Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Robert Altman était à Paris pour présenter son nouveau film, Gosford Park. Avec son scénariste, Julian Fellowes, il s'est livré au jeu des questions-réponses des journalistes. Voici le compte-rendu de cette conférence de presse.
Ecran Noir : envisagez-vous le film comme un film de genre, le whodunit, ou comme un travail d'ethnologiste ou de sociologue ?





Julian Fellowes : d'emblée, nous avons conçu le film comme étant avant tout l'examen d'une société.

Robert Altman : à la limite, peu importe la question de savoir qui a tué Sir William McCordle. La véritable question serait d'ailleurs plutôt : pourquoi ne l'ont-ils pas tué plus tôt ? Ce film, c'est " Les Dix Petits Nègres rencontrent La Règle Du Jeu ". Il met en évidence un certain fonctionnement social, à un moment donné de l'histoire, avant la deuxième guerre mondiale. Ce moment révèle la fin d'un monde, notamment du point de vue de la condition féminine. Les femmes ne pouvaient alors véritablement choisir qu'entre se mettre au service d'une famille ou entrer dans la prostitution.

EN : un journal américain prétend que votre film est celui que James Ivory n'est jamais parvenu à faire. Qu'en pensez-vous ?

Robert Altman : Nous devons beaucoup aux films de James Ivory. Ils ont ouvert et posé les fondations de ce " territoire " cinématographique. Nous avons essayé d'utiliser les repères habituels de ce genre de films, pour installer d'emblée le spectateur dans un contexte connu, avant de retourner la situation.

Julian Fellowes : Vous l'avez peut-être remarqué : à l'écran, on ne voit jamais un personnage de l'étage supérieure -un des aristocrates- sans qu'il y ait un domestique dans la pièce. Dans un film de James Ivory, les aristocrates sont généralement les personnages principaux. Même dans les Vestiges du Jour, où le majordome tient un rôle essentiel, le centre d'intérêt demeure le monde des maîtres. Nous voulions montrer l'organisation de ce type de maison, sans porter l'accent sur une classe plutôt qu'une autre. Il y a là une quarantaine de personnes, toutes différentes les unes des autres. C'est aussi la raison pour laquelle nous avons voulu qu'il y ait, parmi les comédiens, autant de stars dans le monde " d'en haut " que dans celui " d'en bas ".

EN : le nom du majordome que l'on voit au début du film a-t-il été inspiré par De l'Importance d'être Constant ?

Julian Fellowes : oui, c'est le cas.

Robert Altman : souvent, Julian donne aux personnages le nom de ses amis. Moi, j'ai tendance à leur donner le nom de mes ennemis.

EN: Ce film aurait-il pu se passer dans un pays autre que l'Angleterre ? Quelle est la fonction du personnage américain ?

Robert Altman : La structure que nous avons mise en évidence est particulière à l'Angleterre. Le personnage du producteur américain est important car c'est quelqu'un qui est totalement étranger à ces traditions ; il vient presque d'une autre planète, et il sert ainsi de guide, pour le spectateur, dans le monde " d'en haut ". De manière parallèle, Mary, par sa fraîcheur, guide le spectateur dans le monde " d'en bas ".

EN : qu'est-ce qui, selon vous, a empêché la Révolution en Angleterre ?

Robert Altman : je suis un exemple de cette révolution anglaise : elle s'est faite en Amérique !

Julian Fellowes : la Révolution française, et surtout la Terreur qui a suivi, a beaucoup effrayé en Europe, et calmé bon nombre d'ardeurs révolutionnaires.

EN : il est troublant de voir les domestiques gênés de prendre du plaisir en écoutant de la musique, comme s'ils s'en voulaient eux-mêmes de ce moment de divertissement.

Robert Altman : remarquez que ce genre de divertissement est aussi peu naturel chez les aristocrates. Il y a toujours, chez eux, l'idée que ces plaisirs ne sont bons que pour la masse. Maggie Smith fait ainsi remarquer, presque comme une évidence, qu'elle n'ira pas voir le film produit par Weissman.

Julian Fellowes : remarquez aussi qu'il ne viendrait même pas à l'idée de quiconque de revendiquer un droit au divertissement.

EN : il n'y avait que quatre Américains sur ce tournage. L'équipe anglaise s'est-elle amusée, comme dans le film, à vous faire sentir que vous étiez d'un autre monde.

Robert Altman : je n'ai eu besoin de personne pour avoir ce sentiment !. Je plaisante, car tout le monde était très généreux sur le plateau, et l'on ne ressentait jamais ces barrières. Julian Fellowes : il aurait été impossible d'avoir un réalisateur anglais pour ce film, car il n'aurait pas eu la distance nécessaire pour filmer ce monde.

EN : la société que vous décrivez est parcourue de désirs sexuels et homosexuels, assouvis ou non. Ces désirs sont-ils le signe de la corruption de ce monde, ou les envisagez-vous comme un moyen subversif de renverser les barrières sociales ?

Robert Altman : Ces désirs ont toujours existé, et ne sont pas propres à cette époque.

Julian Fellowes : l'aristocratie admet tous les comportements, mais il faut " garder les formes ". Comme le disait une aristocrate à qui l'on apprenait que telle personne était homosexuelle : " peu importe, du moment qu'ils ne font pas ça dans la rue et qu'ils n'effraient pas les chevaux " !

EN : Avec Gosford Park, vous réalisez à nouveau un film " chorale ". Qu'est ce qui vous attire dans ce type de film ?

Robert Altman : je ne sais pas. Il me semble que cela permet d'être plus réaliste, et puis aussi, au moment du montage, si quelque chose me paraît ennuyeux, il est plus facile de couper !

EN : comment envisagez-vous la référence à La règle du Jeu ?


Robert Altman : encore une fois, pour moi, ce film c'est un peu la rencontre entre le monde de Renoir et celui d'Agatha Christie. Je ne me souviens pas précisément de La Règle du Jeu, mais je garde le souvenir de son essence.

EN: avec l'arrivée de l'inspecteur de police, le film connaît des accents burlesques. Cette dimension était-elle prévue dès l'écriture du scénario, ou est-ce apparu au moment du tournage ?

Julian Fellowes : Au début de l'écriture, le personnage n'existait pas : on avançait dans l'enquête uniquement grâce aux ragots rapportés par les domestiques. Mais Robert Altman a trouvé que cela ne convenait pas. L'introduction de ce personnage loufoque permettait de relativiser le whodunit. L'inspecteur est tellement incompétent que l'on se désintéresse vite du résultat de l'enquête policière pour mieux suivre l'analyse sociale.

Robert Altman : et puis aussi, j'avais envie de revoir Jacques Tati !

en : Comment concevez-vous l'improvisation sur le plateau ?

Robert Altman : l'improvisation, c'est simplement un travail de répétition, de préparation. Il y a un texte, et il faut trouver une manière de le dire. Julian était constamment sur le plateau, et il pouvait ré-écrire des scènes en fonction des possibilités suggérées par ce travail de préparation.

Julian Fellowes : quand on écrit une scène de dîner qui rassemble un grand nombre de personnages, il y a beaucoup de texte. Au final, à l'écran, on n'entend pas tout, mais la richesse du matériau de départ renforce le réalisme de ce genre de scène.

EN : Vous aviez déclaré que si bush était élu, vous quitteriez les Etats-Unis pour vous installer en France.

Robert Altman : et bien vous voyez, on ne peut pas avoir confiance dans mes déclarations ; et sur ce point, je suis aussi peu digne de confiance que Bush !

EN : en quoi les films de Charlie Chan vous ont-ils inspiré ? Robert Altman : le film Charlie Chan à Londres a existé. Et à l'instar du personnage, réel, de Novello, il a fourni une sorte de garde-fou réaliste pendant la conception du film.

EN : quel sera votre prochain film ?

Robert Altman : je suis sur le point d'entamer le tournage d'un film à New York. Il est tiré d'un roman, a shortage of engineers. Ce sera à nouveau un film " chorale ". L'action se déroule en 1991, dans une usine aéronautique, au moment où les responsables américains ont annoncé le retrait d'Irak. La situation que nous vivons actuellement n'est pas sans rapport avec cette décision.


   benjamin