Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Pour ceux qui en douteraient, non seulement le cinéma kazakh n'est pas mort, mais il peut même être moderne, jeune et charmant lorsqu'il s'incarne dans le réalisateur Abai Koulbai, trente ans, et un premier long métrage fort remarqué au compteur. Au Festival international du film d'Almaty, Eurasia, Le martinet, qui raconte la descente aux enfers d'une jeune fille livrée à elle-même, a en effet reçu à la fois le Grand prix de la section "cinéma d'Asie centrale" mais également le prix Netpac. Depuis, le premier long métrage du jeune Kazakh a été sélectionné aux festival de Rotterdam et de Vesoul, avant de connaître, qui sait, une exploitation en salles dans son pays et au-delà.
Ecran Noir : Comment vous est venue l'idée du film ?





Abai Koulbai : Au Kazakhstan, il est très difficile de faire un premier film car il faut obtenir l'accord du conseil artistique. C'est un cap compliqué à passer. J'ai donc choisi un thème violemment social auquel il est impossible de dire non. Les gens au pouvoir son stressés mais n'exercent pas de censure. Ils m'ont laissé faire le film pour que je ne crie pas à la censure… mais je n'ai pu commencer à tourner que trois ans après avoir obtenu l'accord.

EN : Pourquoi votre personnage féminin est-il une jeune fille ?

AK : (En français) J'aime les femmes… Mon père nous a abandonnés lorsque j'étais très jeune. J'ai donc été élevé par ma mère et entouré de femmes. J'ai évolué dans un univers très féminin ! Je pense que cela a joué dans mon envie de transformer le personnage principal en fille. J'avais l'impression de mieux savoir de quoi je parlais, que cela ôtait de la complexité au personnage.

EN : Toutefois, c'est une jeune fille qui masque sa féminité, notamment par son habillement et sa coiffure. En France, cela ne choque pas, mais au Kazakhstan, un tel comportement est mal vu… Vous jouez sur cette ambivalence.

AK : C'est une question très compliquée. Presque toutes les adolescentes passent par un stade où elles se comportent comme un garçon. Quand on doit faire face à autant de problèmes sociaux, on a forcément une réaction violente, que l'on soit une fille ou un garçon, parce que tout simplement on n'a pas la vie que l'on voudrait. Pour en revenir au personnage, à l'origine, il était expliqué dans le scénario qu'elle se coupe les cheveux pour ne pas qu'on puisse l'attraper par les cheveux quand elle se bat.

EN : Vous ne faites aucune concession à Ainur, votre personnage principal, que vous montrez sans fard, dans sa brutalité et ses aspects les moins sympathiques. Pourquoi en faire une héroïne aussi désagréable, qu'il est difficile de suivre ?

AK : Je suis un vieux moraliste mais je suis convaincu que ça ne sert à rien de faire la morale aux autres. Je voulais juste montrer les choses telles qu'elles sont du début à la fin, observer et constater la situation dans sa réalité. Il n'y a rien à rattraper ni à excuser. Le problème quand il existe une relation tendue entre parents et enfants, c'est qu'il n'y a plus de confiance. Il n'est plus possible de se confier à eux, ni de communiquer en aucune manière. C'est très flagrant dans le film : les gens ne commencent à s'inquiéter que lorsqu'il y a danger de mort. Or où étaient ces gens avant, quand elle avait réellement besoin d'eux ?

EN : La ville, Almaty, est également au centre du film. Comment l'avez-vous filmée ?

AK : L'histoire ne peut se passer qu'en ville car dans les villages, tout le monde se connaît. Au contraire, la ville est lieu où l'on est plongé dans une foule, mais seul. Chacun a ses problèmes et personne ne fait attention à une jeune fille égarée. Almaty est une assez jolie ville, mais j'ai choisi de filmer des moments où elle semble froide, glacée, isolante. J'ai filmé les murs, les ruelles sombres, les chantiers, les gens toujours en mouvement, comme dans une éternelle course en avant. On a envie de leur dire "arrêtez-vous et regardez ce qu'il se passe autour de vous !".

EN : Comment avez-vous travaillé avec votre actrice pour obtenir une telle spontanéité apparente ?

Ak : En fait, elle ne retenait aucun texte, même le plus élémentaire… J'ai passé du temps à me battre avec elle pour essayer d'avoir une cohérence dans les dialogues. Malheureusement, on a dû refaire tous les dialogues en post-synchronisation car nous avons eu un problème de son direct… Par contre, je ne lui disais rien sur son jeu car, spontanément, elle a commencé à m'imiter sur le tournage. Quand on rencontre un acteur comme ça qui vous reflète parfaitement, c'est une révélation ! C'est inutile de se filmer moi-même. Elle a joué de manière spontanée et directe. Par exemple au moment de la scène de viol, elle parle directement à la caméra. La manière dont elle dit le texte en segmentant les mots, c'est assez poignant, ça fait que je la crois.

EN : Vous avez travaillé avec une coscénariste, Eugénie Zvonkine. Comment cela s'est-il passé ?

AK : J'écrivais les scènes, puis Eugénie venait, je lui montrais et on discutait de tout dans le détail, au dialogue près. Je ne suis pas scénariste de formation, je ne connais pas les lois de la dramaturgie… ce qui m'a plu, c'est qu'elle connaisse justement le cinéma d'une manière formelle. Je voulais que le film soit à niveau, et Eugénie a comblé mes manques.


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