Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



L’œil du témoin

Un film s’écrit, se tourne et se monte. Trois écritures pour un seul résultat à l’écran. La femme que je rencontre rédige depuis plus de trente ans la troisième version des oeuvres de Claude Chabrol. Chef monteuse images et son, Monique Fardoulis regarde la première et comme personne l’une des filmographies les plus subtiles, les plus marquantes du cinéma français.
Il fait beau ce jour-là. Chabrol fête ses cinquante ans de cinéma. Bellamy est d’ores et déjà un cru millésimé. Depardieu y est plus féminin que jamais. Elle m’attend devant un café dans la salle du restaurant des Studios de Boulogne-Billancourt. Blonde, les cheveux au carré, menue, élégante dans un jeans et une veste de fourrure noire. Quand elle me voit arriver, elle tourne son visage. Me sourit. À ce moment précis, si Monique Fardoulis voulait se faire passer pour la sœur de Mireille Darc, tout le monde la croirait !

Ecran Noir : Est-ce qu’une petite fille rêve un jour de devenir chef monteuse ?





Monique Fardoulis : Ah non, quand même ! Je rêvais d’évoluer dans le milieu du cinéma, mais seulement lorsque j’étais une jeune fille. Vers l’âge de quinze, seize ans. J’allais alors voir tous les films à la cinémathèque, ne ratais aucune sortie et dévorais les revues spécialisées. Il faut ajouter que j’avais plein de copains qui gravitaient dans le monde du cinéma.

EN : L’idée de participer à la fabrication d’un film germe peu à peu dans votre esprit ?

MF : Tout d’abord, je souhaite devenir scripte. J’ai la chance d’être invitée sur plusieurs tournages. Et là, l’attente entre chaque prise de vue me décourage. Pire, m’insupporte car je suis quelqu’un qui travaille très, très vite. À l’instinct. C’est pour cette raison que je me tourne rapidement vers le montage.

EN : Comme dans les philosophies orientales, la relation de maître et de disciple existe en montage. On devient stagiaire, puis assistant et enfin chef monteur…

MF : Dans un premier temps, il m’a fallu chercher et obtenir des stages en laboratoire. C’est-à-dire suivre l’évolution de la pellicule depuis les rushes jusqu’à l’image finale : le tirage du négatif, l’étalonnage… À l’époque, les stages duraient six mois ! En parallèle, je fréquentais avec assiduité les auditoriums et j’assistais à tout le travail du son, au mixage... Un peu plus aguerrie, je suis allée alors voir de vieux monteurs. Tous m’ont très mal reçue ! (rires) Je suis quand même parvenue à décrocher quelques stages dans la publicité. Non payés, bien sûr !

EN : Vous arrivez ainsi à acquérir une connaissance aiguë de toute la chaîne du montage des images et du son…

MF : Oui, cette connaissance est vitale pour comprendre l’univers d’un metteur en scène, ce qu’il souhaite faire passer. Mais vous savez, un mauvais film ne peut être sauvé par le montage. Cette dernière étape ne peut qu’atténuer la catastrophe tout au plus…

EN : Vous souvenez-vous de votre premier stage pour un long-métrage ?

MF : C’était Le signe du lion d’Eric Rohmer.

EN : Pas mal !

MF : N’est-ce pas ?... (rires) Et d’expérience en expérience, je suis passée au stade supérieur. Je suis devenue assistante monteuse. J’ai travaillé sur plusieurs films de Bernard Borderie, le réalisateur d’Angélique marquise des anges. Puis, j’ai fait la connaissance de Jacques Gaillard, le premier chef monteur de Chabrol. Rencontre importante puisque je me suis mariée avec lui ! J’ai alors collaboré avec Jacques sur les films de Claude. Il montait les images et moi les sons. Lorsqu’il s’est retiré de la profession, je l’ai remplacé et endossé toute la responsabilité du montage.

EN : Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec Chabrol ?

MF : Très bien. J’étais assistante sur un film de Borderie. Toute jeunette. Pas encore mariée, mais je connaissais déjà Jacques. Chaque soir, Chabrol venait visionner les épreuves des Cousins dans le labo où je travaillais. C’est Jacques qui a demandé à Claude si je pouvais assister au visionnage des rushes. C’est ainsi que j’ai rencontré toute la bande de Chacha : Claude Lavie, son directeur de production et bien sûr Jean-Claude Brialy et Gérard Blain…

EN : Inoubliable dans Le beau Serge. Acteur somptueux !

MF : Magnifique ! C’était un très bon comédien, mais torturé…

EN : Un acteur qui passe comme un ange, qui brûle ses ailes et puis s’en va. Un peu à la River Phoenix et à la Health Ledger…

MF : Oui, c’est ça. Gérard laisse une trace dans le cinéma.

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