Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Rendre hommage à Eugene Green, quelle merveilleuse idée ! Trop peu présent sur les écrans (ses films spirituels et poétiques ont du mal à se monter), le réalisateur, acteur, écrivain et metteur en scène de théâtre était l’un des invités du 8e festival de Paris. L’occasion de (re)découvrir sa filmographie singulière et fascinante, faite de contes, de récits initiatiques et de tentatives pour montrer la réalité cachée derrière celle que nous connaissons. Grand amoureux du langage et de la langue française, il fait prononcer à ses acteurs chaque mot avec gourmandise et sans omettre le moindre "e" muet ou la plus petite liaison. Cette diction baroque qui fait sa marque de fabrique permet au spectateur de se mettre en condition pour une expérience bien plus intense qu’une simple séance de cinéma. C’est que de son propre aveu, Eugene Green a une quête à accomplir : celle de réenchanter le monde. Et nos vies par la même occasion.
Ecran Noir : J’aimerais que l’on revienne sur le théâtre de la Sapience [qu’il a fondé en 1977, et avec lequel il a créé de nombreux spectacles jusqu’en 1999] et vos recherches sur le théâtre baroque. Pas tant pour le théâtre que pour l’art baroque, lequel me semble essentiel pour comprendre votre œuvre cinématographique.





Eugene Green : Il n’y a pas de lien direct entre ce que je faisais au théâtre et ce que je fais au cinéma, si ce n’est un lien intérieur. Le théâtre est quelque chose qui m’a obsédé déjà depuis ma première adolescence. Le cinéma aussi, d’ailleurs, mais le théâtre me semblait plus abordable. Je voulais surtout écrire une pièce. Mais j’avais une conception du théâtre qui ne correspondait pas à ce que je voyais dans les années 70. J’ai alors abordé ce que j’ai appelé le "théâtre baroque", c’est-à-dire le répertoire classique des XVIe et XVIIe siècles. J’ai essayé de retrouver le style et l’esprit de l’époque, et je me suis rendu compte que les recherches n’avaient pas été faites. J’ai donc décidé de les faire moi-même, en élargissant à toute la civilisation baroque jusqu’au milieu du XVIIIe siècle.
Le nom de la compagnie,replique montre iwc "le théâtre de la Sapience" est un hommage à la chapelle de la Sapience de Rome. C’est un mot que l’on n’utilise plus, qui signifie "le savoir qui mène à la sagesse". C’était une manière de montrer que ma démarche n’était pas seulement intellectuelle mais allait vers une connaissance d’ordre spirituel.
Toutefois, je me suis vite aperçu qu’il n’était pas évident de proposer des spectacles de théâtre baroque, car le théâtre était devenu une religion d’état, et comme dans toute religion, il y en avait une version orthodoxe et un clergé pour qui toute proposition sortant de l’orthodoxie était forcément perçue comme hérétique. J’ai donc suscité des réactions très violentes. J’ai malgré tout essayé de montrer et de convaincre, mais sans moyens car je n’obtenais aucune subvention. Dans les années 80, j’ai créé plusieurs spectacles expérimentaux où j’étais seul en scène, car cela coûtait moins cher. J’avais un public restreint mais enthousiaste.

EN : Et puis vous avez fini par arrêter ?

EG : Finalement, dans les années 90, j’ai réussi avec des bouts de ficelle à constituer un noyau de troupe avec laquelle il a été possible de présenter des pièces entières, notamment de Racine. Nous avons obtenu un succès d’estime, même si les critiques nous ignoraient… En 1999, j’ai monté ma dernière pièce, Mithridate de Racine. Je m’intéressais également à la musique et au théâtre lyrique, et pour la première fois on m’a proposé de mettre en scène Castor et Pollux de Rameau à Prague. Enfin, c’est l’année où j’ai tourné Toutes les nuits [son premier long métrage]. Comme il y a plus de retentissement pour Mithridate, que l’on a joué pendant cinq semaines dans la chapelle de la Sorbonne, j’ai pensé que peut-être on me proposerait des moyens pour continuer à monter ce genre de spectacle… mais non. Rien n’est arrivé, et je n’avais plus l’énergie de me battre. Ce n’était pas une volonté conscience d’arrêter. Sans doute était-ce trop tôt, en 1999. Car aujourd’hui cela devient un peu à la mode.

# EN : On sent bien avec cette aventure théâtrale un goût prononcé pour la langue et le langage. D’où vient-il ?

EG : C’est une des choses les plus essentielles en moi. J’ai ressenti très jeune en Barbarie [les Etats-Unis, où Eugene Green est né] que l’Homme existe à travers sa langue, car c’est à travers sa langue que l’on voit et comprend le monde. A l’époque, j’ai compris que je n’avais pas de langue, car les Barbares n’en ont pas. Il fallait que j’en cherchasse une autre, et j’ai choisi la langue française. Ce n’est pas un hasard, je pense au contraire avoir accompli mon destin à travers la langue française.

EN : Quel souvenir gardez-vous de votre premier contact avec la langue française ?

EG : Quand je suis venu en France, ce n’était pas avec l’idée de rester. Et puis au bout de six mois, je savais que le français devait être ma langue. J’ai beaucoup de souvenirs, mais le plus emblématique provient de la première fois où j’ai lu une pièce de Racine. C’était Britannicus. Je ne parlais pas encore très bien français et j’ai donc lu tout le premier acte en m’aidant du dictionnaire. Et à partir du deuxième acte, j’ai découvert que je n’en avais plus besoin car le vocabulaire était le même. J’ai été frappé par cette simplicité, cette musicalité et en même temps la grande profondeur et le mystère cachés derrière les vers. C’est un des aspects de la culture et de la langue françaises qui me touche le plus. Je recherche cette simplicité qui ne vient jamais spontanément et qui fait voir des mystères. Pour moi, c’est inhérent à la langue française.

EN : Toutefois, vous avez tourné votre dernier film [La religieuse portugaise] en Portugais…

EG : La langue française est devenue ma langue, et c’est à travers elle que je vois le monde. Mais j’aime toutes les langues, et je trouve utile de savoir que l’on peut aussi voir le monde autrement, à travers d’autres langues. En l’occurrence, le portugais est une langue qui me touche également beaucoup. Comme pour le français, j’ai l’impression de l’avoir sue avant de naître. Non pas de l’apprendre pour la première fois, mais de m’en souvenir après l’avoir oubliée.

EN : Cette importance de la langue et cet amour du langage semblent d’ailleurs primordiaux dans toute votre œuvre...

EG : D’une certaine manière, la parole est au centre de tout art. Elle n’est pas utilisée pareille dans le théâtre, où elle est au centre de l’acte théâtral. Le théâtre baroque est fondé sur l’incarnation de la parole tandis que le cinéma est né d’une crise de la parole. Le cinéma, c’est la parole faite image. Et d’ailleurs le plan cinématographique fonctionne comme la parole le faisait jusqu’à la fin de l’époque baroque.
Pour résumer, le langage avait à l’époque une triple existence : en tant que mot, c’est-à-dire de signe dans un système de représentation ; en tant qu’unité animée ayant sa propre personnalité, recouvrant les choses visibles et cachées, ce qui permet les "jeux de mot" ; et en tant que verbe, c’est-à-dire la rencontre entre l’homme et le sacré.
Or après le XIIIe siècle, on a réduit la parole au mot en raison de l’entrée dans le matérialisme. Seuls les poètes et les écrivains ont essayé de restaurer cette triple identité, à l’image de Flaubert ou Mallarmé pour qui l’écriture était une grande souffrance parce qu’ils recherchaient le mystère caché dans le mot et la parole.
Le cinéma retrouve donc cette identité ancienne de la parole. Chez les grands cinéastes, il fait voir l’énergie invisible qui est de l’ordre du sacré. En ce qui me concerne, je cherche donc à exprimer les mêmes choses au théâtre et au cinéma, mais avec des moyens et des concepts différents.

# EN : Mais justement : comment trouver un langage cinématographique qui s’accorde avec ce souci de la langue ?

EG : Je cherche un langage cinématographique qui me permette d’exprimer les mystères cachés dans la réalité autour de nous. C’est-à-dire montrer ce que l’on ne verrait pas dans "la vraie vie", comme on dit. Comme je vous le disais tout à l’heure, cela fonctionne comme la parole : on montre une réalité finie, ce que n’importe qui verrait. Par exemple, une actrice dans une pièce. En même temps, en utilisant le langage cinématographique, on montre des choses qui sont cachées, par exemple son intériorité. Enfin, on montre également le rapport entre son existence et le reste du monde, ce qui est du domaine du sacré.
J’ai un langage cinématographique assez personnel. J’utilise différentes figures de style dans le but d’atteindre le cinéma comme parole…

EN : Vous voulez notamment parler de vos fameux "champs/contre-champs" ?

EG : Oui, entre autres. Dans mes films, il y a souvent des moments-clés où l’échange profond entre deux personnages passe par un dialogue. Or toute l’énergie du personnage est dans son regard. Cacher la caméra ne montre le regard que d’une seule personne. Or chaque réplique est une réaction à la réplique précédente. Donc j’estime avoir le droit de mettre la caméra entre les deux acteurs. Ainsi le regard de l’acteur que l’on voit passe à travers la caméra pour atteindre l’autre acteur.

EN : Vos films comportent tous une dimension onirique (souvent sous forme d’apparitions) qui est comme une porte vers une dimension plus spirituelle…

EG : A vrai dire, mes films ne sont ni oniriques, ni fantastiques, dans la mesure où le fantastique est une invention du XVIIIe siècle destinée à récupérer les intuitions spirituelles. On titille le spectateur avec des choses qui sortent du réel comme une sorte d’aberration. Dans mes films, les esprits fantômes ou les anges représentent au contraire une dimension cachée de la réalité. Et, vous avez raison, cela mène à la dimension spirituelle.

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EN : Cela fait maintenant plus de dix ans que vous cherchez à replacer le spirituel au cœur de l’existence. Voyez-vous une évolution de la société dans ce sens, comme en écho ?

EG : Il n’y a pas de réponse générale de la société car mes films n’ont pas assez d’impact. Par contre, cet aspect de mon cinéma correspond à un besoin et à une demande, à la fois de gens très jeunes et très âgés. J’ai notamment un public fidèle de jeunes qui sont très touchés par cet aspect de mes films justement. Je pense que pour eux c’est un besoin. Et d’une certaine manière, je considère tout mon travail artistique comme faisant partie de ma quête : une tentative de réenchanter le monde. Pas de mettre dans le monde des choses qui ne sont pas là mais de rendre les spectateurs conscients de ces aspects de l’existence et du monde qui ont toujours été là et que la civilisation nationaliste et matérialiste a cherché à cacher ou à nier.

EN : Vos films sont aussi des récits initiatiques dans lesquels le destin joue un rôle prépondérant…

EG : Oui, ce sont des récits un peu initiatiques mettant en scène des gens jeunes (en général) qui se trouvent face à leur destin. Ils l’assument ou ne l’assument pas. Lorsqu’ils l’assument, cela leur permet de voir un sens dans leur propre vie. De capter les rapports entre les différents éléments du monde. Comme une épiphanie d’ordre spirituel.

EN : Ainsi, dans Toutes les nuits, on a l’impression que l’un des deux personnages accepte son destin, mais pas l’autre.

EG : Ils ont des destins différents. Henri et Jules sont presque des contraires mais chacun ne peut exister dans le monde que parce que l’autre existe également. Henri est attaché au monde matériel mais il a des inspirations de l’esprit, et c’est pourquoi il est ami avec Jules. Jules, lui, parvient à rester dans le monde car il garde assez de la lucidité que lui transmet Henri pour continuer à exister. C’est finalement plus difficile pour Henri. Il garde un certain regret, tandis que Jules est pleinement accompli.

EN : Comment travaillez-vous avec les acteurs pour obtenir le jeu spécifique que l’on retrouve dans tous vos films ?

EG : Je dirige moins que d’autres réalisateurs. Ce que je recherche, c’est l’intériorité des acteurs. C’est ce que je veux rendre appréhensible. Je leur demande de lire plusieurs fois le scénario et de toujours parler comme s’ils se parlaient à eux-mêmes en évitant toute tentative d’interprétation psychologique. Ce que je corrige, ce sont les intonations psychologiques qui sont toujours fausses, comme élever la voix en fin de phrase. On fait ensuite quelques répétitions pour que les acteurs soient à l’aise. Ce qui en sort est très intérieur. Mais les contraintes sont finalement plus dans le cadre, la lumière, la manière de filmer.




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