Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



A deux pas de l'Opéra, à Paris, Catherine Breillat nous reçoit chez elle pour nous faire partager son point de vue sur les mystères de l'orgasme et de la sexualité en général, sujet principal de son cinéma, et de Romance, sa dernière réalisation.


Ecran Noir : C’est-à-dire?

Catherine Breillat : Pour désirer un femme, passé le premier élan de l’amour, quel est le deuxième fondement du désir? C’est la domination. La domination ce n'est pas l’amour, et pour dominer il faut souvent soumettre et humilier, donc abaisser. Et que c’est un des fondements du désir masculin. Et qu'à partir du moment où l’on aime une femme, tout d’un coup, le désir ne se met pas en route tout seul, sans qu’on y réfléchisse... Oui, l’idée que tout d’un coup il faudrait avoir recours à des choses si on aime une femme et qu’on la respecte, nécessairement, ça veut dire qu’on ne la désire plus, c’est très logique, ça arrive dans beaucoup de couples.

EN : C’est un définition de l’amour finalement?

C.B : C’est une définition de l’amour à partir du moment où: les interdits et les tabous, on ne veut pas comprendre qu’ils sont là pour être transgressés... On vous met tout d’un coup ces interdits, mais c’est très profondément dans notre société laïque aussi, il y a bien une censure, une morale. Quelle morale, qu’est-ce qu’elle veut dire cette morale? Elle suppose quelque chose qui serait ignoble chez les femmes principalement d’ailleurs. Cette supposition d’ignominie et d’obscénité c’est au nom de quoi? Au nom que le désir a pour ressort quelque chose qui a avoir avec l’obscénité, si on se dit que ça, sert au désir ce n’est donc pas un interdit, c’est un tabou qui est un fondement du désir, donc qui est fait pour être transgressé, pas fait pour être interdit, ni fait pour qu’on en ait du dégoût. A ce moment là on dit que le sexe c’est peut être comme les épreuves initiatiques. Il y a une sorte d’épreuve et de creuset qui est cette espèce de gouffre noir, plutôt d’une sorte de peur et d’horreur qui amène une fois qu’on passe au travers, qu’on transcende, c’est comme une quête héroïque dans le fond. On arrive comme quand on tue les dragons. Les dragons n’existent pas, c’est ses propres peurs. Et ensuite, une fois qu’on a vaincu ses propres peurs, on arrive au château qui est lumineux. On peut se dire que l’acte sexuel, symboliquement, reproduit ça. Et que donc tous les tabous et les interdits au lieu d'en faire une morale et se dire : “oui, il y a quelque chose d’obscène chez les femmes”. Au non de quoi, on a fait beaucoup de lois contre elles, beaucoup même dans les sociétés laïques. Je me souviens de Michel Debré à l’Assemblée Nationale disant qu’il ne savait pas si on pouvait permettre la pilule aux femmes car ensuite elles ne sauraient pas se tenir. Pourquoi elles se tiendraient moins que les hommes? Pour elles ça les abaisseraient. Oui, quand on fait des actes je dirais effectivement si on se livre un peu de lubricité et de pornographie sur le moment, ça ne vous élève pas énormément, mais ça ne vous abaisse pas pour toujours quand même. Faut pas exagérer. On peut aller à une partouze et finalement que ce ne soit pas si important que ça. Je veux dire que ça ne vous marque pas pour toujours. Les hommes, ça ne les marque pas pour toujours, faut être deux pour ça, même plusieurs. Donc ce n’est pas mieux pour les uns ou pour les autres, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux à faire, mais ce n’est pas non plus indélébile, ce n’est pas un tatouage indélébile sur l’âme.

EN : Le film, malgré les apparences, on pourrait dire que c’est un film Freudien... Mais il aurait plutôt une tendance Jungienne?

C.B : Alors c’est plutôt Jungien... J’avais envie que ça soit une trajectoire comme une quête héroïque. Par lesquelles tout d’un coup, toute la trajectoire de déchéance et de déconsidérassion sexuelles devient une quête héroïque. Donc, un chemin vers la lumière.

EN : Quand on prend le film visuellement comme ça, notamment quand elle est avec François Berleant, ce qui lui fait faire : il l’attache, il l’a baillonne...

C.B : Oui, on voit bien que c’est une épreuve, elle arrive jusqu’à une mort d’elle même, et que finalement c’est la mort de tous ses fantasmes de soumissions, de domination qui à force, c’est comme le compte de Barbe Bleu. A force qu’on vous dises qu’il ne faut pas ouvrir la porte et que c’est ça qu’on est, il faut surtout pas qu’on aille là, il faut qu’on passe par là pour ne plus l’être, ça c’est une évidence. Toute cette trajectoire masochiste et sadomasochiste et d'ailleurs, lui est comme un passeur, il l’amène de l’autre côté de la rive. Et pour moi quand il l’a promène devant les miroirs symboliquement c’est qu'à ce moment là, elle voit l’image de sa honte et de simplement la voir ensuite ça sera finit pour toujours, c’est quelque chose qui ne sera plus un fantasme. Tous le monde a des fantasmes. Et particulièrement les femmes, puisque visiblement dès qu’on devient puber, il y a quelque chose qu'on ne veux pas vous dire, mais qui peut vous arriver, qui est particulièrement honteux, particulièrement terrible, ce qu’on ne dit pas aux petits garçons quand ils atteignent la puberté. Eux on les met en royauté, les filles on les met en suspicion. Cette suspicion on ne se déteste jamais donc on y prend goût. On prend goût à quelque chose d’interdit, de sale, d’obscène qui doit être vous, qu’on doit surtout ne pas faire mais enfin c’est la plus grande des tentations, ce qu’on ne doit pas faire. Donc, il faut bien la vivre cette tentation ne serait ce que pour s’en débarrasser, passer au travers, de l’autre côté. Et je trouve qu'il lui fait vivre d’une manière somptueuse parce qu’il l’amène à bout. On voit bien qu’elle va plonger de dedans, c’est-à-dire, ça ne va pas être quelqu’un qui va vivre toute sa vie des rituels sadomasochistes. Et ce n’est pas pour y trouver son plaisir, c’est pour dépasser son fantasme.

EN : A aucun moment elle prend plaisir à ce qu’elle fait, elle se fait violée pareil elle a aucun plaisir à ça? quand elle rencontre Rocco Siffredi elle prend aucun plaisir à ça?

C.B : Je ne suis pas d’accord avec vous. Quand elle rencontre Rocco, elle a du plaisir mais elle a horreur du plaisir qu’elle pourrait avoir, c’est-à-dire, ce plaisir elle ne le prend pas, elle le repousse car c’est une image indigne d’elle même. Moi c’est pour ça que j’aime beaucoup la scène, parce que lui quand il joue il meurt et se donne en entier, et qu’il est complètement désarmé, extrêment tendre en réalité avec elle . Et que elle aurait envie de lui, mais cette envie qu’elle pourrait avoir de lui , lui fait horreur, donc elle reste à la fois dans une envie donc dans un désir, donc elle va dans une certaine jouissance, elle va vers un ailleurs, et dans cet ailleurs il y a aucune communication avec lui. sauf peut-être que lui à un amour et une tendresse pour elle et une grande tristesse, je trouve qu’il est dans un grand désarroi. En plus Rocco, ce genre de situation ne lui était jamais arrivé. Ca été une mise à mal, mais quand il avait confiance en lui, je ne pouvais pas tourné la scène, je ne voulais pas tourné un scène de Rocco Sifredi. Et quand sa confiance à été mis à mal, il a flippé, c’est-à-dire, que tout d’un coup, il voulait plus tourné dans le film parce qu Œil avait l’impression que s’était abandonné, que s’était quelque chose qui était trop humiliant et déshonorant pour lui et humiliant, qu’il fallait abandonné tout ce qui l’était comme si on le répugnait, comme si il y avait quelque chose de lui qu’on acceptait pas et que on exigeait autre chose, et c’était très dur pour lui. Pour Caroline aussi c’était très dur quand tout d’un coup elle s’est retrouvé avec un acteur de film porno en train de devoir dire : “C’est comme dans les films pornos!”, bon, ça ne passait pas, ça lui passait pas, quelque soit son courage, la confiance qu’elle me faisait, tout d’un coup elle se demandait si on se trompait pas, puis bon un plan tant qu’il est pas magique et merveilleux, et ce genre de scène figurez-vous c’est très pénible quand on atteint pas la perfection, c’est particulièrement éprouvant, parce qu’on se demande vraiment si on a raison de faire ça tout le temps.

EN : Pour Sagamore Stevenin quelqu’un a dit que ce n’était pas son vrai sexe qu’on voyait à l’image?

C.B : Ah bon, et il pense qu’on a mis quoi, une baguette de pain ,un champignon? Non bien sur que c’est lui, oui c’est drôle les gens voient des doublures partout. Mais, c’est trop cher! et en plus de ça, moi je pense que les acteurs doivent vivre leur rôle quand même, on ne peut pas tout simuler. Acteur c’est déjà simuler, mais c’est quand même être dans le vrai, c’est une simulation qui est dans le vrai, qui amène dans le vrai des sentiment et tout, je pense que la peur qui préside, le dont des acteurs au film, c’est une chose nécessaire. On peut pas tout faire pour de faux, comme une fille vierge qui dévierge parce qu’elle s’est fait sodomiser 100 fois, et qu’elle a fait des pipes à tous le village!!!, mais elle est vierge, bon.

Non, Sagamore est quelqu’un de formidable, mais il était seulement extrêmement pudique, mais Caroline devant, c’est drôle, qui était absolument traumatisé par Rocco dans le fond, qui était évidemment beaucoup plus impudique, et qui allait beaucoup plus loin qu’elle, de toute façon sur ce terrain, moi aussi, je me sentais très mal face à Rocco, moi qui était figure détaillère du sexe mentalement, je vais très loin pour franchir des tabous et des censures. Je franchis des tabous et des censures , Rocco lui, il en a pas, il franchit rien du tout, y en a plus, c’est un autre monde. Je déteste le monde sans tabous et sans censures, et pourtant, il y a quelque chose dans Rocco que j’estime et je trouve formidable, et c’était ce quelque chose là qu’on voulait amener, et je sais que c’est maintenant, j’ai trouvé parce qu’avant on le connaissait pas, mais justement au moment où il a craqué, où il me disait comme ça : “Mais Catherine, elle me déteste et tu sais tu peux penser ce que tu veux de moi” c’était vraiment une espèce de cri d’orgueil, et il voulait exister et il refusait à ce qu’on le bafoue dans la manière dont il se sentait bafoué dans le fond.

Il me dit : “Tu peux penser ce que tu veux de moi, mais moi jamais dans les films que je fais, tu peux croire ce que tu veux de ces films là, mais moi jamais je ne suis jamais aller avec une fille sans chercher quelque chose de vrai, jamais je n’ais fait l’amour avec une fille sans chercher quelque chose de vrai. Et ça c’est une chose extrêment belle de lui, et je pense que c’est pour ça que c’est une star. Finalement, il a une pureté, il y a une démarche zen chez Rocco. C’est de chercher le vrai, quand on cherche la vérité, quand on est porteur de la vérité, des choses essentielles le charisme on la. Et que lui ça s’incarne dans le fait de faire l’amour et de s’y donner tout entier. Donc, de ne pas faire ça d’une manière médiocre ou même au sein de film ou d’une industrie qui est particulièrement médiocre, je peux le dire parce qu’il le reconnaît de tout façon, alors on le dit. La dedans Rocco Sifredi n’est pas médiocre en tant que personne humaine, c’est quelqu’un qui ne s’abîme pas. Et c’est pour ça que je suis très contente de l’avoir pris, bien que c’était un risque majeur.
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