Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Depuis 20 ans, Pavel Lounguine n’en finit plus d’explorer les tréfonds de la société russe, moquant ses petits travers (La noce), anticipant ses ruptures les plus brûlantes (Luna park) et décortiquant à la loupe ses bouleversements successifs. Avec Tsar, son nouveau film, il remonte le temps et explore la mythologie "du fouet et de la torture" conceptualisée par Ivan le terrible et érigée en norme par ses successeurs.
Pas très étonnant pour un réalisateur qui aime observer comment l’homme en arrive à commettre des actes irrationnels qui sont mauvais pour lui… Au Festival d’Arras, où il était l’invité d’honneur, rencontre avec ce cinéaste passionné pour qui le cinéma est contagieux et la mise en scène, métaphysique.
EN : Dans Tsar, l’opposition entre les deux protagonistes est stylisée, comme une incarnation archétypale du mal et du bien. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette vision presque manichéenne de leur face à face ?

PL : C’est un peu comme une histoire biblique, avec un mal très défini. Dans notre pays, on n’a plus qu’une idée très floue des distinctions entre mal et bien, noir et blanc. Tout est plutôt gris… Mais la vie est plus simple que ça. J’ai le sentiment que non, tout n’est pas gris, le mal et le bien existent. J’ai même voulu revenir à une notion chrétienne de morale. Ivan a induit l’idée qu’il était mauvais en tant qu’homme, mais parfait en tant que roi. Or la Russie n’a pas besoin de rois, mais de bons rois.

EN : L’esthétique du film est frappante, très proche de la peinture religieuse de l’époque que vous décrivez…

PL : Je voulais faire un film esthétique. J’ai travaillé avec le chef opérateur Tom Stern (collaborateur notamment de Clint Eastwood) qui a donné ce ton à l’image, comme dans les tableaux de Caravage. Par exemple, les visages sont à moitié dans l’ombre, à moitié dans la lumière. Au XVIe siècle, en Russie, c’est encore le Moyen Age. Le pays est dans l’attente d’un miracle qui a lieu, mais qui ne résout pas les problèmes. Au niveau émotionnel, le film est en même temps très simple et très compliqué : je l’ai poussé assez loin psychologiquement pour montrer comment un être humain prend la décision de se sacrifier pour arrêter quelque chose qu’il ne peut pas arrêter.

EN : En présentant le film à la presse [lors du festival d’Arras], vous avez précisé : "Quand ça fait mal dans le film, ça doit faire mal dans la salle". Justement, comment doser la violence présente à l’écran quand il s’agit d’un personnage comme Ivan le terrible ?

PL : J’ai essayé de faire souffrir les gens pour leur faire comprendre que se retrouver au temps d’Ivan serait terrible pour nous. Mais en réalité, je n’ai pas montré grand-chose. Quand on lit les vrais comptes-rendus de l’époque, c’est bien pire. On s’aperçoit qu’il torturait lui-même et qu’il emmenait son fils de 7 ans assister à cela. La réalité historique est bien plus violente que mon film !

EN : De film en film, on vous retrouve dans des registres assez différents. Est-ce par envie de tester différentes choses, ou parce que chaque fois, c’est ce qui se prête le mieux au film ?

PL : Souvent, c’est l’idée du film qui décide pour moi. Je m’approprie assez facilement des idées diverses. C’est intéressant d’essayer différents types d’écriture tout en restant moi-même, par exemple de pratiquer le "grand style russe" comme je n’en avais jamais fait avant… Mais je suis sûr que quelque chose réunit tous mes films. J’expérimente encore, j’apprends. Je fais des choix et des découvertes. Après Tsar, ce sera un thriller moderne avec de l’opéra dedans, ce qui est encore nouveau ! Dans le fond, pour moi, c’est l’occasion de me prouver que je suis encore vivant.


   MpM

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