Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Il est l'un des visages les plus connus du cinéma et du théâtre français, c'est une actrice, réalisatrice et scénariste qui est en train d'imposer son empreinte sur la comédie hexagonale. Michel Vuillermoz et Valérie Donzelli sont à  l'affiche des Grandes ondes de Lionel Baier, une comédie réjouissante et fantaisiste sur deux journalistes envoyés en reportage au Portugal en avril 1974.

Bien sûr, tout les oppose : elle se veut libérée et féministe militante, lui est un baroudeur impénitent, vieux-jeu et un peu macho. Les deux acteurs s'en donnent à cœur joie, en toute complicité, et livrent une comédie enlevée et joyeuse.

A la ville, les deux acteurs partagent la même complicité et le même amour de leur métier. Rencontre avec les deux comédiens à l'occasion de leur passage au Arras Film Festival 2013 où était présenté le film en avant-première.

Ecran Noir : Comment s'est faite la rencontre avec Lionel Baier ?





Valérie Donzelli : La rencontre s'est faite de façon très simple. Je l'ai connu par Pauline Gaillard, ma monteuse, qui est aussi la monteuse de Lionel. J'ai découvert Lionel à travers ses films. Et puis un jour il m'a dit j'ai écrit un film, j'aimerais que tu joues ce rôle-là. J'ai lu le scénario, j'ai trouvé ça hyper drôle. J'ai adoré le personnage et comme c'était Lionel et qu'il allait réaliser ce film,je ne pouvais pas refuser. Parce que je sais que c'est un grand metteur en scène.

Michel Vuillermoz : Je pense qu'il a rencontré différents acteurs et puis voilà son choix final s'est porté sur moi. J'ai lu le scénario, j'étais emballé. On s'est rencontré, j'ai été séduit par Lionel. Il m'a passé ses précédents films que je n'avais pas vus. Je les ai vus et je les ai adorés. Je me suis senti bien dans son univers. Je savais que c'était Valérie qui jouait le rôle féminin. Ca a marché parce que j'avais très envie de le faire.

EN : Qu'est-ce qui vous a séduit particulièrement dans le personnage ?

MV : Mais tout ! Vous savez, on accepte un film pour plein de raisons. C'est un ensemble : le scénario que je trouvais très original, en même temps drôle, émouvant. Le fait que ce soit Lionel qui le réalise avec lequel je me sentais bien. Je sentais un réalisateur, une intelligence, un regard. Voir ses films avant : je me suis dit "ce gars a vraiment un truc à raconter, a à voir avec le cinéma". Le fait que ce soit Valérie aussi. Voilà, tout ça fait que j'ai eu envie de le faire. C'est rarement juste sur un scénario. Ce n'est pas suffisant pour prendre une décision. Il peut y avoir des scénarios formidables, mais c'est aussi avec qui, qui va le réaliser. En tout cas, pour moi.

EN : Est-ce pour cela qu'on vous voit dans beaucoup de films, parfois pour des rôles peu importants ? Parce que vous acceptez plus un projet qu'un rôle ?

MV : Ah non, non, c'est parce que l'on ne me propose pas des rôles plus importants. Là, Lionel, c'est un cadeau. C'est la première fois qu'on me propose un rôle aussi important dans un film. Moi je ne demande que ça, comme tous les acteurs. C'est toujours mieux de jouer les personnages principaux que les deuxièmes ou troisièmes rôles. Encore qu, il y a des seconds rôles qui sont formidables, hein. Mais non, non, j'ai envie de ça. Mais c'est à cause de mon emploi du temps, parce que j'ai cette image d'un second rôle français, Comédie française, acteur très occupé... "Il fait du théâtre, il n'est jamais libre". Et puis après il y a ces notions de "bankabilité" du système français, vous savez...

VD : Attends, pardonne-moi, mais tu viens quand même de faire un film d'Alain Resnais... Dans lequel tu as un rôle principal.

MV : Oui, c'est vrai. Absolument, ce n'est pas rien. Il y en a deux. Mais ça m'arrive très rarement d'avoir des rôles principaux. Mais peut-être que ça viendra. Au bout d'un moment, les seconds rôles, c'est très sympathique, mais j'aimerais bien passer premier rôle, vous voyez ? C'est normal. Tous les acteurs préfèrent avoir le premier rôle.

VD : Mais surtout c'est plus difficile de jouer un second rôle qu'un premier rôle...

MV : Oui, des fois c'est plus difficile car sur un premier rôle, c'est vrai, on a toute l'énergie d'un film. On peut se rattraper. Sur un second rôle, rarement. En général, c'est deux, trois, quatre scènes maximum, donc si on en plante une, c'est mort. Y'a une notion d'efficacité qu'on a peut-être moins dans des premiers rôles. Justement, je suis venu à Arras pour tourner La liste de mes envies [de Didier Le Pêcheur]. Une scène, une journée de tournage. Plan séquence avec Mathilde Seignier. J'ai accepté pour plein de raisons, mais il ne faut pas la rater parce qu'il n'y en qu'une. Sur six ou sept semaines de tournage au contraire, on a le temps de répartir l'énergie.

EN : Valérie, dans Les grandes ondes, vous construisez un personnage de féministe survoltée auquel vous semblez prendre beaucoup de plaisir.

VD : Mais oui, quand j'ai lu le scénario de Lionel, j'ai su qu'il n'y avait personne d'autre que moi qui pouvait jouer ce rôle. J'ai énormément de plaisir à faire ce rôle. Mais je dois dire que je suis quelqu'un d'assez spontané. Ca peut partir dans le décor. Mais je me suis vraiment beaucoup amusée. Observer Lionel travailler c'est passionnant, surtout quand on fait soi-même des films. Il communique avec ses acteurs, il les rassure mais sans être pesant, il est tout le temps en train de nous expliquer ce qui se passe, il donne des directions d'acteur qui sont ultra justes, toujours des petites choses, il a à chaque fois des tas d'idées... c'est un grand metteur en scène. Et puis après j'ai le même goût du cinéma que lui. Pour tout vous dire, j'avais l'impression que j'aurais pu écrire un personnage comme celui de Julie dans le film. C'était hyper plaisant pour moi parce que je n'avais pas la charge de le mettre en scène. Quand on joue dans ses films, moi j'adore ça, mais la chose qui est dure c'est qu'on n'a pas le metteur en scène pour nous porter justement. Et là c'était hyper confortable. Et puis faire un film c'est tellement de responsabilité. Quand on est acteur, c'est agréable d'avoir juste le plaisir de jouer, de ne pas se préoccuper de la responsabilité du film. C'était réjouissant, c'était vraiment chouette. Dans mon prochain film, je ne jouerai pas du tout, mais dans celui d'après, oui. Là j'ai envie de rejouer, donc je réfléchis, j'écris.

EN : Vous avez déjà une vision sur les deux prochains ?

VD : Oui.

MV : C'est impressionnant ! Moi qui suis une feignasse d'acteur...

EN : Ce n'est pas quelque chose qui vous tente, vous ?

MV : Si, si, si, bien sûr que ça me tente ! Mais j'ai toujours de bonnes excuses. Je suis très lâche avec moi-même quant à l'écriture.

VD : Mais c'est difficile ! Pour écrire, il y a plusieurs solutions. Soit il y a des gens qui écrivent pour toi, donc tu es installé, t'as des scénaristes et tu racontes tes idées, il y a plein de metteurs en scène qui font ça, soit quand on écrit sinon c'est un truc d'isolement, presque d'autiste. Moi j'ai ce truc-là par rapport à l'écriture. Il faut avoir quelqu'un avec qui en parler. Moi je peux en parler si tu veux. C'est un truc de ping-pong, il faut se lire les trucs, c'est vachement bien...

EN : Le film est une comédie très rythmée, très précise. Est-ce que vous aviez des références particulières en tête pour obtenir ce résultat en tant qu'acteurs ?

VD : Moi ma référence, pour la comédie française, c'est Rappeneau. Donc j'ai vu tous les films de Rappeneau. Quand j'étais petite, je les connaissais par cœur, je refaisais Catherine Deneuve, Adjani... Et d'ailleurs, dans le film de Lionel, je trouve que cela n'a pas rien à voir. Il y a un truc un peu équivalent : comédie intelligente, grand public, et en même temps hyper bien réglée comme du papier à musique. Et c'est vrai que Le sauvage, l'espèce de chieuse jouée par Catherine Deneuve, qui parle très vite et tout ça, inconsciemment, c'est mon référent... même si je ne suis pas du tout Catherine Deneuve, bien entendu. Ce sont des personnages qui m'ont marqué enfant. Et puis dans le côté pas réaliste. Quand je joue je ne cherche pas à être dans un ultra-réalisme. En plus le film de Lionel ne s'y prêtait pas du tout. On est dans un langage qui est propre à Lionel et au film.

MV : Moi pas particulièrement un film... Plutôt des univers. Des personnages des frères Coen, des Jeff Bridges, des mecs un peu fatigués, enfin, qui se la racontent un peu, qui ne sont pas loin d'une certaine mythomanie, on ne sait jamais si ce qu'ils racontent est vrai. Qui se la jouent un peu macho. Des personnages qui sont en fuite d'eux-mêmes. Ou des personnages de western. Mon personnage aimerait bien monter à cheval, avoir un colt, il pourrait faire croire qu'il a fait ça. C'est un peu le côté "lonesome cowboy". C'est plus cette imagerie-là. Et puis après, une biographie de Kapuscinski, un grand journaliste polonais, que m'a passée Lionel, et qui était vachement intéressante.


   MpM