Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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En l'espace de quelques films, Lucas Belvaux s'est imposé comme une valeur montante d'une nouvelle génération de cinéastes. À l'occasion de la sortie en DVD de La Raison du plus faible et de Nature contre nature – comédie rurale diffusée sur France 3 en juin dernier – il s'est confié à Ecran Noir. Rencontre avec un homme discret et généreux, véritable amoureux du cinéma d'antan.




Ecran Noir : Vous avez débuté votre carrière en tant qu'acteur. Quand est apparue votre volonté de devenir cinéaste ?
Lucas Belvaux :
L'idée a germé un peu plus tard, environ 4 ou 5 ans après mes débuts en tant que comédien. À force de travailler comme acteur, je me suis aperçu que la mise en scène, la réalisation me passionnaient autant. Et j'ai découvert le métier petit à petit, en m'intéressant à la technique de l'image, comprendre la notion de cadre et du montage, tout en cherchant à améliorer mon jeu d'acteur par rapport à ces contraintes. Environ 10 ans plus tard, j'ai commencé à écrire un scénario que j'ai tourné. Ensuite, j'ai entamé une période plus difficile, mon premier film n'avait pas bien marché et cela m'a pris un certain temps avant de réaliser le second, Pour rire !, avec Ornella Muti et Jean-Pierre Léaud. Au même moment, j'ai débuté la Trilogie, qui était un projet de grande envergure et pour lequel je n'étais pas considéré comme "prêt".
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EN : Avoir expérimenté le métier de comédien vous a-t-il aidé pour la mise en scène et la direction d'acteurs ?
LB :
Cela crée un rapport très particulier avec les acteurs, de connivence essentiellement. Je connais ce métier, je l'ai pratiqué longtemps, je le pratique encore. Je parviens à capter leurs angoisses, leurs inquiétudes et à leur apporter des réponses concrètes. Le rapport de confiance s'instaure plus aisément. Et lorsque je joue dans mes films, cela renforce notre sentiment de solidarité. Je passe d'un côté à l'autre, humanisant les rapports entre l'équipe et les acteurs. Je ne les cloisonne pas dans leur rôle, je fais la navette entre les deux, d'où une plus grande facilité dans l'échange. Au bout d'un moment le même sentiment s'installe chez les acteurs et une notion de troupe s'instaure. Les tournages n'en deviennent que plus agréables.

EN : De votre point de vue, La Raison du plus faible s'apparente plus au film noir ou au drame social ?
LB :
Le film noir. Contrairement au polar, c'est un genre à part, dans lequel l'histoire policière n'est pas primordiale. Le film noir comporte toujours une réalité sociale, politique ou sociétale, il ne se focalise pas sur l'histoire policière, qui devient presque un leurre pour évoquer une époque bien précise. Dans Le Crime de Monsieur Lange de Renoir, on retrouve ces aspects de crime, d'enquête, de reconstitution… mais c'est bien plus que cela. Quand la ville dort relate des choses très profondes sur les américains de l'époque. Finalement, le film noir a toujours représenté une espèce de perversion du genre policier qui permettait une certaine liberté par rapport aux conventions.

EN : Avez-vous avez tout de suite pensé à Eric Caravaca et Natacha Régnier pour incarner le couple ?
LB :
Oui. Natacha, je l'avais côtoyée sur un film de Chantal Akerman (Demain on déménage – NDLR). Eric, d'une part c'est un très bon acteur, et il ressemblait physiquement au personnage qui m'avait inspiré son rôle. Assez vite, il s'est imposé comme une évidence.

EN : Parlez-nous de votre expérience cannoise. Déçu de ne pas avoir été primé ?
LB :
C'est un moment très agréable à vivre, qui provoque l'effet de presse. Il y a une telle effervescence pendant le Festival, cette surexposition a beaucoup aidé le film. Les prix ne m'intéressent pas plus que ça. Daniel Toscan du Plantier disait "On ne fait pas des films pour avoir des prix mais il n'y a pas de raison de ne pas être content quand on en a". C'est assez juste. L'essentiel, c'est de pouvoir réaliser des films. Un prix représente beaucoup mais n'a aucune valeur absolue, plutôt subjective. Lorsque l'on observe les palmarès de Cannes sur 20 ou 30 ans, certains sont des chefs-d'œuvre et d'autres laissent peu de traces.

EN : Votre façon de filmer très épurée, notamment dans La Raison du plus faible, met en avant le jeu des acteurs.
LB :
Le cinéma dit "classique" m'attire. En ce moment, le cinéma se veut très découpé, très haché et les acteurs ne s'y complaisent pas nécessairement. J'aime le cinéma cadré avec des plans séquences, assez larges, dans lesquels je peux inscrire les personnages dans un paysage, un environnement. J'essaie d'aller vers la fluidité autant dans le montage que dans le filmage, ce qui n'empêche pas les ruptures, ne pas effectuer des plans uniquement esthétiques ou à effets. L'image doit révéler plus que ce qu'apportent le scénario ou les personnages, afin que tout serve à la création d'une ambiance particulière. Je réalise des films à petit budget, je dois donc m'adapter pour créer une tension avec une économie de moyens. Je ne me considère pas comme un cinéaste réaliste, c'est pourquoi j'aime l'épure. Je ne pollue pas l'image d'accessoires, de petits objets, de cartes postales au mur… L'équilibre est souvent délicat à obtenir, d'où la difficulté de tomber dans une espèce de poésie cinématographique, ou dans la pose contemplative.

EN : Pensez-vous que les gens rêvent encore ? Dans le film, les personnages aspirent à gagner au Loto pour acheter une mobylette, c'est assez pessimiste comme vision.
LB :
C'est le côté noir du film. Les rêves qu'ils expriment, en tous cas les rêves assumés se résument à cela. Il y a 20 ou 30 ans, on rêvait encore de changer le monde. Aujourd'hui de moins en moins. En Amérique du Sud, ils espèrent encore j'imagine, autour d'un mouvement alter mondialiste. Mais ici, nous vivons dans une période extrêmement déprimée. Les gens souffrent d'une perte d'enthousiasme. La chute du mur de Berlin nous apporté une certaine euphorie et nous avons imaginé à tort que cet acte calmerait les conflits. La fin de la lutte des classes n'a rien arrangé car nous avons perdu la conscience de classes. En fait, il y a toujours une défaite quelque part, défaite d'une classe sociale par rapport à une autre et le modèle dominant devient de plus en plus dominant. Il ne faut pas croire à la fatalité, nous pouvons toujours tout remettre en question, mais cela demande une certaine organisation qui ne se réalise pas en 15 ans mais plutôt en un siècle.

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