Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Présenté en compétition officielle au festival Paris Cinéma 2008, Mange ceci est mon corps, est une expérience cinématographique étonnante. A l'occasion de sa sortie en salle nous avons rencontré son réalisateur, Michelange Quay, aussi disponible que sincère. Dialogue.
Ecran Noir : Entreprise cinématographique proche de l’expérimentation, Mange ceci est mon corps, est un savant mélange de poésie, d’abstraction et de réalisme. De quelle manière ce « triumvirat » a influencé la construction de votre film ?




Michelange Quay : Il s’agit surtout d’utiliser des gens, des têtes, des lieux, des icônes ou des idées comme des blocs ou des notes que l’on peut recombiner afin de réaliser des choses avec. C’est pour cela que le réalisme est important, parce que même si le noir et le blanc, cet épicentre, ce fonctionnement binaire est une notion assez simple, j’en ai besoin pour l’étaler par la suite.

EN : C'est-à-dire ?
MQ : On ne sait pas ce que c’est que d’être vrai. Même si j’ai engagé Catherine Samie ou Sylvie Testud, mon impression me dit que cela pourrait être des gens qui ne sont pas comédiens ou reconnus dans ces rôles là. J’essaye d’atomiser les différentes personnes pour les recombiner au fur et à mesure que la partition se décline.

EN : Votre discours n’est pas narratif au sens propre du terme, mais plutôt poétique...
MQ : Oui. On utilise le même motif pour dire autre chose plus tard. On n’est pas, non plus, en train de suivre le destin de quelqu’un dont sa morale éventuelle serait elle-même expliquée par le destin. Nous ne sommes pas dans l’explication, mais plutôt dans le plaisir du ressenti. Pourtant, ce n’est pas une sensation pure non plus. Notre propre réflexion est assaillie à n’importe quel moment pendant le voyage.

EN : Il n’est donc pas interdit de changer d’interprétation pendant la vision du film ?
MQ : Absolument. Moi, je le fais et je regarde les choses différemment à chaque fois que je vois le film. C’est un prisme ouvert par lequel on peut explorer, naviguer et trouver différentes significations. Au lieu d’essayer de dire que tel personnage c’est untel qui veut dire telle chose, il faut peut être juste montrer ou suggérer…au final, on ne saura vraiment jamais ce que c’est que le racisme.

EN : Le premier plan, splendide à plus d’un titre, survole Haïti pour s’achever sur le ventre d’une femme proche de l’accouchement. La douleur se mêle à l’espoir. Le passé et l’avenir se confondent en créant une contemporanéité très forte. Par ce biais là, vous ne tracez aucune direction, mais ouvrez des itinéraires. Ceux-ci marquent un état du monde, le vôtre, mais permettent aussi de multiples interprétations…
MQ : Dans le film entier ou à partir de ce début ?

EN : Dans le film entier…
MQ : Quand on survole Haïti on quitte la mer et on arrive dans les bidonvilles, puis on passe ceux-ci et c’est de moins en moins peuplé. On monte dans une vallée, c’est de moins en moins boisé, on longe la rivière, le canal et l’on entend ce cri dans le champ suivi par la musique qui accompagne le cri. On ne sait pas d’où vient le cri ni le gémissement, puis on arrive effectivement devant quelqu’un qui est en train de donner naissance. On remonte au début. Dans un survole comme celui-ci on voit les bidonvilles, on voit Haïti, on voit une île, on voit comme vous dites une sorte de temporalité découpée par thèmes. Cela nous permet de remonter sur une non époque.

EN : La fin du plan séquence symbolise la civilisation et l’origine. Entre ce premier plan et l’ellipse vers la maison coloniale il y a la cérémonie vaudou. Pouvez-vous nous en parler ?
MQ : Il y a d’abord des écoulements, puis la cérémonie vaudou qui est, à mon sens, très importante. On peut diviser…je dis on peut car je ne dirai pas la même chose chaque fois et puis c’est en réponse à la façon dont vous m’en parlez, donc on peut parler de ce début qui nous emmène dans une espèce de temps mort, d’espace mort, de réflexion. C’est là où on va débuter notre réflexion. Effectivement nous survolons un pays à la fois physiquement, historiquement, économiquement. Puis dans un deuxième temps nous voyons l’état du pays dans le survol, mais du coup nous commençons vraiment à contempler par la force du plan l’aspect écologique du pays. On rentre dans un constat et on se retrouve avec les Haïtiens qui sont en train de survivre, de vivre, de célébrer ou de pleurer. C’est une sorte de deuxième partie de cette grande première partie. La troisième partie sera le commentaire de tout ce que l’on a vu.

EN : C’est le rôle qu’interprète Catherine Samie ?
MQ : Oui. Quand elle réfléchit sur les haïtiens, sur Haïti, sur elle-même, sur l’état du monde, le cosmos et tout le reste.

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