Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Après avoir totalement bluffé le public du festival de Saint-Jean de Luz la veille de notre entretien (il a d'ailleurs reçu le prix du public), Patrick Ridremont nous a raconté le laborieux travail qu’a été Dead Man Talking, son premier long métrage. L'acteur et réalisateur belge, encore fatigué de la soirée, a pourtant trouvé le moyen d’égayer avec finesse et humour décalé cet échange convivial, où il est question d'approche théâtrale du cinéma et d'humour volontairement noir.
Ecran Noir : C’est votre première venue au festival et aussi votre premier long métrage. Anxieux ?




Patrick Ridremont : Oui ! Hier c’était la première fois que le film était confronté à un public français, alors que le film est déjà sorti en Belgique. Mon humour, mon second degré, ma cruauté correspondent à quelque chose que les belges connaissent. Mais le côté un peu plus anglo saxon qu’il y a dans le film, le décalage, je ne savais pas si le public français allait être réceptif. C’est un public un peu plus pointu sur certaines choses. Donc il y avait en effet une grosse angoisse, mais aujourd’hui je suis rassuré.

EN : Pour une première expérience sur grand écran, pourquoi avoir choisi ce sujet [NDLR : le récit d'un condamné à mort avant son exécution] ?
PR : Par mon métier de comédien, je me pose beaucoup de question sur cette chose bizarre qui pousse quelqu’un à vouloir rentrer dans la lumière et plaire aux gens. Je vis dans mon fond de commerce. Et sans vouloir en faire une question de métaphysique, ça peut créer des angoisses, en tout cas des questions existentielles chez moi. Et partant de là, je m’interroge aussi sur la vie de tout le monde. Je suis absolument athée, mais je suis un profond humaniste. C’est très simple : je ne m’interroge pas sur : « y a-t-il une vie après la mort » mais « y a-t-il une vie avant la mort ». Et mon film parle un peu de ça : d’un homme mort-né, de personnes non-existantes. Et il y a des personnes autour de nous qui donnent le sentiment de ne pas vraiment vivre, qui ne vivent pas, et c’est ça qui m’intéressait. C’est une fable existentielle.

EN : On devine très bien votre expérience théâtrale passée dans le film. Cela n’a pas été difficile de départager théâtre et cinéma ?
PR : C’est un travail très compliqué mais il ne faut pas être honteux du théâtre. Personnellement, le cinéma qui m’insupporte le plus, c’est celui qui essaie d’être trop naturel, où le texte se prononce du bout des lèvres. J’aime quand tout est construit, quand les lumières sont étudiées, quand les couleurs sont théâtrales. Je préfère un cinéma qui ressemble plus à un roman graphique qu’à un simple documentaire. Ce qui a été difficile, ça a été de convaincre les autres que je pouvais faire ça, que c’était une bonne idée d’aller dans l’extra-théâtralité. Je n’ai pas eu peur de cette théâtralité, je revendique une certaine forme de représentation. Représenter les choses, au lieu de les montrer, réinventer le temps et le lieu, chose que le théâtre fait tout le temps. Mettre une musique dans un film sur un passage triste, c’est l’extra-théâtralité et ça ne correspond à rien dans la vie : on n’entend pas de musique autour de soi à un enterrement. Il n’y a qu’au cinéma que l’on fait ça, c’est pour ça que je le trouve théâtral.

EN : Ce travail vous a donc pris du temps ?
PR : Surtout la partie dialogue, j’étais capable de passer une journée sur une réplique. Ce travail a prix douze ans. C’est un travail de longue haleine, un travail terrible.

EN : Content d’y être arrivé ?
PR : Oui, j’ai l’impression d’avoir fait mon requiem, c’est comme un testament. Et si je devais m’arrêter à un film, je serai fier de m’arrêter avec celui-là.

EN : Et pour le travail du personnage principal, votre propre rôle dans le film ?
PR : Ce n’est pas juste moi. Le travail s’est surtout basé sur la retenue. Quelqu’un m’a dirigé sur le tournage. Ce n’était pas la peine d’en faire trop non plus. C’est un personnage un peu sombre. La difficulté a été donc de travailler sur la sobriété. Mais faire les deux n’a pas été très compliqué puisque j’étais très bien entouré.

EN : Vous avez écrit, réalisé et joué dans ce film. N’est-on jamais aussi bien servi que par soi-même ?
PR : Je suis d’accord, réaliser un film dans lequel on joue n’est certainement pas la démarche la moins égocentrique au monde. Mais, je n’ai pas fait les musiques (rires) ! Il y a une grosse part de vérité dans cette question. A 40 ans, quand je recherche des producteurs pour faire ce film, je ne suis pas encore sûr de le réaliser, mais je sais que je veux le jouer, car personne ne m’a jamais proposé de rôle. Inconsciemment alors on se dit : « je vais m’écrire un rôle alors ! », puisque je ne gagne pas à la loterie, et bien je vais me faire un faux billet. Et plus le temps passe, plus la réalisation devient importante en fait, plus je me laisse de note d’intention, plus je dirige les gens et plus je me dis : « c’est ça que je veux faire ». Et si ça avait posé un problème, j’aurai même laissé tomber le rôle pour me consacrer uniquement à la réalisation.

EN : Réalisateur et acteur, comment cela s’est passé sur le tournage ?
PR : On a pris une doublure, un comédien qui avait le même costume, connaissait le texte par cœur, et jouait les scènes avant. De mon côté de validais, je regardais les plans. Il a donc joué avec tout le monde. Comme une répétition, sauf que c’est lui qui la faisait, et qu’on ne l’a jamais filmé. Une femme a dit hier (lors de la projection du film) : « on se doute que ça n’a pas couté beaucoup d’argent, mais tout y est . ». Travail de longue haleine ça veut dire ça pour moi. Il n’y a pas de hasard, tout a été répété, calculé, voulu, désiré. Malgré tout il y a toujours des choses qui nous échappent, comme une larme sur la joue de l’acteur Denis M’Punga, et c’est très agréable de travailler avec un acteur comme ça. Tout a été étudié, il n’y a rien à l’image qui ne soit pas passé entre mes mains.

EN : Vous êtres très prononcé sur l’humour, et le film oscille continuellement entre rire et drame. Cela n’était -il pas risqué ?
P.R : Terriblement. Le mélange des genres est difficilement compréhensible. Mais je n’ai pas eu peur d’aller trop loin, car il faut aller loin, et compter sur la finesse de l’interprétation et la sincérité des acteurs. Ma réplique préférée reste celui du condamné qui demande de l’eau et à qui François Berléand répond : « vous boirez après ». Et tout le monde rit alors qu’on dit clairement à cet homme : « crève ! ». J’aime ce genre d’humour parce que je trouve que c’est la vie.


   Yanne Yager