramatique. Il était nécessaire de montrer leurs différentes approches de la vie, la manière dont elles vivaient dans ce monde très conformiste, comment elles se comportaient physiquement. Une autre différence majeure avec le livre était de changer la profession de Thérèse. Dans le livre elle aspire à être décoratrice de théâtre. Ce genre de métier, et en fait la représentation du théâtre au cinéma, ne m'a jamais inspiré. Dans n'importe quel film, même dans des chefs d'oeuvre, je trouve ça assez ringard. Comme le livre se fonde beaucoup sur l'observation des êtres, j'ai voulu qu'elle devienne photographe. Je trouve que cela fonctionnait mieux dramatiquement et cinématographiquement. Enfin, il y avait une partie que j'estimais très faible dans le livre: lorsque les deux femmes se séparent brutalement alors qu'elles fuient New York, Thérèse est lâchée dans la nature, vadrouillant et enquillant les jobs. J'ai donc raccourci ce temps du roman, et fait intervenir Abby pour que Thérèse revienne plus rapidement à New York. Et tous ces choix, Todd Haynes les a respectés. La structure du scénario final a survécu au tournage et au montage. C'est ce dont je suis le plus fière.

EN: Il y a une petite variation sur la fin...
PN: Oui mais dans le livre on sait qu'elles vont se revoir. Il n'y a pas cette scène du restaurant. Mais on sait que cette scène aura lieu. Dans les deux cas on peut imaginer le happy ending, ou qu'il n'y ait pas ce happy ending. C'est toute la force du film: nous laisser en suspens. Bien sûr le film est moins ambigüe sur cette fin, mais vous ne pouvez pas savoir ce que la vie va leur réserver. Et je trouve ça bien. Ça suffit au spectateur, selon moi. Je trouve que les films avec des histoires d'amour vont souvent trop loin et nous obligent à vivre une fin idyllique.

EN: La fin est quand même "brutale", si soudaine, que ça arrache des larmes, comme pour évacuer une tension...
PN: Et c'est très bien ainsi! Et d'autres spectateurs pleurent lors de la séquence dans le bureau de l'avocat, quand Carol fait son choix entre sa vie d'avant et la vie qu'elle veut.

EN: On en revient à l'autre sujet du film: la liberté. Elle fait un choix que beaucoup ne comprendront pas.
PN: Carol assume à ce moment là. Et c'était une de mes grandes inquiétudes à l'écriture et dans le résultat final. Ça a été l'une de mes scènes préférées à l'écriture. Mais je savais que cette scène pouvait couler le film car si le spectateur n'acceptait pas sa décision, il ne pouvait plus adhérer à la suite des événements. Vous vous souvenez de Kramer contre Kramer? Meryl Streep était un choix parfait: on pouvait haïr son personnage et cela suffisait à rééquilibrer les pouvoirs entre l'homme et la femme pour la garde de l'enfant, plutôt que d'être, comme souvent, en faveur de la mère. Mais ici, si on déteste Carol, on ne peut comprendre sa décision et on ne peut plus accepter ce qu'elle devient. Cela tue le film.

EN: C'est une catharsis nécessaire finalement, pour le personnage comme pour le spectateur...
PN: Tout à fait. Vous ne pouvez pas être libre si vous n'êtes pas sincère. Personne dans ce film n'est libre tant qu'il ne parvient pas à cette sincérité.

EN: Pour les années 50, c'est une décision très à contre-courant...
PN: C'est même radical. C'est aussi pour ça qu'on ne pouvait pas en faire un film contemporain. Cela nous aurait obligé de changer les enjeux. Les choses ont quand même changé depuis. Bien sûr ce genre d'histoires arrivent, encore et toujours, mais les réponses, les solutions ne sont plus les mêmes. Une épouse et mère qui décide de vivre pleinement son homosexualité, dans de nombreux endroits, a davantage de chance de pouvoir garder son enfant aujourd'hui. Evidemment, ce n'est pas le cas partout, dans des pays comme l'Iran ou même au Texas.

EN: Justement qu'est-ce qui est moderne dans ce roman, qui fut quand même censuré à l'époque, alors qu'aujourd'hui on le trouve partout...
PN: C'est exactement pour ça que j'aime ce roman. Avant tout c'est une grande histoire d'amour, remplie d'émotions. Mais j'ai toujours été attiré par les récits d'une autre époque. On peut le voir comme un mélodrame sur une passion, sur le genre, sur la sexualité, sur l'amour imprévisible. Mais parce que les choix que ces personnages font sont si simples, et leur processus psychologique décrit si précisément par Patricia Highsmith dans le livre, ça m'évoque ce que je vois tous les jours, en tout cas aux Etats-Unis. Tous les arguments, toutes les subtilités qui se superposent sont issus d'une époque où l'on ne pouvait pas parler publiquement de ce genre de choses. Et ça m'intéresse bien plus parce que cela permet d'ouvrir le dialogue avec des gens qui trouvent ça évident ou au contraire qui ne comprennent pas ce mode de vie. Si on l'avait transposé à notre époque ou si on avait écrit une histoire similaire contemporaine, beaucoup répondrait juste, "mais elles ont le droit de s'aimer". Et ça aurait été vite ennuyant. En plus nous vivant dans une société où le sous-texte a disparu. Imaginez le même scénario, avec les mêmes acteurs, et des téléphones mobiles... Personne ne se dirait réellement ce qu'ils ressentent, pire, ils diraient juste "je ne comprends pas ce que tu me dis".

EN: Todd Haynes joue beaucoup avec les gestes, les regards, les silences...

PN: C'est dans le script! Vous voyez cette belle scène dans la voiture où Thérèse porte son regard sur différents éléments? Je l'ai écrite comme ça. N'importe quel scénariste doit écrire ces moments. Un scénario n'est pas juste une affaire de dialogues. Surtout dans un projet qui exige autant de méticulosité, où chacun collabore avec les autres, et pas seulement le réalisateur avec la scénariste. Cate Blanchett a aussi contribué au film. Il fallait que chaque séquence sonne juste. Bien sûr on peut modifier une scène initialement prévue d'une certaine manière. On doit s'ajuster à un changement de lieu parce que nous n'avons pas eu les autorisations nécessaires. Mais, fondamentalement, si vous lisez le scénario de Carol, vous verrez des pages de description et de détails. Mais évidemment, ce qui a été rare sur ce film ce n'est pas l'implication des talents, c'est le bon choix des personnes à chacun de leur poste. Todd Haynes était le meilleur réalisateur possible pour ce film.

EN: Vous êtes vous aussi réalisatrice, pourquoi ne l'avoir pas filmé?
PN: D'après vous?

EN: Parce que vous êtes une femme?
PN: Exactement (sourire). Evidemment c'est une question financière.

EN: On pourrait pourtant croire qu'avec Cate Blanchett, Rooney Mara en tête d'affiche, les frères Weinstein aux commandes, ça n'ait pas trop d'importance...
PN: Prenons Pitch Perfect. Un casting quasiment 100% féminin, une réalisatrice, Elisabeth Banks, c'est une exception. Un film avec deux femmes dans les deux rôles principaux c'est déjà un risque selon les producteurs. Avec une femme derrière la caméra, ça dépasse leurs bornes. J'ai beau avoir fait des films qui ont de bonnes critiques et qui ont reçu des prix, cela ne suffit pas pour les rassurer. Paradoxalement, dans les années 50-60, il y avait presque plus de femmes qui réalisaient aux Etats-Unis, notamment pour la télévision. C'est en train de revenir. ais ce que je vois c'est qu'une cinéaste comme Patty Jenkins (Monster, 2003, qui permit à Charlize Theron de gagner un Oscar, ndlr) n'a fait, depuis, que des films de télévision malgré le succès de son film. Il semble que les femmes soient davantage mieux considérées quand il s'agit du petit écran que du grand. Mais c'est aussi une question d'opportunités. Regardez Todd Haynes, qui a fait de merveilleux films, mais qui a aussi réalisé [Mildred Pierce] pour HBO et qui est devenu, dans la profession, un réalisateur de télévision, malgré sa réputation de cinéaste. En France, vous avez davantage de réalisatrices qui se sont affirmées. J'aime beaucoup Catherine Breillat par exemple, Zabou Breitman, Claire Denis... Ailleurs dans le monde, les réalisatrices sont aussi obligées de passer le petit écran pour travailler, même une cinéaste comme Jane Campion.



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