Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Marcelo Gomes a peut-être mis sept ans à terminer son premier long métrage, mais ça valait le coup. Depuis sa présentation à Cannes en mai 2005, Cinéma, aspirines et vautours a remporté quantité de prix dans les festivals internationaux, dont celui du meilleur film brésilien de l'année 2005. A quelques jours de la sortie française, le réalisateur comblé, de passage à Paris, n'en revenait toujours pas. Pour lui, ce succès unanime est à la fois une surprise et un encouragement.
Ecrannoir : Au festival de Cannes 2005, où vous étiez en compétition dans la section Un certain regard, vous avez remporté le prix de l'Education nationale, ce qui signifie que Cinéma, aspirines et vautours va être montré et étudié dans les écoles françaises. Comment avez-vous réagi en recevant ce prix ? Est-ce qu'il signifie quelque chose de spécial pour vous ?
Marcelo Gomes : Ma première impression a été la stupéfaction. L'histoire du film est basée sur la vie de mon grand oncle et quand lui me l'a racontée, j'ignorais tout de la position du Brésil pendant la guerre et de ce qui c'était passé. Les Brésiliens en général n'en savent rien. En recevant ce prix, je me suis dit qu'un jour, je pourrais peut-être convaincre le ministère de l'Education de montrer le film dans les écoles brésiliennes…
Ensuite, j'ai été touché à l'idée que des jeunes français voient ce film. Vous savez, cette rencontre au milieu de nulle part entre deux personnes très différentes qui ont besoin d'apprendre à se connaître, c'est une quetion très actuelle ! Aujourd'hui, il y a la mondialision et pour autant les cultures ne sont pas intégrées, dès que quelqu'un est différent il est rejeté. Je trouve primordial d'expliquer aux jeunes que les différences doivent être acceptées. Pas parce que c'est éducatif mais à cause de l'ouverture d'esprit que cela induit.





EN : Quel a été l'accueil au Brésil ?
MG : La première projection a eu lieu en novembre et le film est toujours à l'affiche. Si l'on considère que c'est un premier film, estampillé art et essai, avec des acteurs non connus… c'est génial ! La presse a été très bonne et le film a reçu le prix du meilleur film 2005. On a aussi été récompensé par le prix de la critique et le premier prix au festival de Sao Paulo. Je suis allé dans plein de festivals avec ce film (Pusan, Sarajevo, Mar del Plata…) et les réactions sont partout les mêmes : formidables. C'est une histoire personnelle, mais elle a quelque chose d'universel parce que tout le monde veut un futur meilleur.

EN : Le film est basé sur l'histoire vraie de votre grand-oncle : quelle est la part autobiographique ? Quels éléments fictionnels avez-vous ajouté ?
MG : Un jour, mon grand-oncle m'a raconté que lorsqu'il était jeune, il vivait dans un endroit pauvre et misérable. Alors il est parti pour tenter sa chance ailleurs et a rencontré un Allemand qui vendait de l'aspirine sur les routes, en proposant des séances de cinéma ambulant… J'ai pensé que cette histoire, telle quelle, était parfaitement contemporaine. J'en ai gardé la trame et j'ai ajouté quelques événements particuliers ainsi que la personnalité des deux protagonistes qui est purement fictionnelle.

EN : Votre grand-oncle a-t-il participé au projet ?
MG : Lorsque je lui ai dit que je faisais un film sur lui, il m'a répondu que j'étais fou… Il a participé au script, mais malheureusement il n'a pas vu le film terminé. Il est mort deux semaines après le festival de Cannes.

EN : Ce qui est assez surprenant dans votre film, c'est la relative insouciance des personnages au sujet de la guerre. Ils écoutent les nouvelles à la radio, mais ne s'y intéressent pas plus que ça. Johann fait même des blagues sur l'Allemagne… Quelle était votre intention en montrant ainsi qu'ils ne se sentent pas du tout concernés ?
MG : Ce que je voulais mettre au centre du film, c'était les deux personnages et surtout leurs sentiments. Tout est fait pour comprendre qui sont ces gens, ce qui les préoccupe. Donc seul ce qui est important historiquement pour eux est important pour le film. Or avant de commencer le tournage, j'ai fait des recherches historiques très sérieuses sur cette période. J'ai découvert que la guerre semblait vraiment très loin aux gens, qu'ils ne se sentaient pas concernés. Les éléments historiques n'ont donc pas une grande place dans le film.

EN : Vos personnages se battent pour une vie meilleure, pour accomplir leurs rêves… mais le film s'arrête avant que l'on sache ce qui va leur arriver. Que devons-nous penser de cette fin ouverte ?
MG : Ce qui compte, c'est que Johann et Ranulpho ont trouvé leur voie. Je voulais laisser les spectateurs imaginer la suite… Quand on voyage, on rencontre des gens puis on se sépare sans savoir ce que les autres deviendront. En vrai, mon grand-oncle n'a jamais revu son compagnon de route. Dans la fiction, Ranulpho va à Sao Paulo et devient un leader syndical, un homme important. Johann se rend en Amazonie et est celui qui a inspiré Fitzcarraldo à Werner Herzog.

EN : Il y a également les séquences très étonnantes de cinéma itinérant, lorsque le héros projette de petits films publicitaires dans des villages très isolés. Pour les gens du coin, c'est souvent le premier contact avec ces images animées…
MG : Nous sommes allés dans des endroits où il y avait une dizaine de maisons et peut-être vingt personnes en tout… Les gens, là-bas, n'avaient jamais vu un film. Tout à coup, nous ne tournions plus une fiction mais un documentaire. On a tourné la scène de la projection et les spectateurs étaient dans les conditions réelles de l'intrigue. On s'est juste contenté de filmer leurs réactions, en sachant qu'il n'y aurait pas de seconde prise. C'était stupéfiant, magique, de mêler ainsi la fiction et la vraie vie.

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EN : On ne peut s'empêcher de faire un parallèle entre le contexte social difficile de votre film et celui de notre époque, comme si les choses n'avaient guère changé en soixante-cinq ans. Il y a toujours des gens pauvres qui doivent se battre pour une vie meilleure…
MG : Bien sûr, c'est un sujet extrêmement contemporain ! Quitter sa maison, sa famille, est une décision très cruelle. Il y a de nos jours des milliers et des milliers de gens qui doivent faire ce choix. Rien n'a vraiment changé…

EN : Comment avez-vous travaillé avec les acteurs ?
MG : Pour les rôles principaux, je voulais un Allemand et un gars du coin. J'ai donc fait des recherches en Allemagne pour trouver un acteur qui parle portugais. J'ai rencontré Peter Kethath dont la femme est brésilienne, on a lu le script ensemble et c'était bon. Pour Ranulpho, nous avons vu 300 acteurs… et puis j'ai vu Joao Miguel jouer au théâtre, et l'on a fait des tests ensemble…
Pour les autres personnages, certains n'étaient même pas acteurs à l'origine. Par exemple, il y a une scène où les deux voyageurs vont manger dans un petit restaurant. L'homme qui les sert était vraiment quelqu'un du village. On lui a proposé de jouer et il a répondu : "Ok, mais qu'est-ce que c'est, un film ?" Après avoir tourné cette scène, il m'a dit que le cinéma était bien plus facile que d'être agriculteur… C'était génial car on retrouve exactement cette atmosphère dans le film…
Peter et Joao allaient bien ensemble et tout le monde s'est très bien entendu, peut-être parce que l'on a passé beaucoup de temps ensemble et que je connais très bien cette région. Nous avons peu répété mais on a parfois improvisé car le script était si bien écrit que nous avions du temps pour ça ! Notamment cette scène où Ranulpho projette un morceau de film sur sa main. J'en ai eu l'idée seulement la veille.

EN : Où en est le cinéma brésilien aujourd'hui ?
MG : Il y a deux sortes de films au Brésil : le cinéma d'auteurs et un cinéma très commercial inspiré des soap opéras. Ces derniers gagnent énormément d'argent mais dans la première catégorie, on voit émerger de nouveaux réalisateurs qui ont du style. A notre époque, c'est plus facile de faire un film. Il existe des lois et l'on peut obtenir des aides financières. Pourtant, il y a un préjugé contre le cinéma national. Les spectateurs préfèrent le cinéma américain, ils aiment entendre de l'anglais… Pourtant, c'est super de montrer plein de films différents ! Ce n'est pas encore ça au Brésil, mais on se bat pour y arriver.
D'ailleurs, il est évident que le cinéma local a de plus en plus de succès d'année en année. Il y a dix ans, les films brésiliens représentaient à peine 1% à 2% de l'offre. Aujourd'hui, c'est plutôt 15-20%. Les gens sont plus intéressés qu'avant… Et au niveau international, des réalisateurs comme Walter Salles ont mis le Brésil sur la carte du cinéma, donc nous avons désormais plus de visibilité. Bon, si notre musique a conquis le monde, ce n'est pas encore le cas de notre cinéma. Mais, enfin, peut-être un jour…


   MpM