Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



A l'occasion de la sortie de Dancing in Jaffa, documentaire poignant où des enfants israéliens et palestiniens oublient leurs croyances le temps d'une danse, Ecran Noir a rencontré la réalisatrice, Hilla Medalia, et le célèbre danseur Pierre Dulaine, à l'origine du projet.
Écran Noir : Comment vous et Pierre Dulaine vous êtes rencontrés ?





Hilla Medalia: Nous nous sommes rencontrés à l'occasion du film de Liz Friedlander, Dance with me, avec Antonio Banderas [ndlr : film sorti en 2006 qui raconte la vie de Pierre Dulaine et son programme de danse international « Dancing Classrooms »]. Quand Pierre s'est rendu à Jaffa en 2010 et a fait part de son projet de faire danser des enfants israéliens et palestiniens ensemble à la productrice, Diane Nabatoff, elle m'a contacté. On connaît la suite de l'histoire !

EN : Pourquoi avez-vous souhaité tourner ce documentaire ?

HM: Parce que je suis moi-même israélienne et que le conflit entre les deux communautés m'affecte personnellement. Peu de films sont réalisés sur les Palestiniens qui vivent en Israël, que ce soit au niveau national ou international. À la minute où j'ai rencontré Pierre, je suis tombée amoureuse de lui et j'ai su immédiatement que son enthousiasme ferait la différence.

EN :Vous n'avez jamais réalisé de film sur la danse. Pourquoi ce sujet ?

HM: Je suis persuadée que les arts en général ont le pouvoir de changer les mentalités. Et, en particulier, celles d'une communauté rongée par le racisme, la haine, la discrimination et la « gentrification ». Sur le tournage de After the Storm [ndlr : documentaire sorti en 2009 sur les dégâts causés par l'ouragan Katarina en Nouvelles-Orléans], même constat. Il faut redonner espoir aux enfants, leur donner envie de faire quelque chose de leur existence. Avec la danse de salon, ils apprennent à se respecter, à respecter les autres, à se faire confiance et à faire confiance. C'est une expérience que tout le monde peut tenter. Ce qui me surprend, d'ailleurs, c'est de voir à quel point ces problématiques sont globales et universelles. Chaque communauté a ses propres frontières, qu'elles soient physiques ou mentales.

EN : En quoi le format documentaire est-il plus efficace pour Dancing in Jaffa ?

HM: Je pense qu'il y a de nombreuses façons – toutes aussi efficaces – de raconter une histoire. Mais la réalité regorge d'histoires dont nous n'avons pas idée. Parfois, la réalité est même plus riche que n'importe quel scénario. On entend souvent dire « Jaffa est une ville où tout le monde vit en harmonie, c'est merveilleux ». Ce n'est pas si vrai. Dans le film, Alaa, un jeune israélo-palestinien, vit dans un quartier de Jaffa où vivent en majorité les Palestiniens. Progressivement, des juifs aisés se sont installés ; pourtant, Alaa parle à peine hébreu. Cela montre que finalement, il n'y a pas tant d’interactions que ça entre les différentes communautés.

EN : Le documentaire permet donc de déconstruire les préjugés.

HM: C'est exact. Mais un documentaire, ce n'est pas la réalité. C'est un point de vue : on montre juste une fraction de la réalité.

EN : Dans Dancing in Jaffa, vous filmez le quotidien de trois jeunes danseurs. Comment ont-ils vécu le tournage ?

HM: Quand on commence à filmer, les gens se montrent méfiants, puis finissent par s'habituer à la caméra, au point qu'ils l'oublient. Il faut être attentif à leurs besoins et éviter d'imposer sa façon de penser. C'est une grande responsabilité, car on ne veut blesser personne. Croyez-le ou non, mais avec les enfants c'était bien plus facile.

Écran Noir : Dans Dancing in Jaffa, on vous voit dire aux parents et aux enfants que la danse permet de respecter l'autre et soi-même, au-delà de toute différence culturelle ou religieuse. Quand avez-vous pris conscience de cela ?

Pierre Dulaine : C'est donc de moi qu'on parle ! (rires) Oui, la danse ce n'est pas que du contact physique. En respectant l'autre, en apprenant la courtoisie, on se prépare à entrer dans le monde. Je suis convaincu que les bonnes manières ouvrent des portes. A 14 ans, j'étais très timide, je parlais anglais avec un accent arabe. Les autres enfants se moquaient de moi. Puis, j'ai essayé la danse de salon. J'étais vraiment nul ! Mais ça a fait « tilt » en moi. Et maintenant : regardez où j'en suis ! Ça a changé ma vie. A mon âge [ndlr : 70 ans], on a envie de laisser une trace. Au moment de la création du programme « Dancing Classrooms », j'y pensais déjà. Je devais faire quelque chose pour la ville où je suis né, même si je n'ai pas de famille à Jaffa. Je savais juste que les Israélo-Palestiniens y étaient considérés par les Juifs comme des citoyens de seconde zone.

EN : Aviez-vous peur ?

PD: C'était déjà un sacré challenge aux États-Unis. Pour Jaffa, je me suis dit « allez, tu peux le faire ! » … Sauf que ça s'est avéré plus difficile que prévu. Je n'aurais pas su dire si cette démarche de faire danser les enfants ensemble allait fonctionner. Mais je n'avais pas le droit d'abandonner. Car si on abandonne les enfants, ils abandonneront à leur tour dans la vie. Et ils ont beaucoup progressé depuis le premier jour ! Aux États-Unis, je me souviens d'un garçon pas comme les autres qui avait du mal à coordonner les deux parties de son cerveau. Il se trouve que le côté droit adorait la musique, et le côté gauche a dû donc se développer !

EN : Pourquoi avoir choisi ces trois enfants en particulier ?

HM: C'était un des plus grands challenges du film. Au départ, on avait 150 enfants. Évidemment, des enfants qu'on n'avait pas casté. Et je ne pouvais parler à aucun d'entre eux avant d'avoir la permission de les filmer. Noor, une jeune israélo-palestinienne, je l'avais repérée dès le départ. Les professeurs m'ont dit qu'elle avait des problèmes à l'école et à la maison. Elle avait besoin d'aide. Lois, une jeune fille juive, elle, rayonnait. Et elle voulait vraiment remporter la compétition. Elle se donnait tellement à fond qu'il fallait absolument la garder au montage. Nous avons filmé beaucoup d'enfants, mais tous n'ont pas été retenus.

EN : Malgré le succès des « Dancing Classrooms », vous arrivait-il de douter ?

HM : Au début, on doute en permanence. On se pose mille questions. Puis je me suis dit, même si Pierre n'y arrive pas, l'histoire est là. Et cela aurait été une très bonne histoire. Mais ce n'était pas ma principale préoccupation. Pour que ce film fonctionne, il fallait montrer la transformation progressive des enfants. J'y tenais absolument. Après le tournage, j'espérais voir à l'écran ce que j'avais vu dans la vraie vie. Je voulais également sortir de la classe et rendre compte des tensions entre les communautés, sans entrer dans le politiquement incorrect. Car, après tout, ces tensions sont sous-jacentes. Pendant la scène de la manifestation, on peut voir à quel point la situation à Jaffa est fragile.

EN : Quelles sont vos attentes pour ce documentaire ?

HM : J'espère qu'il favorisera le dialogue, que les gens, en regardant ces enfants danser, réfléchiront à ce qu'ils peuvent faire pour améliorer la société et aider ceux qui en ont besoin. Pierre est quelqu'un que j'admire énormément. Il est né à Jaffa. Dans quelques années, sa maison deviendra la propriété de l’État d'Israël. Et malgré cela, il regarde vers l'avenir. Parfois, dans des situations difficiles, ce sont les petites choses comme la danse ou la musique qui font la différence. C'est une belle leçon de vie. Pierre, d'ailleurs, n'arrête de pas de dire « Si vous voulez rendre le monde meilleur, commencez par les enfants. »

EN : L'année dernière, en Irlande, Pierre Dulaine, vous avez réussi à faire danser des catholiques et des protestants ensemble.

PD: Ce n'était pas si compliqué. Au Royaume-Uni, ce n'est pas interdit, les frontières sont plus mentales que juridiques. A l'inverse, en Israël, c'est la loi qui veut qu'un garçon ne danse pas avec une fille. Alors, vous imaginez quand je leur ai dit que le projet allait être filmé ! « Le monde entier saura que votre fils a dansé avec l'ennemi » Beaucoup de parents et d'enfants ont renoncé.

EN : Pendant le film, vous dîtes souvent que votre démarche n'est pas politique. Comme vous venez de le dire, les conséquences, par contre, sont politiques. Comment avez-vous su gérer cet aspect ?

PD: Je l'ai ignoré. Je ne me suis pas appesanti dessus. On est là pour danser, shake it baby shake it ! Si je m'étais appesanti dessus, on l'aurait senti. Pour être honnête, je souhaitais aider tous les enfants, mais 51% des Palestiniens et 49% des Juifs. Je précise car pour les Juifs israéliens, c'est leur pays. Prenez Alaa, le jeune israélo-palestinien. Dans le documentaire, on voit bien que l'avenir d'un enfant comme lui est beaucoup moins sûr que celui d'un enfant juif. Mais Alaa danse avec Lois, une jeune juive. On le voit gagner en confiance et lui dire à la fin « Regarde, je m'en sors aussi bien que toi ! »

EN : Quelle a été votre réaction après avoir visionné le documentaire ?

PD : J'ai pleuré ! Pour beaucoup de raisons. Voir Alaa et ses frères tuer des pigeons pour manger, à cinquante mètres de la maison où je suis né... Des Palestiniens plutôt aisés, ainsi que des Juifs américains ont racheté toutes ces vieilles maisons, les ont détruites pour en construire de nouvelles, et augmenté le coût de location pour les Arabes. Ils n'habitent pas loin les uns des autres. Vous voyez, on doit être sensible à ce genre de chose. Parce que cela m'a donné l'énergie nécessaire pour continuer. Mais ce projet était le plus difficile que j'aie jamais porté. C'est aussi celui qui m'a donné le plus de satisfaction. J'aimerais que tous les enfants et adolescents voient le film. La semaine dernière, j'étais au Luxembourg pour la projection, et un jeune homme de 16-17, étudiant, sans le sou, m'a demandé s'il était possible d'envoyer de l'argent à la famille d'Alaa. Je n'arrivais pas y croire.

EN : Maintenant que ce rêve est réalisé, quel est votre prochain défi ?

PD: J'aimerais dans un premier temps étendre le programme « Dancing Classrooms » à chaque pays. Car les problèmes sont les mêmes partout. A Washington D.C., j'ai l'intention de faire danser Démocrates et Républicains ensemble à travers le programme. Idem dans une clinique psychiatrique, où les patients peuvent danser avec les médecins et infirmières. On ne peut pas dire qui est dit. Patient et médecin se retrouvent au même niveau. C'est une véritable thérapie, la danse. Cela nous donne la liberté d'être qui l'on a envie d'être.


   Emeline