Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Issu d’une famille d’artistes réputés, Adrian Saba semble à seulement 25 ans un jeune homme à la fois comblé et extrêmement doué : son premier long métrage, El limpiador, a été choisi pour représenter son pays dans la course aux Oscars, et son deuxième, en cours de financement, vient de remporter un fonds d’aide péruvien pour le cinéma. Si l’on ajoute à cela le fait que le scénario de ce nouveau film a été écrit dans le cadre de la résidence de la Cinéfondation, il semble évident que l’on entendra très bientôt parler à nouveau de ce jeune cinéaste.

Ca tombe bien, car El limpiador, sur les écrans à partir du 18 décembre, est une petite pépite d’intelligence, d’humour et d’humanité. Dans la ville de Lima ravagée par une épidémie, la rencontre fortuite entre Eusebio, chargé de nettoyer la ville de ses cadavres, et de Joaquin, un jeune garçon orphelin, crée une étincelle de vie pudique et pleine d’espoir. Avec sa radicalité stylistique et sa mise en scène élégante, le film impose brillamment sa singularité. Rencontre avec un cinéaste qui ne transige pas.



EN : Comment se sont faits les choix de mise en scène ?

AS : C’est un monde froid, sans couleur, distant dans les relations humaines. Il me semblait important que chaque image soit comme une peinture. C’est aussi un monde sans brillance, sans soleil. Donc je me suis imaginé tout ça et après j’en ai parlé avec le directeur de la photographie. De là on est allé sur les lieux de tournage. On a pris des photos. On a discuté. Je voulais aussi créer un Lima imaginaire. Il existe, parce qu’on a filmé à Lima, mais ce n’est pas du tout la manière dont les gens voient Lima. Le point de vue de la caméra aussi était important. Parce que la ville grandit très vite, et je n’ai pas l’impression que les gens s’en rendent compte. Après une projection, il y a une spectatrice qui m’a dit : « c’est la première fois que je vois Lima aussi belle ». Malgré le fait que tout le monde meurt, que ce soit désert, elle trouve que la ville est belle.

EN : Eusebio semble toujours filmé de loin, comme observé en secret par le spectateur. Est-ce qu’il y avait la volonté de créer une distance entre les deux ?

AS : Une distance physique ne veut pas dire une distance émotionnelle. Ce qui m’intéressait, c’était que tous les aspects techniques du film soient une extension de l’anatomie du personnage. L’image est distante comme le personnage. Le montage va au rythme du cœur du personnage, il palpite de plus en plus vite.

EN : Vous avez également fait le choix d’un film très peu dialogué, ce qui est toujours un peu radical… surtout vis-à-vis des spectateurs.

AS : Ce sont des personnages qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Ils sont très réservés. Ils n’ont pas grand-chose à se dire, surtout au départ. Et puis le dialogue, pour moi, ce ne sont pas seulement des phrases. Ca peut aussi être des regards, des respirations, différentes choses. Je voulais aussi que le dialogue soit très basique et ponctuel. Ecrire des dialogues, ce n’est pas facile ! Donc à la fin, j’en ai beaucoup enlevé. Quand je pense au public, je ne pense pas à le satisfaire de manière facile. Je pense que la meilleure manière de communiquer avec le public, c’est d’être honnête. Le public, il ne faut pas lui mentir. Pour cela, je dois être honnête quand j’écris.

EN : Malgré le contexte, et malgré cette radicalité apparente, il y a beaucoup d’humour dans le film.

AS : De la même manière que je ne pensais pas faire un film de genre, je ne me suis pas dit « tiens, là, je vais mettre une blague ». C’était une autre façon d’être honnête. Par exemple, le moment où Eusebio lit le manuel de la télévision, qui est un de mes moments préférés : quand j’arrive à ce moment, je sais qu’un enfant a besoin d’une histoire avant de s’endormir. Mais la réalité de ce personnage, c’est qu’il n’a pas de livre. Donc comme il veut que l’enfant se sente bien, il lui lit le manuel de la télévision. Je laisse les personnages m’amener à cette situation. Je ne décide pas pour eux. Je ne pensais pas quand je l’ai tourné que ce serait drôle. C’est quand j’ai vu les réactions du public… Il y a des projections où le public rit beaucoup, par exemple quand le personnage fait tomber la clef à chaque fois qu’il rentre chez lui. Et ça non plus, je n’avais pas pensé que ce pourrait être drôle. Mais ça me plait beaucoup que les gens rient car ça veut dire qu’ils apprécient l’histoire.

EN : Vous venez d’un pays, le Pérou, dont on voit peu de films en France. Quelle est la situation cinématographique là-bas ?

AS : Je crois que faire du cinéma en général, c’est difficile. En France, en Inde, au Pérou… Il y a des pays qui ont plus de traditions que d’autres. Plus de politiques d’état. Le cinéma péruvien est en train de grandir petit à petit. Il y a de tout. On fait environ une douzaine de films par an. Parmi ces douze, il y en a peut-être un qui va avoir un succès international. Comme c’est tout petit, c’est une communauté bien agréable. C’est une chose de faire du cinéma, mais ce qui est difficile aussi, c’est que les gens aillent au cinéma. Ca, c’est aussi un problème général, dans le monde entier. Au Pérou, comme il y a moins de traditions de cinéma qu’en France, c’est plus difficile.

EN : Et dans le cas particulier d’El limpiador, comment ça s’est passé ?

AS : On a été très créatif pour le produire. Il y a toujours un moyen. Tous les extérieurs étaient filmés le dimanche très tôt ou très tard. Après, c’est la magie du cinéma. On filme une rue déserte, mais derrière il y a des gens. Lima est une ville assez facile. Tu peux discuter. Ici, je ne sais pas si ce serait facile de fermer cette rue, par exemple. L’équipe était très légère : des fois on était 7, et au maximum 20. Je crois que dans une équipe, il faut une structure, mais en même temps, on doit être souple. Il faut s’entraider. Ma mère m’a prêté sa voiture pendant le tournage. J’allais chercher l’équipe et la caméra. Le directeur de la photo était le seul à avoir une voiture, il allait chercher la productrice. La productrice et sa mère préparaient de petits sandwiches le matin. Et puis ça dépendait des jours. Parfois il y avait seulement Victor Prada qui jouait. Il n’y avait pas de prise de son, pas de lumière artificielle, tout était tourné en extérieur. Ces jours-là, on était sept. Quand il y avait lumière, son, etc., on était 20. Le film n’a pas coûté cher, mais je n’aime pas trop en parler. Peu importe l’argent. Si on m’avait donné 5 millions d’euros, j’aurais fait le même film.


   MpM

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