Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Ancien critique de cinéma et de théâtre, Nic Balthazar a publié en 2002 un roman, Il ne disait rien du tout, dont l’intrigue était si forte qu’elle n’a cessé depuis de le poursuivre. Tout en continuant en parallèle son travail à la télévision, il a en effet adapté l’histoire de son héros, Ben, un adolescent souffrant d’autisme harcelé par des élèves de son lycée, pour le théâtre (plus de 250 représentations), puis pour le cinéma avecBen X, récompensé au Festival des films du monde de Montréal en 2007. Venu assister à l’avant-première de son film au Sénat, dans le cadre du festival de films européens "Mamers en mars", le réalisateur est revenu sur l’aventure de ce premier roman devenu premier film.
EN : Comment avez-vous tourné techniquement ces scènes de jeu vidéo ?

NB : On a eu une très bonne idée, volée à tous ces jeunes qui font des films à partir de jeux comme World of Warcraft et les mettent sur YouTube. Ca s’appelle Machinima [Technique consistant à réaliser un film en utilisant un moteur de jeu vidéo] : ils capturent des séquences de combat contre les monstres ou réalisent de petits clips dans lesquels les personnages dansent sur "Alexandrie, Alexandra"… On a donc repris cette idée en décidant de faire un long métrage dans le cyberespace. Les séquences que vous voyez dans le film ont donc réellement été "tournées" dans le vrai jeu Archlord. On y a organisé un plateau avec des acteurs (de jeunes joueurs) et on a capturé les scènes en essayant de maximiser le rapport avec les scènes filmées dans la réalité. On a utilisé la HD pour pouvoir manipuler les couleurs, et le reste n’est qu’un travail de montage. Les nouvelles technologies sont très bon marché ! On verra ça de plus en plus souvent dans des films de réalisateur qui, comme moi, n’ont pas d’argent. Il faut de la créativité pour compenser ! Les jeux vidéo sont le partenaire idéal pour un réalisateur, son plus beau rêve ! Pensez-donc : la pièce s’est montée sans subvention, sans rien. Nous n’avions pas les moyens de répéter cinq ou six mois, alors on a fait ça dans mon grenier. Et là, tout à coup, on a tous les décors, les costumes, les acteurs possibles, et en plus on peut les manipuler comme on veut ! Ils n’ont pas d’égo et sont inépuisables et en même temps, avec une simple souris d’ordinateur en main, on peut créer les mouvements de caméra les plus incroyables !

EN : Curieusement, dans votre film, la violence n’est pas dans le jeu vidéo, où les séquences sont plutôt bucoliques, mais bien dans la réalité. Il y a notamment une scène de harcèlement qui est à la limite du supportable, pas tant visuellement que psychologiquement…

NB : Quand on sait ce qui se passe dans la réalité… La vraie histoire de ce jeune homme qui s’est suicidé à Gand est infilmable, dix fois plus intolérable que ce que je montre dans le film. Le propre du harcèlement est d’être journalier et habituel, si bien qu’il en devient presque banal. C’est ce que j’ai fait, j’ai pris une scène banale de vol de montre et de GSM. Ce genre de scène arrive presque tous les jours à l’école ! Pensez au happyslapping [filmer un individu qui se fait agresser et le diffuser sur le net] , rien que le nom… Je suis content si cette scène de mon film met les gens en colère. Il nous faut cette colère, il n’y a que ça qui fait bouger les choses. J’ai voulu que les scènes durent longtemps, que la musique vienne en renforcer les effets, pour montrer à quel point c’est une tragédie d’être ainsi aux mains de quelqu’un. On ne sait pas quand ça va s’arrêter. Et l’angoisse est constante car on sait que cela va se reproduire.

En : Au fond, votre film a une portée bien plus universelle qu’une simple illustration de l’autisme. On peut prendre ce handicap comme une sorte de métaphore de l’adolescence, cette période où l’on se sent si mal et si peu à sa place dans la réalité…

NB : Le danger avec les films sur l’autisme, c’est que c’est déjà en soi un sujet fascinant. On croit le connaître, mais en fait on connaît surtout l’autisme de Rain Man. Je voulais démontrer qu’il en existe plusieurs types et élargir le regard que l’on porte sur ce problème. Ce n’est rien de plus qu’une allégorie sur ces personnes qui se sentent autres, différentes, et sur les problèmes qu’ils ont dans une société que je qualifierais elle-même d’autiste. L’autisme est notamment un problème d’empathie, c’est-à-dire de la difficulté à se projeter dans les émotions de l’autre. Or la société est comme cela. On trouve de moins en moins d’empathie chez les gens, jeunes et moins jeunes. On ne sait pas à quel point les blagues ou les petits jeux peuvent détruire ceux qui les subissent. Une personne qui souffre d’autisme se sent incomprise et a le sentiment de ne rien comprendre elle-même, ce qui est le cas d’un ado sur deux ou sur trois…

EN : Il y a dans le film un vrai travail de mise en scène pour donner au spectateur un aperçu du ressenti de Ben. Vous avez notamment joué sur les sons (le brouhaha de la rue ou de la cour), les gros plans sur des détails, la verticalité agressive des bâtiments…

NB : Ce qui m’a vraiment fasciné dans le regard que les gens autistes portent sur le monde, c’est qu’il est tout autre du nôtre. Par exemple, ils voient tous les détails mais n’ont pas de vue d’ensemble. J’ai aimé l’image de cet ordinateur qui reçoit trop de données et qui est toujours sur le point d’exploser. Nous avons donc essayé de recréer cette sensation de voir et de ne pas voir en même temps, et à cause de cela de rater l’essentiel. Cela provoque bien sûr une angoisse permanente. Voilà le miracle du cinéma, on peut changer le regard que les gens ont sur les choses. Il existe plein de films sur l’autisme, mais aucun d’eux ne traite vraiment de la personne autiste. Regardez Rain Man, c’est l’histoire du frère, et non du personnage incarné par Dustin Hoffman. Les autistes sont toujours l’objet, et moi je voulais qu’ils soient le sujet ! Qu’on appréhende le monde tel qu’ils le voient. J’éprouve une réelle fierté parce que de nombreux spectateurs qui étaient eux-mêmes dans le spectre de l’autisme m’ont dit : "Vous nous avez donné un instrument pour expliquer au monde ce que l’on voit et ce que l’on ressent." Par exemple la récréation telle que je la montre : toutes ces images, tous ces bruits, c’est un véritable enfer pour les personnes souffrant d’autisme. D’où la morale du film, sur le courage. Pour eux, le simple fait de quitter leur maison est un défi total qui nécessite énormément de courage.


   MpM

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