Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Le personnage principal du premier long métrage de Gustavo Taretto est la ville de Buenos Aires, anonyme et contrastée, où deux êtres peuvent se croiser, voire se frôler, sans jamais avoir la chance de se rencontrer. Medianeras, qui est une fable moderne sur la solitude, la difficulté à trouver sa place, et la nécessité de garder espoir envers et contre tout, s’inspire de l’un des quatre courts métrages du réalisateur, avec lequel il avait gagné pas moins de 45 prix. Rencontre avec un cinéaste qui a de la suite dans les idées…
Ecran Noir : Medianeras reprend et prolonge une histoire développée dans l’un de vos courts métrages…

Le livre Bye Bye Bahia



Gustavo Taretto : Pour moi, ça a toujours été pensé comme un long métrage. Le problème, c’est qu’au moment de l’écrire, j’étais dans un contexte personnel qui me rendait paresseux. Donc j’en ai fait un court car je n’avais pas l’énergie de le prolonger. Je l’ai tourné avec sept copains et je l’ai produit moi-même, pour 1500 euros. Ensuite, je suis parti en "tournée", j’ai fait plein de festivals, et c’est devenu un petit grand succès. Il a gagné 45 prix dont celui de Clermont Ferrand. Au-delà du succès et du plaisir que cela procure, je me suis rendu compte que le film touchait intellectuellement, mais surtout émotionnellement. Je pense que ça, ce n’est pas facile à obtenir, donc je suis revenu à l’idée d’en faire un long métrage. Je me suis replongé dans l’écriture pour développer cette histoire.

EN : Mais d’où venait cette histoire à l’origine ?

GT : Montres L’idée était que les deux personnages ouvrent une fenêtre pour changer de point de vue et faire entrer la lumière. Ce qui est à l’inverse de moi, car à l’époque j’étais plutôt observateur de la ville dans la mesure où je faisais beaucoup de photos, depuis très longtemps. J’essayais de comprendre la ville. Et c’est comme si à force d’observer, j’étais entré par la petite fenêtre des deux personnages et que j’allais les observer. Eux sont dans la démarche inverse : ils ont besoin de sortir pour voir et pour être vu. C’est là qu’on rejoint l’univers de "Charlie" (Wally dans le film), dans la mesure où quand on sort, on est des milliers. Dans cette foule, il est très difficile d’individualiser, de personnifier les gens. On perd beaucoup de son identité. La structure du court métrage qui suivait en parallèle les personnages et la ville m’a permis de faire comme un essai. Une réflexion sur un mal urbain que sont toutes ces crises de panique, d’angoisse, de solitude, de déprime, mais aussi, je l’espère, sur la recherche de l’amour comme rédemption face à ce côté obscur et pesant. C’est plutôt plein d’espoir.

EN : Oui, le film utilise les particularités de la ville de Buenos Aires comme une métaphore de l’existence. Quelles sont ces particularités ? Que disent-elles de nous ? Quelle influence ont-elles ?

GT : La ville dit les bonnes et les mauvaises choses que les gens reflètent. Elle dit un peu tout. Je pense que le film ne juge pas, il ne fait que montrer. Tout est une question de point de vue. Une "medianera", c’est un mur aveugle en français, un mur qui sépare deux bâtiments. Il n’a pas de fenêtres car il sépare deux bâtiments. Tous ces murs qui sont peints avec des trompe l’œil, ici à Paris, ce sont des murs qui n’ont pas de fenêtre. On peut donc voir la "medianera" comme un mur de séparation, mais d’un autre côté, comme c’est une question de point de vue, on peut aussi voir ça comme quelque chose qui unit, qui assemble, qui connecte. Buenos Aires est chaotique. C’est une ville désorganisée. Mais c’est par le chaos qu’elle donne tout son charme. Du coup, c’est une ville qui stimule et qui offre beaucoup de points de rencontres.

Il y a beaucoup de lieux qui sont très identifiables par rapport à Paris où justement, quand je suis arrivé la première fois, j’ai été surpris et même mal à l’aise de voir autant d’homogénéité. J’étais dans le taxi, je regardais les immeubles, et je me sentais comme dans un dessin animé où tout est toujours pareil. Ce côté "tout pareil" est l’opposé de Buenos Aires, construit par des gens qui viennent de cultures très variées. Parce que c’est un pays d’immigration, un pays très récent, qui a pris les cultures de ses habitants. C’est un pays plein de contrastes, aussi contrasté que ses habitants. La ville reflète donc vraiment les gens. A quel point on n’arrive jamais à se mettre d’accord, à quel point on est toujours en conflit. Elle montre qu’on ne peut jamais faire deux choses pareil, on ne peut jamais être en harmonie, il faut toujours que chacun mette son grain de sel, et ça donne des choses très différentes.

La ville a d’énormes difficultés à conserver son patrimoine, c’est ce qui est "mal", d’un autre côté, au lieu d’être reconstruite quand quelque chose se casse, elle est en perpétuelle mutation. On change, on recommence ailleurs. Le paysage varie énormément. En une quinzaine d’années, on peut avoir d’énormes évolutions. Donc, c’est "mal" de ne pas réussir à conserver son patrimoine, mais c’est "bien" d’avoir la capacité à toujours réinventer.

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